LES USA AU BANC DES ACCUSÉS
COUP D’ÉTAT MANQUÉ EN GAMBIE
Quel est le niveau d’implication des États-Unis dans le coup d’Etat manqué en Gambie le 30 décembre dernier ? La question se pose de plus en plus puisque c’est essentiellement en territoire américain que se dévoile l’autre face cachée de cette saga. Mieux, des voix américaines s’élèvent pour condamner le traitement infligé aux putschistes revenus aux États-Unis. Et ces voix ne sont pas n’importe lesquelles. Ce sont celles de visages ayant souvent accompli du travail tactique dans l’ombre pour l’Administration américaine.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la décision prise jeudi dernier par le juge fédéral Franklin Noel du tribunal de Minneapolis ordonnant que Papa Faal, un des putschistes du 30 décembre dernier à Banjul, reste en détention préventive. Arguant que ce Gambien engagé dans l’US Air Force pourrait à nouveau retourner dans la capitale gambienne pour "terminer le boulot", le juge Franklin a décidé que l’affaire Papa Faal mérite désormais d’être entendue par un grand jury. Une décision qui a eu pour effet de courroucer certaines figures de l’industrie des renseignements privés aux États-Unis.
Scott Morgan, le président de Red Eagle Enterprise déballe
Président de Red Eagle Enterprise, Scott Morgan est le premier à s’insurger contre ce qu’il considère comme étant le déroulement d’une stratégie post maîtrise de dommages collatéraux d’une intervention couverte par les services secrets américains. Scott Morgan dont la société est une filiale de Faucon International, connue pour son travail de l’ombre au Congo (RDC) et ailleurs dans le monde pour le gouvernement et les grandes compagnies américaines, n’y va pas du dos de la cuillère. Sur son mur Linkedin, Morgan soutient que l’implication de l’Administration américaine dans le coup manqué de Banjul, notamment de la Joint Terrorism Task Force (JTT) et du US secret service (USS) qui s’occupe de la sécurité rapprochée du président américain, ne fait aucun doute. Il en veut pour preuve le nom de code attribué au dictateur Yahya Jammeh par les putschistes au moment d’entrer en action à Banjul.
"Mes informations révèlent que les putschistes ont attribué le nom de code "Chucky" au président Jammeh lors de leur opération. Ce qu’on ne dit pas, c’est que "Chucky" était le même nom de code que l’US Secret Service lui a attribué quand il a participé au sommet des dirigeants africains en août dernier à Washington. Cette information n’est généralement pas à la disposition du grand public. Donc, les putschistes le savaient ou ils l’ont obtenu aux États-Unis", indique Morgan Scott. Ce qui explique, selon lui, le fait que les deux Américano-gambiens, rescapés du putsch raté de Banjul, ont très vite été placés sous couverture fédérale dans les 48 heures ayant suivi le coup d’Etat avorté. Le soldat putschiste Papa Faal de l’US Air Force a été débriefé à l'ambassade américaine à Dakar et, une nouvelle fois, quand il est retourné aux États-Unis.
Scott Morgan ajoute qu’au même moment, le domicile d'Austin au Texas de Cherno Njie, l'autre putschiste, a été perquisitionné comme pour lui retirer tout élément compromettant en sa possession. "La rapidité avec laquelle la JTTF est intervenue suggère que ce service était au courant de l'opération peu après qu'il a été conçu en août 2014. Dès lors, pourquoi la JTTF a laissé faire cette opération ? Ont-ils voulu voir jusqu'où pouvait aller cette conspiration, ou ont-ils tenté de déterminer si le Sénégal ou la Guinée Bissau avaient un rôle dans les évènements qui allaient s’ensuivre ?" se demande M. Morgan.
