TANOR, LE PHÉNIX
PORTRAIT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU PS
Contre vents et marées, Ousmane Tanor Dieng tel le phénix qui renaissait de ses cendres continue de diriger le Parti socialiste. Jusqu’à quand ? Sans doute, quand il voudra lui-même dire au revoir. Car, à défaut d’avoir su succéder à Abdou Diouf au sommet de l’Etat, l’homme qui sait toujours avoir le mot juste, en bon diplomate, a été porté au pinacle par les militants socialistes restés quand même jaloux de leurs suffrages. Coup de rétroviseur sur le parcours atypique d’un homme qui "sait ne pas bouger".
Cv d’un socialiste en quelques lignes : Ousmane Tanor Dieng, bon Sérère, né à Nguéniène sur la Petite-Côte, près de Mbour, il y a 67 ans. Diplomate reconnu pour sa discrétion et sa qualité d’écriture au point qu’il a très vite intégré le cabinet du Président Senghor après sa sortie de l’Enam, il est, avant tout, à l’instar de beaucoup, un pur produit de l’école sénégalaise. Grand commis de l’Etat, il n’a jamais été ambassadeur ou ministre des Affaires étrangères, mais toujours présent dans les positions du Sénégal à propos de ses relations internationales au cours des trente dernières années. Il est surtout le secrétaire général du Parti socialiste depuis le congrès de mars 1996 que l’on retient sous la caricature de "congrès sans débat", quand le président Abdou Diouf décide de lui confier la direction de l’ancien parti unique (le plus vieux parti politique du pays), aujourd’hui l’une des principales forces de la majorité présidentielle.
Dimanche 21 décembre, dans une étonnante concomitance avec l’anniversaire du décès du président Senghor, le comité central du Ps a constaté que "Tanor" sait ne pas bouger. Il est resté droit dans ses bottes malgré ses défaites électorales. Il n’a jamais connu de succès aux élections, sauf lors des législatives de 1998, alors que l’irruption de l’Urd (Union pour le renouveau démocratique) de Djibo Kâ sonnait comme le début de ce qui va marquer la carrière politique de l’ancien tout-puissant ministre d’Etat, chargé des Services et Affaires présidentiels, le dernier sous le régime socialiste, avant que la vague "sopiste" du Président Wade vienne les envoyer dans l’opposition. Incontestablement, OTD est un homme qui sait résister.
Durant douze ans, il a fait face au rouleau compresseur de Me Wade, assistant, au début incrédule, mais ensuite confiant, et prégnant dans l’idée que les Sénégalais savent sanctionner, dans ce que l’histoire politique retient sous le nom de "transhumance" ; il a tenu sa position et installé ses femmes et hommes. En mars 2000, il était annoncé au bûcher, voilà que 14 ans plus tard, il est à la tête du parti politique le mieux structuré, le mieux installé à travers le pays et, surtout, là où on sent le moins le culte du chef. En intégrant le Ps, Barthélémy Dias, actuel député, avait motivé sa position par le fait que "le Ps n’est le parti de personne donc de tout le monde" !
Aujourd’hui, il est à la tête d’un parti où ça bouge de la manière la plus intense, et dans lequel les ambitions les plus fortes se développent. Les "bureaux politiques", réunions de "Comité central" et Congrès ont lieu dans ce parti de manière régulière, mais l’homme reste toujours dans sa position. S’il a perdu ses bastions traditionnels du Fouta et du Sine-Saloum au profit de l’APR du président Macky Sall, le Ps est partout présent.
Indéboulonnable
Ses instances sont renouvelées et ses cadres se meuvent dans toutes les méandres de la société et de l’Etat. Jusque dans les chanteurs de Sorano ou à travers l’image des communicateurs traditionnels incarnée par le gardien du temple, El Hadj Mansour Mbaye ou encore Oumar Bassoum. Indéboulonnable Tanor. Jusqu’à quand ? Sans doute, quand il voudra lui-même dire au-revoir car il faut se rendre à l’évidence : à défaut d’avoir su succéder à Abdou Diouf au sommet de l’Etat, l’homme qui sait toujours avoir le mot juste, en bon diplomate, a été porté au pinacle par les militants socialistes restés quand même jaloux de leurs suffrages.
