PRÉCÉDENTS INQUIÉTANTS
Le dispositif de mise en œuvre du PSE tel que décliné par le président de la République pose plusieurs problèmes dont la somme prédispose à une forte probabilité de conflit de compétences entre administrations étatiques

Le discours de son Excellence Monsieur Macky SALL, à l’occasion du Conseil Présidentiel sur le partage des résultats du Plan Sénégal Emergent (PSE), tenu le sept (07) avril 2015 au Complexe Abdou DIOUF de Diamniadjo, appelle de ma part certains commentaires.
Tout d’abord, je voudrais poser deux interrogations de fond :
- La première est liée au titre même du thème de ce Conseil Présidentiel : « Partage des résultats du PSE » ? Dès lors que le PSE se veut être une stratégie de long terme (20 ans), on peut s’interroger sur la pertinence et l’opportunité de parler de « Partage des résultats », un an seulement après son adoption. A mon sens, il aurait été plus judicieux et plus sérieux de parler de Partage sur l’état d’avancement dans la mise en œuvre du PSE. Aussi, cet état d’avancement aurait-il permis de mettre en relief, entre autres aspects : 1) la mise en place du dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation, 2) la mobilisation des financements ; 3) les avancées dans l’élaboration des projets et réformes phares et des ajustements nécessaires à leur mise en œuvre, et 4) d’éventuelles réalisations primaires. Ce qui aurait évité d’engager le Président de la République dans un exercice périlleux de déclinaison de résultats tangibles qui ne peuvent être qu’insignifiants voire inexistants, un an seulement après l’adoption du PSE.
- La seconde interrogation de fond que pose le discours du Président est justement son orientation sur la déclinaison des résultats du PSE et non sur l’interpellation des instances de mise en œuvre et de suivi-évaluation sur le niveau d’atteinte des objectifs et des cibles. En effet, dans pareille circonstance, le discours introductif du Président doit plutôt interroger les responsables de la mise en œuvre et du suivi-évaluation sur leurs performances. A la place de cette interpellation, le discours du Président de la République a été orienté, volontairement ou non, vers une présentation de résultats (quasi inexistants), tout en donnant une note de satisfaction. S’agit-il d’une volonté subtile de faire assumer au Président de la République des responsabilités qui ne sont pas les siennes ou de lui faire avaliser des manquements graves actuels et futurs d’un dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation en désarticulation totale avec celui initialement décliné dans le PSE (j’y reviendrai plus loin) ?
Ces deux questionnements de fond permettront aux lecteurs de prendre connaissance des autres manquements du discours ci-après relevés, et de mieux appréhender les incohérences qu’on a fait dire au Président de la République.
Premier passage commenté : « Au plan macroéconomique, la croissance du Produit intérieur reste positive, passant de 1,7% en 2011 à 4,5 % en 2014, avec une projection attendue de 5,4% en 2015; ce qui nous rapproche du taux moyen de croissance fixé par le PSE. Ces performances sont également notées dans la réduction du déficit budgétaire, la maîtrise de l’inflation et du niveau de la dette publique. »
Premier Commentaire : La performance du PSE est ici injustement appréciée. Il aurait fallu dire d’abord que le Sénégal a atteint un taux de croissance du PIB de 4,5% en 2014, ensuite comparait ce taux de croissance à l’objectif projeté par le PSE qui est de 4,9% (Annexe VI du PSE : Indicateurs de suivi du PSE 2014-2018), avant d’indiquer son rapport avec celui de 2011. En effet, le premier élément de comparaison d’un résultat atteint est l’objectif projeté et non le résultat antérieur. Par conséquent, il fallait d’abord constater que la croissance enregistrée en 2014 est en deçà de celle projetée du PSE pour la même année, avant d’indiquer qu’elle constitue un progrès par rapport à 2011 (1,7%). Par ailleurs, signaler ici la projection de 5,4% pour 2015 et dire que cela nous rapproche du taux moyen fixé par le PSE apparait comme une véritable diversion, dans la mesure où le PSE projette pour 2015 un taux de croissance du PIB de 6,7%. Au total, il est étonnant que la contreperformance (résultat 2014 en deçà de la projection) et la revue à la baisse de l’objectif pour 2015 (5,4% au lieu de 6,7% fixé par le PSE), qui devraient plutôt susciter une inquiétude, fasse l’objet d’une mention de satisfaction : « ce qui nous rapproche du taux moyen fixé par le PSE ».
Second passage commenté : « S’agissant des réalisations proprement dites du PSE, j’en ai donné un aperçu assez large dans mon message à la Nation à l’occasion du nouvel an. »
Second Commentaire : Cette phrase est ambigüe ! Tout d’abord, pourquoi devrait-on renvoyer au discours de fin d’année pour examiner les réalisations proprement dites du PSE, alors qu’on est dans le CP (Conseil Présidentiel) qui est considéré comme étant l’espace dédié au partage de ses résultats ? Or, les fondamentaux du suivi-évaluation et le bon sens ne permettent pas de comprendre qu’on invite au partage des résultats du PSE et renvoyer les participants à un autre discours pour prendre connaissance des réalisations concrètes. Aussi, me suis-je rappelé que ledit discours du 31 décembre 2014 avait plutôt décliné des annonces de réalisations futures relatives au pôle urbain de Diamniadio, à l’agriculture, à l’éducation, etc. et moins des achèvements concrets (réalisations) dont les seuls y figurant, portaient sur les bourses familiales et le Centre Abdou Diouf de Diamniadio.