Une main américaine difficilement passée inaperçue
David Rivas, le Directeur exécutif de Gladius Group, une autre société très courue dans les milieux militaires de l'ombre et du renseignement, partage le même avis que son collègue de Red Eagle Enterprise. Rivas dont la compagnie a déjà monnayé ses services en Haïti, en Irak, au Mexique, au Venezuela, en Colombie, en Somalie ou encore en Ukraine, va même jusqu'à douter de l'objectivité de l'enquête du FBI sur le coup d'Etat manqué en Gambie. Rivas, qui semble savoir plus qu'il n'en dit, réagit en ces termes au contenu du rapport : "Comment peuventils (FBI) ainsi faire la différence entre un véritable coup et un auto-coup d'Etat ?" Et le Directeur exécutif de Gladius Group de se défouler sur l'agent spécial Richard T. Thornton de la Division de Minneapolis du Federal Bureau of Investigation (FBI). "Je ne pense pas qu'un simple agent du FBI comme celui qui a mené l'enquête puisse faire la différence entre un fusil M4 à usage militaire et un fusil de type Ar15, version civile, avec un canon plus long et son dispositif de mise à feu …"
Pour Mark Jones, patron de Security Services Afrique, une compagnie opérant non loin de la Somalie, dans le secteur de la sécurité commerciale et du renseignement, il n'y a pas de doute que le gouvernement américain est à l'origine du travail mal fait de Banjul. En témoigne sa réaction suite à la sortie de Scott Morgan. "Je pense que certaines personnes étaient tranquillement assises, en croisant les doigts et en espérant que cela réussît. Ce que vous voyez en ce moment, c'est le contrôle des dommages collatéraux en espérant ne pas être accusé d'être directement impliqué." Et Mark Jones d'avertir : "En termes de relations entre Banjul et Dakar, Jammeh a toujours eu une petite main dans le conflit en Casamance et il y a un risque que les choses s’échauffent encore."
La Gambie, pays ami ou ennemi des États-Unis ?
Quoi qu’il en soit, la traduction en justice de Papa Faal et Cherno Njie a eu pour mérite de provoquer un débat qui n’a pas laissé l'ancien procureur fédéral américain Tom Heffelfinger indifférent. Il a ainsi déclaré au Minneapolis Post qu'il comprend les frustrations des Gambiens qui estiment que leur sort est ignoré. Tom Heffelfinger a néanmoins ajouté qu’une "indifférence des autorités fédérales cautionnerait une absence de cohérence dans les politiques et stratégies militaires des États-Unis".
Suffisant pour que les journalistes présents au briefing quotidien de la presse organisé le 06 janvier dernier par le Département d’Etat saisissent la balle au bond. A Mme Jen Psaki, porte-parole de John Kerry, un journaliste demande pourquoi accuser les putschistes Papa Faal et Cherno Njie de vouloir renverser le régime d’un pays ami. La réponse de Jen Psaki fut "Mm-hmm…"
Devant l’instance du journaliste pour avoir plus de précisions, le porte-parole de John Kerry explique que le mot "ami" est utilisé au sens juridique pour signifier que les États-Unis sont en paix avec la Gambie. "Ce n'est pas pour indiquer un réchauffement des relations entre les deux pays. C’est un terme juridique", précise Jen Psaki qui ajoute : "Le gouvernement des États-Unis n'a joué aucun rôle dans la tentative de coup d'Etat qui a eu lieu à Banjul. C'est certainement le message que nous allons continuer à transmettre chaque fois que nous en avons la possibilité", a-t-elle martelé. Jen Psaki ne s’est tout de même pas privée de rappeler que le 23 décembre dernier, soit sept jours avant le putsch manqué de Banjul, les ÉtatsUnis avaient mis fin à la participation de la Gambie à l'African Growth and Opportunity Act AGOA, en raison de l'absence de progrès en matière de droits de l'Homme, d'Etat de droit, du pluralisme politique, et d'une Justice équitable. En définitive, le lobbyiste Jeffrey Smith du RFK Center for Justice and Human Rights qui s'est exprimé dans le World Politics Review précise que "Jammeh dirige un régime brutal dans lequel la torture, les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et le mépris absolu de la dignité humaine sont la norme. Le soutien de Jammeh parmi les citoyens est faible. Il règne principalement par la peur et l'intimidation".
Smith ajoute que les ÉtatsUnis et ses alliés régionaux, en particulier le Sénégal, devraient aider à organiser une conférence nationale inclusive, incluant un large éventail de partis de l'opposition et de la société civile gambienne ainsi que la Diaspora, afin de développer une feuille de route pour une transition du pays vers une démocratie véritable et le respect des droits humains fondamentaux.
L’on comprend dès lors pourquoi vendredi dernier, le dictateur gambien a publié un communiqué pour qualifier les États-Unis et le Sénégal d’ennemis de la Gambie qui se sont engagés à partager le contenu de leurs renseignements sur son régime.