VIDEO"CE QUE YOUSSOU NDOUR A FAIT POUR NOUS"
L'ORCHESTRA BAOBAB
Choisi pour animer la soirée d'ouverture du festival de jazz de Saint-Louis qui s'ouvre aujourd'hui, l'orchestra Baobab respire toujours la pleine forme. Dans cet entretien accordé à EnQuête, Balla Sidibé et Rudy Gomis, deux des chanteurs du mythique groupe, lèvent un coin du voile sur les péripéties de la recomposition de groupe. Une entreprise dans laquelle le leader du super étoile Youssou Ndour a joué un rôle capital, selon les "vieux" du baobab, qui ont aussi expliqué pourquoi ils chantent la première Dame, Marème Faye Sall.
L'orchestra Baobab est choisi pour animer la soirée d'ouverture du festival de jazz, comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
Balla Sidibé : Nous l'avons très bien accueillie parce que souvent les organisateurs amenaient des orchestres cubains, Aragon par exemple. Pourtant, il y a des orchestres aussi talentueux ici au Sénégal. Cette fois-ci, ils se sont peut-être dit, au lieu de dépenser trop, on va dépenser peu en prenant un orchestre qui est là. Ils sont tombés sur le "Baobab" et nous sommes satisfaits. Faire l'ouverture, c'est notre rôle en tant que doyens. Cela nous fait énormément plaisir de prester sur la scène du festival de jazz.
Rudy Gomis : Moi ce que je ne comprendrai jamais, c'est pourquoi enrichir des gens de l'extérieur alors qu'on a un potentiel ici. Je crois que le festival de Saint-Louis doit refléter en grande partie notre culture sénégalaise. Je ne dis pas qu'on doit exclure les autres mais qu'on montre ce que nous autres Sénégalais détenons sur le plan culturel. Quand les gens font par exemple le festival de New-Port, ils n'invitent aucun Sénégalais. A la limite, ils invitent juste un orchestre africain.
Que comptez-vous proposer aux Saint-Louisiens à l'ouverture du festival de jazz ?
B.S : On va leur présenter le répertoire du "Baobab". On va mettre du nouveau et des anciens pour les mélomanes. Déjà qu'il faut montrer aux gens que le "Baobab" ne joue pas toujours les mêmes morceaux. On travaille et on crée. Dernièrement, on a fait un nouveau Cd et il n'y a que de nouveaux morceaux dedans. Mais cela est produit à l'extérieur. On ne peut pas jouer tout le répertoire nouveau. Ce ne serait pas intéressant.
R.G : Vous savez, quand on débutait pour la seconde fois l'orchestre du "baobab", on l'a fait à Saint-Louis. C'était au Quai des arts et c'était bien. Quand on parle de jazz, les gens pensent que c'est juste ce que jouent les Américains et autres. Mais l'orchestra "Baobab" a au moins un morceau qui est très "jazzy". Ne serait-ce que pour ce morceau, on peut jouer dans ce festival. Et SaintLouis, c'est chez nous.
Vous parlez de répertoire nouveau alors que le "Baobab" actuel ne semble faire que dans les reprises de classiques du "Baobab" des années 1970. Vos nouveaux titres auraient-ils du mal à avoir le même succès que vos premières compositions ?
B.S : Ceux qui le disent ne viennent pas aux soirées du "Baobab". Quand vous venez au "Must", au "Just for u" dans les soirées de gala que nous animons, vous découvrirez des morceaux que vous n'avez jamais entendus. Ce sont les gens qui ne viennent pas à nos soirées qui pensent qu'on ne fait que des reprises mais ils ne savent pas de quoi ils parlent. Il faut venir s'asseoir et écouter le "Baobab."
R.G : Il y a une équation avec les orchestres qui existent depuis longtemps. Un nouveau morceau est celui que tu n'as jamais entendu. Une vieille chanson, c'est celle que tu as écoutée et réécoutée. Et quelquefois quand on va jouer, ce sont les gens eux-mêmes qui nous poussent à jouer nos anciens titres. On joue un nouveau titre et ils viennent nous voir pour nous dire : "c'est bon cette musique, c'est vraiment bon mais est-ce que vous ne pourriez pas me jouer Lamine Guèye" ? Mais là, on est obligé de le faire. Les grands orchestres ont des répertoires riches. Ils sont condamnés à toucher par-ci et par-là. "Liti liti" est une chanson très ancienne mais qu'on est obligé de jouer à chacune de nos soirées.