Pour autant, je me suis empressé d’aller revoir le discours du 31 décembre 2014, en me disant que je l’avais sans doute mal lu. Mais sans surprise, la relecture dudit discours n’a fait que confirmer mes souvenirs sur la faiblesse voire l’absence de contenu sur des réalisations concrètes.
On peut donc s’interroger sur les causes de ces manquements dans cette partie du discours consacrée aux réalisations concrètes du PSE. Est-ce le fait d’un déficit de réalisations palpables du PSE ? Ou bien s’agit-il d’un manque dans le dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation ? Ou encore, s’agit-il d’une insuffisance dans la planification initiale du PSE, notamment dans l’élaboration d’un cadre de résultats disposant très clairement les différentes logiques relatives aux liens de causalité et ceux de mesure et/ou de caractérisation des progrès attendus ? A mon humble avis, il y a un peu des trois aspects.
Relevons qu’après le renvoi au discours du 31 décembre 2014, le président de la République, poursuivant son discours sur la partie réalisations concrètes, notamment les projets phares, a énuméré beaucoup plus des objectifs (pour l’éducation, pour l’agriculture, etc.) et des actions lancées et rarement des achèvements.
Bref, on peut relever que le discours du Président de la République lors du Conseil Présidentiel de partage des résultats du PSE, tout comme celui du 31 décembre 2014, ne décline pas de réalisations concrètes attribuables au PSE !
Troisième passage commenté : « Quand on se fixe l’émergence comme objectif, on est tenu d’adopter des normes de performance et des pratiques conséquentes dont la diligence et la réactivité ne sont pas des moindres.
Sur ce plan, nous avons encore beaucoup d’efforts à fournir pour éliminer les lenteurs incompatibles avec la culture de la gestion axée sur les résultats (GAR), qui constitue la logique et la finalité du PSE. »
Troisième Commentaire : La première phrase est incompréhensible, alors que la seconde traduit soit une méconnaissance réelle de ce que c’est la GAR soit une fantaisie particulièrement ridicule voire inacceptable : Comment peut-on considérer la GAR qui est une approche, comme étant la finalité du PSE ?
J’aurai pu continuer à relever des passages et à en commenter les manquements, mais je vais m’en arrêter là et passer à un autre aspect du discours du président de la République qui de mon point de vue pose les jalons d’une mise en œuvre échouée du PSE. Il s’agit de la partie consacrée au dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation.
Sur ce point, je suis franchement catastrophé par le contenu du discours ! Comment peut-on faire dire au Président autant d’amalgames et d’incohérences ?
En effet, le dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation tel que décliné pose plusieurs problèmes dont la somme prédispose à une forte probabilité de conflit de compétences permanent entre administrations étatiques. Ce qui constitue un précédent dangereux et un antagonisme à la Gestion Axée sur les Résultats (GAR).
Principalement, on note que les instances de mise en œuvre et de suivi-évaluation déclinées dans le document du PSE, en dehors du Bureau Opérationnel de Suivi du Plan Sénégal Emergent (BOSSE), sont royalement ignorées par le Discours du Président ! Pour rappel, les instances prévues dans le PSE sont : i) deux (02) organes de gouvernance (un Comité d’Orientation Stratégique-COS et un Comité de Pilotage-COP) ; ii) un Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal émergent (BOSSE) ; iii) des structures d’exécution des projets logées au niveau des ministères techniques ; et iv) des Mécanismes de partage des résultats avec les acteurs (réunions trimestrielles de partage et des comités régionaux de suivi évaluation).
Le premier problème que le dispositif décliné dans le discours est relatif au ministère du PSE et au Bureau Organisation et Méthode (BOM). En effet, Le ministère du PSE apparait subitement (depuis environ un an), alors qu’il n’est ni prévu dans le dispositif initial ni recommandé par une quelconque analyse évaluative connue. En plus, voilà un ministère en dehors du gouvernement avec une seule Direction générale ! Quant au BOM, créé pour assurer « une mission d'impulsion et d'accompagnement des réformes nécessaires à la modernisation de l'Administration et à l'amélioration de la qualité du service public », il se voit subitement attribuer une fonction de gestion du cadre de résultats des politiques sectorielles ! Là aussi, ce positionnement du BOM ne relève ni des prédispositions du PSE ni d’une évaluation connue.
Aussi, l’intrusion de ces deux administrations dans la mise en œuvre et le suivi-évaluation du PSE donne-t-elle l’impression d’une organisation parallèle à celle du gouvernement. A mon humble avis, cela est singulièrement complexe et pro-conflictuel.
