LES CONDITIONS DE VIE PRÉOCCUPANTES DES DÉTENUS AU SÉNÉGAL
SURPEUPLEMENT, LONGUES DETENTIONS, VETUSTES DES MAC...

Les organisations de défense des droits de l’homme sont unanimes à dénoncer avec force la situation que vivent les détenus dans les prisons au Sénégal. Ce sont des conditions souvent inhumaines, aussi bien dans les lieux de privation de liberté que de garde à vue. Face à cette situation, l’Etat du Sénégal a entrepris un vaste chantier de réforme de l’arsenal judiciaire afin de mettre l’administration pénitentiaire aux normes internationales.
Le Sénégal compte 37 établissements pénitentiaires avec un total de 36.028 personnes détenues. Une population carcérale principalement concentrée dans la région de Dakar avec 17.315 prisonniers, soit un pourcentage de 48%, presque la moitié du nombre des incarcérés. Un véritable surpeuplement de ces lieux de détention qui fait réagir les défenseurs des droits de l’homme depuis quelque temps.
« Comment imaginer un seul instant qu’au 21ème siècle on puisse dire au Sénégal que deux cents personnes vivent comme des sardines (au propre comme au figuré) dans une chambre de prison conçue au départ pour 30 personnes à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss et avec une seule toilette ?» s’inquiète la Ligue sénégalaise des droits de l’homme dans son rapport qui dénonce vigoureusement ces conditions de vie corroborées par des images prises dans les cellules de la Maison centrale d’arrêt et de correction de Dakar.
La situation est presque identique dans tout le pays à travers les lieux de détention et de privation de liberté. Alassane Seck, secrétaire général de la Ligue sénégalaise pour la protection des droits humains (Lsdh), parle de surpopulation excessive. Selon lui, ce qui se passe dans les lieux de prison est impensable. « L’enfer de Rebeuss m’a détruit », dénonce M. Seck.
« Comment peut-on imaginer avec cette chaleur en Afrique mettre des gens les uns sur les autres, parfois torse nue ? » se demande-t-il.
« C’est vraiment l’extrême déshumanisation, et je pèse bien mes mots, car on ne peut pas faire cela même à des chevaux, à plus forte raison à des humains. C’est la violation la plus élémentaire, c’est de la torture », décrit-il.
Et le secrétaire général de la Lsdh de rappeler que le Sénégal est signataire de la convention de l’Organisation mondiale contre la torture (Omct).
Le rapport rendu public par l’administration pénitentiaire concernant leur dernier exercice a noté une hausse de 1.411 détenus de plus si l’on compare avec les données de 2013. Nombreux sont ceux qui attendent d’être jugés, provoquant ainsi un surpeuplement. Une situation difficile selon les organisations de défense des droits humains qui interpellent l’Etat à plus d’efforts pour le respect des droits des détenus.
SURPEUPLEMENT DES PRISONS
Les maisons d’arrêt et de correction ont une population carcérale qui dépasse leur capacité d’accueil. De nombreuses personnes continuent d’arriver dans ces lieux où elles passent des conditions de séjour difficiles. La raison, c’est que le Sénégal n’a plus construit d’établissement pénitentiaire depuis son accession à l’indépendance. Une situation qui plonge tous les observateurs des droits de l’homme dans l’embarras du fait du traitement inhumain qui règne dans ces geôles.
« Il faut d’abord reconnaître que les prisons sénégalaises, dans leur majorité, ne sont pas adaptées à contenir des gens qui sont dans les liens de la prévention », reconnaît l’Observatoire national des lieux de privation de liberté.
Selon le rapport de l’administration pénitentiaire, 428 détenus provisoires de plus de trois ans croupissent dans les prisons sénégalaises en attendant de connaître leur sort. Une situation qui les met dans l’anxiété de rester longtemps dans ces milieux clos, appelés aussi lieux du silence. Ils représentent un pourcentage de 46,55% de la population pénale contre 53,45% de personnes condamnées.
