LA CASAMANCE SINISTRÉE
CRISE DU TOURISME AU SÉNÉGAL

Ces cinq dernières années, les touristes fuient la Casamance. Les annonces du Président Macky Sall en faveur du tourisme rassurent les acteurs du secteur, mais la crainte reste palpable.
Il suffit d’une courte balade dans les rues de Cap Skirring pour être frappé par la désertion des touristes en Casamance. Les habitants de cette station balnéaire, qui se repose presque exclusivement sur le tourisme, sont à l’affût du moindre passant.
Un touriste, identifié comme tel, ne marche pas cinquante mètres sans se faire arrêter dans sa promenade par un vendeur de rue qui essaie désespérément de vendre ses bijoux artisanaux, ses fruits ou ses masques de bois. Toujours très gentiment, très poliment ils essaient de gagner quelques francs Cfa supplémentaires pour survivre.
Le tourisme est un secteur clef pour le développement économique de la région, mais ces dernières années les voyageurs désertent le Sénégal. La saison 2014-2015 a d’ailleurs été la pire pour les professionnels du tourisme en Casamance. Ce phénomène est d’autant plus frappant à Cap Skirring, cette ville quasiment créée pour et par le tourisme.
Pour expliquer la baisse des fréquentations touristiques, Modou Diouf, coordinateur de l’Office de tourisme de Casamance, évoque plusieurs raisons : «Le conflit séparatiste, l’effet Ebola, l’enclavement de la région et les recommandations négatives des différents ministères des Affaires étrangères à leurs ressortissants.»
Depuis près de 30 ans, la Casamance souffre d’une mauvaise image auprès des Sénégalais et des étrangers à cause du conflit séparatiste qui oppose les rebelles indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance et les forces gouvernementales. Même si le conflit est en voie de résolution, les touristes semblent redouter un regain de violence.
De plus, la Casamance est une région difficilement accessible. Coincée entre la Gambie et la Guinée Bissau, les voyageurs ne peuvent s’y rendre que par avion ou par bateau.
Récemment, l’Etat a mis en circulation deux nouveaux bateaux pour tenter de désenclaver la région.
Coup de massue supplémentaire : la crise du virus Ebola en Guinée. Beaucoup de touristes, craignant que le Sénégal soit touché par le virus, ont annulé leurs réservations sur le champ. «Les occidentaux font beaucoup d’amalgames sur l’Afrique et ils confondent les pays concernés par Ebola», commente Modou Diouf.
Le président de l’Office de tourisme de Casamance critique également le fait que «plusieurs ministères des Affaires étrangères occidentaux considèrent la Casamance comme une région dangereuse». A titre d’exemple, la France, principal pays émetteur de touristes au Sénégal, inscrit la Casamance parmi les régions plus dangereuses du pays. Cette zone est décrite comme «déconseillée aux voyageurs sauf raison impérative» par le site du ministère des Affaires étrangères français.
Tout le reste du Sénégal est classé «vigilance renforcée». «Les recommandations fournies par ce site sont d’une importance capitale, car les Français accordent beaucoup de crédit à ces informations et 50% de la clientèle touristique au Sénégal provient de France justement», avance Modou Diouf.
Pour Véronique Chiche, propriétaire de l’hôtel Le Flamboyant à Ziguinchor, «la France fait preuve d’une grande prudence à l’égard de ses ressortissants, mais en Casamance on n’est pas plus à risque que d’autres régions du Sénégal».
A ce sujet, Christian Jacquot, membre du syndicat d’initiative pour le tourisme en Casamance, estime qu’«il est inadmissible que les autorités sénégalaises ne demandent pas à la France de revoir sa copie». Il propose de prendre exemple sur le Maroc : «Les autorités marocaines ont alerté le ministère français et depuis tout le Maroc est inscrit en ‘vigilance normale’».
Pour autant, les recommandations de la France ne peuvent pas être tenues pour seules responsables de la détérioration de l’image de la Casamance : «La crise économique en Europe est également un facteur de baisse touristique important. Les Européens font des économies et leur budget vacances en a pris un sacré coup ces dernières années», assure Christian Jacquot.
Les établissements hôteliers ferment tour à tour et le sentiment d’inquiétude gagne les acteurs du tourisme en Casamance. Youssouph Cissoko, propriétaire de l’hôtel Cisko, juge que la baisse du tourisme est «une véritable catastrophe pour la Casamance». Dans son complexe hôtelier doté d’une trentaine de chambres, toutes sont vides. Aucune n’est louée ni même réservée. A la pause déjeuner, la serveuse dresse soigneusement les tables.
«Le restaurant peut accueillir une centaine de couverts, mais en moyenne on ne dépasse pas 3-4 couverts par jour», précise le gérant. Une fois la nuit tombée, les faisceaux colorés illuminent la piscine, mais la terrasse est vide et le silence règne. Youssouph espère vainement de nouveaux clients.
«Lorsque j’ai ouvert l’hôtel j’ai embauché quarante personnes, mais je n’avais pas assez de clients. Du coup, j’ai dû licencier une vingtaine d’employés», avoue-t-il avec une pointe d’amertume dans la voix. Le cas de Youssouph est loin d’être isolé à Cap Skirring. Chaque fois qu’un établissement met la clef sous la porte, plusieurs emplois sont supprimés. Le secteur du tourisme est sinistré en Casamance ; les répercussions sur les habitants sont parfois terribles.
«Ici tout le monde vit du tourisme, explique Youssouph, s’il n’y a pas de touristes les pêcheurs ne peuvent plus vendre leur poisson aux restaurants, les agriculteurs ne peuvent plus vendre leurs légumes, les taxis n’ont plus de clients... C’est un engrenage.»
Ce jeune Sénégalais d’une quarantaine d’années a failli décider, comme d’autres hôteliers, de fermer son établissement pour retourner en Suisse, où il gère une école de musique. Mais pour lui, «hors de question de baisser les bras».
Au lieu de suivre le mouvement, Youssouph a décidé au contraire de poursuivre ses projets. Il entend ainsi attirer un autre type de clientèle : les groupes de touristes et les tours opérateurs. «J’ai également créé un studio d’enregistrement dans lequel je laisse les jeunes Casamançais enregistrer leurs disques gratuitement pour les aider à se lancer», dit-il.
Dans ce climat de crainte ambiant, les annonces du Président Macky Sall le 3 avril, en faveur du tourisme, ont rassuré les habitants et les acteurs du tourisme casamançais. Le gouvernement sénégalais a promis de supprimer le visa à partir du 1er mai 2015 pour simplifier l’entrée dans le pays. Depuis juillet 2013, toute personne étrangère souhaitant se rendre au Sénégal pour un court séjour doit d’abord commander un visa sur internet ou dans une ambassade, puis s’acquitter de la somme de 33 mille francs Cfa. Une démarche administrative qui a découragé de nombreux touristes.
Parmi la série de mesures annoncées pour relancer le tourisme au Sénégal, il y a aussi la réduction des taxes aéroportuaires. Le prix du billet d’avion pour se rendre au Sénégal devrait ainsi fortement baisser. Lorsque Youssouph a appris la nouvelle, il a organisé une grande fête dans son hôtel avec plusieurs groupes de musique du village. Au son des tam-tam et des djembés, une centaine d’habitants de Cap Skirring ont célébré toute la nuit un probable retour du tourisme dans la région.