Parmi ces nouveaux morceaux, il y a un que vous dédiez à la première dame. Pourquoi chanter Marième Faye Sall ?
B.S : C'est une dame qui est généreuse. Cela veut dire tout. Elle aide beaucoup les musiciens. Avec "Servir le Sénégal", elle fait beaucoup de choses pour les Sénégalais. Ceux qui disent le contraire sont mus par la mauvaise foi. Elle venait aux soirées VIP du Baobab. Cependant, on ne fait pas de la politique. De 1970 à aujourd'hui, on n'est jamais allé à la présidence. On pouvait écrire et être reçu mais on ne l'a pas fait.
R.G : On voit ce que cette chanson fait quand on retourne à l'autre page du "Baobab". Au regard de cela, les gens pourront se dire : "Ah ! Même eux s'y mettent maintenant !" Mais ce n'est pas un problème pour nous. Tous les gens savent qu'on ne triche pas. Si on a la chance de faire un nouvel album, on va mettre cette chanson. Et pourquoi on ne chanterait pas notre première dame ?
Quand vous jouez et que vous vous retournez, qui voyez-vous ?
B.S : On voit des personnes âgées et des gens moins âgés que nous. On voit également des jeunes qui s'intéressent à ce que fait "Baobab". J'ai vu récemment un jeune qui m'a dit qu'à chaque fois que le "Baobab" joue, il vient parce qu'il est fatigué d'écouter certains musiciens.
R.G : En général, tout nouveau est tout beau. Mais cela ne veut pas dire que toute chose nouvelle est belle. Mais cela ne veut pas dire que toute chose nouvelle est meilleure aussi. Nous touchons à tout. Cependant, il y a des jeunes qui viennent nous voir et quand on les regarde, on a l'impression qu'ils ont vu des vampires. Les rappeurs ont repris des chansons du "Baobab". Ils ont remixé c'est vrai et changé des notes, mais ça reste du "Baobab". Cela démontre qu'un morceau bien conçu reste éternel comme celui qui l'a conçu.
Pourquoi le "Baobab" n'a jamais fait le "mbalax" populaire que l'on connaît ici ?
B.S : On fait du mbalax pur et dur et jusqu'à présent, mais la différence est que le "Baobab" n'utilise pas le tam-tam. Ce n'est pas le ''mbalax'' populaire c'est vrai mais c'est du ''mbalax'' quand même. Vous savez le ‘‘mbalax", il suffit d'enlever le "sabar" pour avoir de la salsa. Nous sommes des Sénégalais on est obligé de faire la musique des Sénégalais.
R.G: Il y a une chanson qu'on a reprise récemment "weuy lène diaraf yi Sénégal". Quand on jouait ça avant, il y avait une deuxième partie où c'était juste que du "sabar". Maintenant, qu'est-ce que les gens appellent mbalax ? C'est ça la question. Le mbalax est une forme de rythmique accompagnatrice qu'utilisent les "wolofs" qui l'ont pris des "naar". Cela mis à outrance peut gêner l'étranger. Il se perd dans le tempo. Il n'y a que les Sénégalais qui savent danser le "mbalax". Encore que si vous prenez dix personnes qui dansent le "mbalax", ils ne sont pas tous sur le même tempo. Pour l'orchestra "Baobab", il était préférable de faire quelque chose de panafricain. Beaucoup de gens disent qu'on n'aime pas jouer le "mbalax". Mais ce n'est pas ça. C'est trop facile pour nous. Et pour les contenus qu'on a, la rythmique n'y sied pas. Si je dois chanter les louanges de ma mère et de mon père, c'est très facile de le faire avec le mbalax. Mais quand on développe des thématiques historiques par exemple, on ne peut pas y mettre des percussions à outrance au risque de noyer le message.