Le second problème que pose les annonces du discours sur le dispositif porte sur une sorte de remise en cause des compétences de certaines institutions : Comment peut-on ramener le ministère de l’Economie et des Finances à une fonction de « suivi d’un tableau de bord des opérations soumises par les sectoriels », alors qu’il dispose de structures et d’instances rompues à la pratique de la planification et de l’évaluation sectorielle tant technique que financière ? Comment peut-on ramener la Primature à une fonction de « dernier ressort de mutualisation de la collecte de données, à des fins d’évaluation permanente des actions du Gouvernement », alors que c’est elle qui assure la fonction de « Top management » de l’action gouvernementale ?
Au regard de ces manquements, on peut se demander si ledit discours du Président de la République a fait l’objet d’une rédaction objective et sereine, partagée avec l’ensemble des parties prenantes à la conception, à la mise en œuvre et au suivi-évaluation du PSE.
Aussi, peut-on comprendre que l’ensemble de ces manquements du discours du président de la République ait suscité en moi une inquiétude particulière dont je ne pouvais m’empêcher de partager la substance. Mais soulever des problèmes sans proposer des solutions ne sert pas à grand-chose. C’est pourquoi, me fondant sur des principes majeurs de la GAR dont entre autres, la simplicité, l’apprentissage par les leçons et la responsabilité, je formule avec beaucoup d’humilité les recommandations suivantes :
- Valoriser les bonnes pratiques de l’expérience tirée du processus du Document de Stratégie pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSRP) : une pratique de 10 ans continuellement bonifiée par l’apport d’expériences combinées des administrations gouvernementales, des organisations du secteur privé et de la société civile ainsi que des partenaires techniques et financiers. Valoriser les leçons apprises de ce processus DSRP, c’est reconnaitre du respect à des sénégalais dont la seule motivation est de servir leur pays avec compétence, rigueur et loyauté. Mais, valoriser les leçons apprises de ce processus, c’est surtout fonder les bases de réussite du PSE.
- Intégrer les projets et les réformes phares et les autres actions sectorielles dans un cadre de résultats global cohérent : les projets et les réformes phares ne peuvent être isolés ; ils doivent démontrer leur lien de causalité et de synergie avec les autres programmations sectorielles vers les résultats attendus du PSE, Autrement, on donne l’impression de disposer de deux stratégies de développement : l’une élitiste (projets et réformes phares) et l’autre misérabiliste (autres opérations sectorielles).
- Reconsidérer le positionnement de certaines structures : i) Supprimer le Ministère du PSE et recentrer la mission du BOSS auprès du Président de la République, en la renforçant dans sa fonction de « Delivery Unit » empruntée à l’Angleterre et que Son Excellence Macky SALL avait évoqué plusieurs fois auparavant, mais retomber dans les profondeurs de l’oubli depuis lors ; ii) recentrer le BOM sur sa mission initiale « d'impulsion et d'accompagnement des réformes nécessaires à la modernisation de l'Administration et à l'amélioration de la qualité du service public » dans laquelle l’intégration de la gestion du cadre de résultats du PSE apparaît comme une aberration.
- Renforcer les rôles et responsabilités : i) de la Primature sur la supervision globale de la planification et de l’évaluation annuelle de l’action gouvernementale ; ii) du Ministère de l’Economie et des Finances sur l’appui à la planification et à l’évaluation annuelle des politiques sectorielles ; et iii) des Ministères sectoriels dans la mise en œuvre opérationnelle de l’ensemble des projets et réformes (y compris les projets et réformes dits phares). Car, l’ensemble des projets et réformes phares sont soit sectoriels soit multisectoriels ; dans les deux cas leur mise en œuvre réussie passera par une volonté et une application sectorielles. Ils ne doivent pas être perçus comme des initiatives extérieures imposées, au risque de les voir échouer parce que souffrant d’un déficit d’appropriation par les acteurs sectoriels.
Voilà, en substance, les quelques idées que je voulais partager, pour ainsi apporter une petite contribution à une bonne mise en œuvre du PSE. Même s’il est vrai qu’apporter un éclairage scientifique (débattre) est devenu difficile dans notre pays où, malheureusement, l’arbre à sa palabre (wax sa xalaat) est en train de remplacer progressivement l’Arbre à Palabre (Wax Lo Xam) !
Pour conclure, j’ose attendre, de la part des différents groupes d’acteurs, particulièrement des hautes autorités du pays, une juste appréciation du sens de la présente contribution, pour que les corrections qui s’imposent à une mise en œuvre réussie du PSE soient apportées. Ainsi, je reste optimiste quant à l’application d’utiles ajustements pour une cohérence et un meilleur fonctionnement du dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation du Plan Sénégal Emergent.
Dans cette perspective, je lance un appel aux organisations de la société civile et du secteur privé, les invitant à faire l’évaluation de leur participation aux différents processus gouvernementaux, pour en tirer les bonnes pratiques à des fins de valorisation dans leur contribution à la réussite de la mise en œuvre et au suivi-évaluation du PSE.
Gnambi SONKO,
Consultant en Planification et Suivi-évaluation