Parmi cette population, il y a les mineurs et les femmes, population vulnérable qui subissent le triste sort de la déshumanisation. Les étrangers font partie de cette population de surpeuplement des lieux de privation de liberté avec 3.156 détenus, soit 8,75% constitués de 62 nationalités.
Selon Jean-Baptiste Niyizurugero, responsable du programme Afrique de l’Association pour la prévention contre la Torture, « la situation créée par la surpopulation est très alarmante, surtout la durée, le disfonctionnement de certaines procédures judiciaires avec des prisons où l’on trouve des gens qui passent des années ». C’est donc un problème pour lui, et face à ce constat, il faut agir et réagir.
La réaction consiste à se poser des questions sur les causes profondes de ces problèmes. D’où la nécessité de trouver et de suggérer des solutions et des recommandations en vue de répondre à ces équations, si l’on en croit M. Niyizurugero en provenance de Genève en Suisse pour offrir son expérience lors de l’atelier de monitoring tenu le 23 février à Dakar, dans le cadre du partenariat qui lie son association à l’Etat du Sénégal.
Seulement, ces personnes sont incarcérées pour la plupart pour des infractions comme le vol et le recel (34%), le trafic et l’usage de drogue (25,6%), l’escroquerie et l’abus de confiance (9,7%), les coups et blessures volontaires (7,8%), le viol et l’attentat à la pudeur (2,04%), l’homicide involontaire ( 2,07%), le vagabondage et la mendicité (1,98%) et les menaces, violences, voies de faits et injures (1,85%).
Les défenseurs des droits de l’homme dénoncent l’inertie des administrateurs de prison qui acceptent d’accueillir des détenus dans leur établissement en dehors de leur capacité requise.
ADMINISTRATION PENITENTIARE
Un manque notoire de moyens humains et matériels
Le recrutement de nouveaux agents pénitentiaires s’avère nécessaire. Aujourd’hui, les Maisons d’arrêt et de correction du pays sont sous perfusion face au contexte de surpeuplement.
L’Etat qui n’a pas organisé un concours de recrutement depuis deux ans, semble bouger cette année avec l’examen tenu au début du mois de mars pour enrôler de nouveaux agents. Une situation que l’administration pénitentiaire et bon nombre d’observateurs des droits humains ont déploré, au vue du contexte des départs à la retraite de 77 agents, si l’on se fie au rapport annuel sur les prisons rendu public le 02 mars.
Le diagnostic note que les normes internationales prévoient un garde pénitentiaire pour deux détenus, alors qu’au Sénégal, ce sont deux gardes pénitentiaires pour huit détenus.
MOYENS MATERIELS, FINANCIERS...
Selon Jean-Baptiste Niyizurugero de l’Association pour la prévention de la torture, souvent les Etats africains sont confrontés à un problème de moyens matériels, financiers et autres.
D’après Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Lsdh, il y a même un manque de moyens de transport pour les détenus qui doivent se rendre aux audiences au palais de justice. « Ils sont souvent transportés dans des véhicules en commun réquisitionnés. Et dans le cadre du respect de la dignité humaine, ce n’est pas normal », dit Me Ndiaye.
Le Comité sénégalais des droits humains abonde dans le même sens, en déplorant la violation de la dignité des prisonniers. « C’est vrai qu’il y a manque de moyens, il faudrait que l’Etat s’acquitte de ses obligations, à savoir celle de trouver les moyens pour préserver la dignité des détenus », souligne M. Dramé.
C’est dans ce dessein que la Lsdh a équipé les prisons de poste téléviseur, excepté trois régions, Dakar pour Fort B, Matam et Ziguinchor. Le président de la Lsdh plaide d’ailleurs pour un « plan Marshall à l’endroit des prisons », tout en saluant la politique de réforme entreprise pour l’assistance judiciaire des détenus.