Vous êtes restés absents de la scène musicale pendant 15 ans. Vous êtes revenus grâce à un partenariat avec un producteur anglais, Nick Gold. Comment vous vous êtes rencontrés ?
B.S : Il y a eu des contacts entre Nick Gold et Youssou Ndour. Ce dernier m'a appelé pour me dire que l'Anglais avait besoin de nous. Youssou Ndour est un gars honnête. Il nous a mis en contact avec lui et l'une des employées de Nick Gold qui s'appelle Jenny. Elle nous aidait parce qu'on ne parle pas anglais. Je profite de l'occasion pour remercier Youssou Ndour, parce qu'il pouvait dire qu'il ne connaissait pas le "Baobab". D'autres l'ont fait. Il y en a même qui ont dit que les musiciens du "Baobab" sont morts. On a reconstitué après le groupe avec difficulté mais on y est arrivé quand même. On a pu faire une tournée en Angleterre en 2001. On a signé un contrat pour dix ans et on travaille encore avec lui.
Parlant de Youssou Ndour, est-ce vrai que c'est sur son conseil que vous avez recruté Assane Mboup ?
R.G : On cherchait un chanteur qui pouvait reprendre les chansons de Laye Mboup. Parce que ça allait être dommage de laisser un répertoire aussi riche comme ça. On cherchait et c'est Youssou Ndour qui nous a dit : "Prenez Assane Mboup", il pourra faire ça. Et ce n'est pas que ça que Youssou Ndour a fait pour l'orchestra "Baobab". Il faut rendre à Caesar ce qui est Caesar. Si vous remarquez bien, il y a beaucoup de chansons du "Baobab" dans lesquelles Youssou Ndour a participé. Et il nous dit souvent : "J'aimerais être comme vous quand j'aurai votre âge". Un jour, j'ai réfléchi et je me suis dit : il a raison. Si moi je faisais du "mbalax" à 70 ans, j'opterais pour une musique autre que celle qui fait sautiller les gens. Je chercherais quelque chose de plus classique. Nous sommes en quelque sorte des modèles. Youssou ne nous a jamais laissé tomber. Nous n'avons aucun grief contre lui. Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, il est le "Pape du mbalax".
B.S : On a passé 10 jours avec lui en Angleterre quand on enregistrait notre album et on a passé aussi beaucoup de temps dans son studio aux Almadies. Quand on le voit, c'est dans une ambiance collégiale et bon enfant.
Après votre retour sur scène, Latfi Benjelloun serait reparti. Que s'est-il passé ?
B.S : ce n'est pas un évènement. On jouait un soir au "Just for u" ; il s'est senti frustré, je ne sais pas pourquoi. Après il a plié bagages et il est parti.
R.G : Je crois qu'il serait préférable que vous le lui demandiez. Si on exclut quelqu'un, on est tenu de donner des raisons. Mais si quelqu'un décide lui-même de partir, c'est à lui qu'on doit poser des questions. Dans l'orchestre du "Baobab", on n'a jamais renvoyé qui que ce soit. Si la personne se sent frustrée, elle peut partir ou venir en faire état. Après on règle le problème. On ne peut pas se mettre à courir derrière les gens alors qu'il ne manque pas de musiciens sur le marché. Benjelloun est le meilleur accompagnateur sénégalais. Mais il n'est pas D'Artagnan, ni le Pape, encore moins le "Khalife général". Et même le Khalife général, quand il meurt, on le remplace.
Vous n'avez jamais cherché à savoir pourquoi il est parti ?
B.S : On a essayé de le ramener même si on se dit que quand quelqu'un part, tant pis ! On a essayé avec Benjelloun parce que c'est notre ami, notre frère et un bon accompagnateur. Moi, je l'ai interpellé plusieurs fois personnellement afin qu'il revienne. On n'a rien contre lui. Et quand il joue à Kaolack ou ailleurs, il m'appelle pour que je chante.
Pourquoi vous ne tournez plus comme avant ?
R.G : On habite et vit au Sénégal, et puis, on vieillit. Ce qu'on pouvait faire avant devient dur à faire pour nous aujourd'hui. Ce n'est plus de notre âge de prendre des tournées d'un mois et demi pour faire des voyages à n'en plus finir. On essaie de jouer moins et de gagner autant qu'avant. Plus on devient fort, plus on peut exiger de juteux cachets.
