AGROINDUSTRIE : QUAND LE COUP DE MOU DE LA CSS PROFITE AUX NATIONAUX

Géant d'hier, Mimran et la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS), ne sont plus intouchables. Même s'ils ont toujours des arguments à faire valoir, des nationaux ambitieux viennent désormais les titiller. Les commerçants dans le sucre, les entrepreneurs dans la farine... Le baobab est bel et bien secoué.
De la production à l'importation, la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) fait la pluie et le beau temps dans le secteur du sucre. D'abord, elle a bénéficié de 6 000 hectares à Richard Toll pour lui permettre de couvrir la demande nationale, par une production locale, en termes de création d'emplois même si, au début, elle pourrait la combler progressivement, par l'importation.
Du coup, les opérateurs nationaux intéressés par le sucre ne pouvaient rien faire si ce n'est de continuer à protester. Les régimes politiques se sont succédé mais la donne n'a pas changé. Pour cause, la CSS ne semble plus accorder de priorité à la couverture de la demande nationale par une production locale. Aujourd'hui, en plus de monopoliser la production locale, elle la complète par l'importation.
Selon les chiffres de l'Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), la CSS a bloqué sa production de sucre de canne à près de 80 00 tonnes et importe le reliquat pour arroser le marché local, soit 150 000 T/ an. Des importations de "80 200 T en 2010, 75000 T en 2011, 74400 T en 2012 et 73 200 T en 2013", révèle l'ANSD.
Pendant ce temps, les commerçants sénégalais se sont rués dans l'importation de sucre pour exister dans le secteur et se battre contre le géant. Après moult sorties musclées, le ministre du Commerce lâcha un peu de lest. "La CSS a demandé à disposer d'un quota de sucre à importer pour son réseau de distribution. Il a été retenu de lui allouer un quota de 8 000 tonnes et un autre de 17 000 tonnes pour les importateurs. On a aussi décidé de limiter à 10% au maximum le quota que les importateurs sont en droit d'avoir contrairement à l'année d'avant où certains avaient jusqu'à 19%", lit-on dans le communiqué du ministère de tutelle.
Un dispatching que l'UNACOIS ne semble pas comprendre. Selon Ousmane Sy Ndiaye, son Secrétaire permanent, il n'y a pas à chercher loin parce que le sucre est protégé au détriment des nationaux. "L'Etat a mis un système de protection au profit de la compagnie sucrière. Ce qui disqualifie les entreprises nationales. Voilà un exemple patent où on attendait une position de régulation de l'Etat. Quoi qu'on dise, l'usine emploie des Sénégalais donc, il faut faire en sorte qu'il y ait des relations équilibrées permettant à l'usine de produire et vendre son sucre, mais aussi donner l'opportunité aux Sénégalais qui veulent produire ou importer du sucre de pouvoir le faire parce qu'il y a un gap à combler.
La demande dépasse largement les capacités de production de cette usine. L'Etat gagnerait à avoir une position médiane sur la question. Mais malheureusement, il a pris partie pour la compagnie sucrière", se désole-t-il.
Les privés nationaux exclus par les exigences financières?
Même si les nationaux réclament, à juste raison, plus de place dans le marché du sucre, force est de préciser que ce secteur exige des moyens assez importants, eu égard aux exigences du marché international. Selon Louis Lamotte, Conseiller du DG de la CSS, il fut un moment où le marché international était devenu inaccessible. Mais la CSS, dans son obligation de satisfaire la demande locale, a dégagé beaucoup de moyens grâce à beaucoup de découverts dans les banques. "Il faut une régulation plus affinée de l'importation de sucre au Sénégal. Jusqu'en 2012, aucun commerçant n'osait importer du sucre au Sénégal car son prix était très élevé sur l'international. Mais à partir de 2013, ces prix étaient devenus plus abordables. D'où l'immixtion d'une kyrielle d'importateurs. On a eu 55 000 tonnes de sucre produites qui étaient mévendues en 2013", a-t-il rappelé.
Les nationaux ont-ils la possibilité d'exister dans un marché aussi instable ? Même s'il ne le reconnaît pas directement, Ousmane Sy Ndiaye de l'UNACOIS est conscient que les commerçants ont une limite qui a pour nom : faible accès aux financements. "L'Etat doit faire en sorte que les privés nationaux puissent accéder à des services financiers et non-financiers qui permettent de faire face à la concurrence. Ça permettra de faire face au problème de l'emploi des jeunes. Pour cela, il faut que les PME se développent. Le segment de la distribution et de la commercialisation constitue une niche d'emplois incroyable. L'autre intérêt majeur que cela peut procurer au pays, c'est de développer une capacité commerciale capable de tirer la production locale. S'il y a un marché structuré et organisé, des réseaux de distribution modernisés, naturellement la demande va se préciser et l'offre pourrait suivre. Et la meilleure façon de soutenir l'offre en amont, c'est d'organiser le marché et là, il faut d'abord positionner les Sénégalais", plaide-t-il.
Même si les critiques sont multiples, la CSS a des arguments de taille à faire valoir. Elle emploie directement et indirectement environ 18 000 personnes, soit des coupeurs de canne, ouvriers de l'usine, transporteurs et autres, compris, pour une masse salariale d'environ 15 milliards FCFA/ an, injectés dans la zone, sans compter d'importantes recettes fiscales pour le Trésor public.
Alors, les commerçants sénégalais, exclus de fait du segment de la production ? C'est, du moins, ce qui apparaît quand on jette un coup d'œil sur les montants investis par les intéressés et sur ce qu'en dit la législation. "La production de sucre, quant à elle, relève aujourd'hui d'un monopole de fait et non de droit car il est loisible à tout opérateur, sénégalais comme étranger, d'investir dans la production de canne à sucre et l'industrie de fabrication de sucre. En revanche, la protection dont il est question concerne l'activité de production contre les importations de sucre qui, en l'absence de régulation, peuvent anéantir l'activité de production avec de graves conséquences économiques et sociales pour le pays", indique Ousmane Mbaye, Directeur du Commerce Intérieur.
Mais avec la décision du gouvernement d'ouvrir l'importation aux nationaux avec des quotas bien définis, c'est la CSS qui tremble. Selon le Directeur du Commerce Intérieur, en 2014, sur le gap de sucre cristallisé à importer, évalué à 25 000 Tonnes, "les 2/3 ont été octroyés aux importateurs dont la quasi-totalité est constituée de nationaux. Seul le tiers du quota a été attribué à la CSS pour maintenir son activité durant l'inter- campagne. En 2013, tout le gap à importer, soit 62 500 T, leur a été attribué", précise-t-il.