OTD a su toujours développer le culte de l’Etat, d’abord quand il était aux affaires, ensuite à la tête du Parti socialiste. Secret, peu disert, "Le Cafard Libéré" de l’époque l’avait nommé "Jaruzelski", du nom du dernier patron de la Pologne derrière le rideau de fer. Mais l’Etat, ce n’est pas le parti. Mauvais communicant, l’homme de Nguéniène a su s’entourer d’une garde prétorienne qui fait toujours face quand l’intérêt de leur parti est en jeu.
A l’instar de ses mentors Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, il est entré en politique par effraction. Avec une "imagination" très administrative de la chose politique. C’est sans doute là l’une des raisons qu’il tient à mettre au pas ceux et celles qui entendent le faire tituber. OTD a d’abord une base politique solide. Quand, lors de l’élection présidentielle de 2012, Me Wade s’aventure sur ses terres, il est accueilli par une volée de cailloux au point que ses gardes du corps ont dû se maîtriser. Comme avec Diouf à Thiès en 1988.
Formé à l’école de Collin
A ses débuts, le secrétaire général du Ps s’imaginait sans doute terminer sa carrière administrative comme plénipotentiaire dans une grande ambassade. Abdou Diouf en décida autrement. Formé à l’école d’un autre "monstre" de l’Etat, Jean Collin, il va terminer le travail que le président Abdou Diouf avait entamé en 1981, à savoir la reconfiguration des personnalités du Parti socialiste et l’envoi à la retraite des fameux "barons". Lui a une méthode plus fine et, dès le début, il n’a pas les moyens de sa politique.
D’emblée, les caciques du régime comme l’ancien ministre d’Etat sous les régimes socialiste et libéral, Djibo Kâ, ou alors l’actuel président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, disent niet. Ils disent d’autant plus non qu’ils ont un vécu plus intense auprès de Senghor et dans le Ps. Tous deux ont été patron des jeunesses socialistes et ont été ministre et membre du bureau politique avant lui. C’est alors la descente aux enfers pour Abdou Diouf et le Ps alors que le président Wade, comme un lion en cage, tournait en rond, attendant son heure de février-mars 2000.
Durant toute cette période, Ousmane Tanor Dieng, pressentant la défaite imminente, avait annoncé la couleur de manière prémonitoire, encore qu’il soit admis que c’est avec lui que le Ps a connu ses plus grands revers électoraux.
En 1998, il annonce "la mutation" et ouvre une ère faite de cohabitation entre caciques (l’ancien président du Sénat, feu Abdoulaye Diack ou l’ancien maire de Dakar, le magistrat émérite et colonel de gendarmerie, Me Mamadou Diop) et l’irruption à la "Maison du Parti", sise à Colobane, de nouvelles figures comme Me Aïssata Tall Sall ou l’actuel ministre de l’Education nationale, Serigne Mbaye Thiam, encore que le temple était bien gardé depuis la défaite historique de 2000 par les femmes et hommes de OTD. Lui s’emmure souvent dans le silence. Il parle peu dans la presse. Il a été le principal opposant au président Wade. Dès 2001, il déclare : "Wade travaille pour nous !" Comprenne qui pourra.
Avant la mairesse de Podor, il y a eu l’actuel maire de Dakar, Khalifa Sall, ancien patron des jeunesses socialistes, grand vainqueur des dernières élections locales dans le département de Dakar. OTD est resté soudé à ses alliés au sein du bureau politique comme le maire de Kaffrine, Abdoulaye Wilane, et les nouveaux qu’il a accueillis sans tambours ni trompettes. Il a favorisé de nouvelles émergences en prenant de "ses créations" comme le cadre des anciens que dirigeait feu Aboubacry Kane ou le fait de muter la sémantique en "secrétaire général" au lieu de "premier secrétaire". L’ère du parti unique est bien révolue.
Mais il sait qu’il ne peut pas faire ce qu’il veut. Poussé par les candidatures évidentes de Khalifa Sall et de Me Aïssata Sall lors de la prochaine présidentielle, il semble vouloir dire que c’est lui qui a gardé et éteint le feu dans la maison quand elle brûlait.
"Shifté" par ses troupes, mais conscient de la bonne stratégie en cours, il a réaffirmé lors du dernier Comité central du Ps que son objectif "est et reste la reconquête du pouvoir". Lui-même pense t-il toujours avoir un destin présidentiel ? Cela n’est pas sûr car l’homme, selon ses proches, veut baisser les armes. Mais il entend continuer jusqu’au bout le combat pour le parti qui l’a révélé au monde. C’est une subtilité de diplomate en politique.