NOUVEAU SOUFFLE

Encore une fois la lutte montre que la mettre en "crise" relève d’un cliché facile. Que les dérèglements normatifs qu’elle connait résident plutôt dans son système d’exploitation (inflation des cachets, démission des promoteurs) et dans les dérapages de ses sujets (violence extra sportive). Que l’essentiel de ce qui la fait vivre est ailleurs, fortement ancré dans une âme nourricière fervente. Beaucoup de dérapages l’affectent en termes de perversion et de déviances chez ses pratiquants, son sens fondamental demeure.
A chaque fois qu’on pense la voir s’affaisser du fait des turpitudes qui la salissent, elle reprend vie sans faiblesse ni essoufflement, mue par cette force intérieure qui lui sert de socle. Les deux événements des 4 et 5 avril, avec la ferveur populaire qui les a accompagnés, expriment cette vitalité. Cela tient beaucoup au fait que cette discipline dépasse le ludique et la performance pour épouser une dimension culturelle. Quand toutes les ethnies se retrouvent autour d’une même pratique pour en partager les règles d’expression et de performance, cela devient un patrimoine.
On peut voir la lutte comme "un monde à part", s’étonnant de son délire et de ses "folies", on y retrouve toujours une partie de soi. Les symbioses qui l’entourent, dans le matériel et le spirituel, entre force physique et puissance mystique, dans la manifestation des traditions et des croyances, rejoignent ce qui interpelle le Sénégalais dans son être.
L’appel des arènes peut paraître vague quand la clameur est encore lointaine. Lorsqu’elle explose on éprouve le souffle de sa vibrante intensité.
Ce début du mois d’avril est ainsi annonciateur d’une déferlante qui, d’affiche en affiche (et il n’en manque pas), va porter la fureur des gladiateurs et l’écho des passions enfiévrées. Rien de nouveau sous le soleil, sans doute. Mais une telle constance dans la vitalité renouvelée d’une discipline témoigne de sa source inépuisable.
Ce qui fait vivre la lutte s’exprime dans sa dynamique de renouvellement qui la pousse à se réinventer comme spectacle. Autant un match de football à Demba Diop se joue suivant le même rituel qu’il y a cinquante ans, autant le Mbaye Guèye-Double Less de 1974 (déjà révolutionnaire) rappelle un combat du Neandertal par rapport au spectacle qui s’offre aujourd’hui.
Aucune autre discipline sportive n’a, autant que la lutte, suivi les exigences de la mise en valeur commerciale qui lie de plus en plus le sport à l’industrie du spectacle. Sa rencontre avec la télévision a été un filon doré qui, aujourd’hui, brille d’un nouvel éclat. Sauf qu’il faut se méfier de la splendeur qu’offrent les médias. Ces promoteurs du troisième type épousent une logique plus rationnelle qu’affective.
On est loin des amateurs qui nouaient les combats dans les grands places, entre deux coups sur le damier et un "tout atout" flamboyant aux cartes. La différence s’impose également avec les "match-makers" logés dans des structures de "productions", pour qui l’investissement se nourrit d’un part d’affection et d’amour pour la discipline.
L’implication heureuse des chaines de télévision dans le montage et l’organisation des combats est une convergence d’intérêts. Elle épouse une logique marchande plus qu’elle ne repose sur du mécénat et ne vit pour la beauté de l’art. L’audience et les retombées financières, autrement dit la promotion, la pub et le sponsoring sont encore, plus que jamais, le fil au bout duquel vont danser les lutteurs.
Cette évolution entamée il y a quelques années, et qui se consolide, épouse le temps. Depuis des décennies les médias sont devenus les maitres du spectacle sportif de haut niveau. Ils dictent parfois le timing et les programmations, sans aucun autre intérêt que la marchandisation.
Le couple peut être gagnant, quand des professionnels de l’image s’imposent dans la mise en valeur et la vente d’un spectacle. Mais ce n’est point une affaire de mécènes et de bons samaritains.
Pour danser encore longtemps au bout de ce fil sans le casser, la lutte a des défis par rapport à des valeurs à préserver. Les sports de combats ont toujours un code moral qui "anoblit" la violence dont ils sont porteurs. Courage, fraternité, respect de l’autre, fair-play, etc., forment les marques de grandeur. Et jusque dans le sang des gladiateurs qui mouraient au milieu de l’arène, la Rome antique ne voyait que la noblesse de la victoire et le courage de la défaite, se cachant la barbarie de la mise à mort.
Les "télés" n’apportent pas une nouvelle vie à la lutte. C’est un souffle qui sera porteur à la mesure du rythme des arènes.