B.S : On a beaucoup souffert dans les aéroports. Même si on reste à Dakar, on joue régulièrement. Si on n'anime pas de soirées de gala, on preste dans les boîtes de nuit et cabarets. Et jouer une soirée de gala équivaut à trois contrats joués à l'étranger.
Juridiquement sur les textes, qui est "Baobab" ?
B.S : "Baobab", c'est nous. On est dix. Mais il y a quatre signataires. Il y a Attisso Barthélémy qui est le chef d'orchestre, Ndiouga Dieng qui est le financier, Rodolphe Gomis chanteur et Balla Sidibé chanteur. C'est eux qui ont signé des contrats. Le chanteur est toujours leader.
R.G : Nous sommes assez spéciaux. Nous sommes des auteurs compositeurs. C'est nous qui amenons la matière et tout le monde la répète. Et à "Baobab", on fait une chose qu'aucun orchestre ne fait au Sénégal. C'est pour cela d'ailleurs que nous sommes là depuis 1970. Quand on joue à l'étranger, ce que l'on gagne par prestation, on se le partage à parts égales. Quand on recrute quelqu'un aujourd'hui et que demain il participe à un concert où il chante juste deux morceaux, si on me donne 10 F, lui aussi aura 10 F. Le seul surplus est que les auteurs compositeurs gagnent après des droits à la Sacem ou au Bsda.
Cela signifie que les chansons étaient déclarées à titre personnel au niveau du défunt Bsda ?
B.S : Le Bsda ne connaît pas un groupe. Il connaît un individu, c'est-à-dire l'auteur compositeur.
R.G : On peut quand même déclarer une chanson suivant un système de label où l'on se dit qu'on s'appelle Fina par exemple. Au moment du paiement, il paie à Fina. C'est ce que font les Touré Kunda par exemple ou encore le groupe Africando.
Quand "Baobab" venait de naître, il y avait le "Star band", puis "Number one". Il y avait une rivalité entre vous et chacun de ces groupes entretenu par les propriétaires et les publics des salles dans lesquelles prestaient chacun de vous. Vous les musiciens, comment avez-vous vécu ces moments ?
B.S : Le "Star band", c'est le "Baobab". C'est ceux qui étaient au "Star band" qui ont formé le "Baobab". Alors il n'y a pas eu de rivalité. Quand on est parti, d'autres nous ont remplacés.
R.G : Nous, quand on a quitté le "Star band", on a baptisé notre groupe "Baobab". Quand Youssou Ndour a quitté le "Star band", il a créé le "Super étoile". Les gens du "Number one" viennent de "Star band". On reconnaît quand même avoir eu une seule rivalité avec le "Number one" qui était peut-être notre alter ego à cette époque-là. On n'avait pas le même style. La preuve, le temps nous a donné raison. Eux, ils utilisaient le talking drums. Dans le "Baobab" actuel, vous retrouvez tous les bons gars du "Number one". Donc cette rivalité, c'est le public qui l'entretenait. Une fois, ils ont organisé une compétition entre le "Baobab" et le "Number one". Le meilleur devait gagner une coupe. Cette compétition, c'est comme si on demandait à l'équipe du Barça d'affronter l'équipe du Sénégal. Il n'y a pas match. Il y en a un qui va écraser l'autre. L'équipe la plus faible pourrait avoir quelques éclats. Nous, on a joué avec Aragon. Et ils ont juste joué notre première partie. Vous savez ce que cela signifie en musique. Ce jour-là, on a gagné la coupe et les gens se sont battus là-bas. Il y avait des musiciens du "Baobab" qui n'étaient pas d'accord.
B.S : Nous n'étions pas venus pour la coupe. Lorsque le jury donnait le verdict, moi j'étais sur ma moto. Je rentrais. Vous savez, le "Baobab" crée des chansons et des rythmes. On ne fait pas que des reprises. On est très rigoureux dans le travail. On va jusqu'à s'empoigner lors des séances de répétition, mais on ne se bat jamais.