ÇA NE FAIT QUE COMMENCER
Blatter est dépeint comme quelqu'un qui peut pardonner, mais dont la nature est de ne jamais oublier. Il ne laissait aucun dossier libre de ses réparties. Avec de telles humeurs vindicatives, il ne tombera sans doute pas seul

Il arrive ce qui devait se passer. On y pensait, on ne pouvait pas l'imaginer prendre une telle ampleur. Dans sa chute, Blatter pourrait tout emporter ou presque. Il n'a pas encore mis le pied derrière la porte que sous ses pas, tout commence à se désintégrer. La pourriture supposée de la Fifa suinte d'un peu partout. On parlait de la chute d'un parrain, on a l'impression d'assister à une fin de monde. Tout ce qui se supposait se dénonce, dans une forme de déflagration généralisée.
Afrique du Sud-2010 et France-98 occupent les devants de ces dernières heures, après moult précédentes révélations. Qui a été corrompu dans le vote pour l'attribution de ces Coupes du monde ? Qui a-t-on corrompu ? Pour combien ? On nie, on nie..., il en reste toujours quelque chose.
Chuck Blazer a cafté et Blatter sait. Sans doute ce dernier dort-il tranquille, devant le désarroi qui doit hanter certaines chaumières.
Dans le Golfe, les Qataris ne tiennent plus en place. Leur Mondial, dont ils ont encore sept longues années à construire les temples, n'est plus une certitude acquise. Ils se savent mal-aimés. Pétrodollars rimant avec corruption, leur reconnaissance dans le monde sportif international sent la valise pleine. On leur reproche de faire jouer le Mondial en décembre et les Anglais ne leur pardonnent guère de leur avoir piqué la compétition sous le nez. Combien de chèques ont-ils signé pour l'avoir ? Le vent du désert n'efface pas toutes les traces... On verra vers où ils mènent.
Les Russes ne disent encore mot, mais ils veillent sur leur Mondial-2018. Le droit de l'organiser leur a été attribué le même jour que le Qatar, en 2010, par le même Comité exécutif de la Fifa. Si le Qatar est corrupteur, alors les Russes...
Mais personne ne parle d'eux. Personne n'ose sans doute, dans les circonstances actuelles, rajouter un poil de guerre froide à ce qui n'est, jusqu'à présent, que broutille footballistique. Le Fbi connaît ses limites, comme Obama connaît Poutine. Alors l'ours russe peut dormir tranquille. D'ailleurs, son Mondial, c'est dans trois ans et les Africains sont seuls à avoir démontré, à ce jour, qu'il est possible d'improviser la Can en deux mois.
Au regard de ce qu'on sait et surtout de ce qu'on n'en sait pas encore, le "suicide" de Blatter sonne comme un pied de nez. La victime pourrait bien devenir le maître du jeu. Dix-sept ans à tirer les ficelles, à faire des nœuds et à en délier d'autres lui ont permis de tisser la toile d'une nébuleuse dont il est le centre. Le bonhomme a de quoi faire peur et la peur est dans le système. Il sait sans doute tout, plus que Chuck Blazer à qui l'on doit la déflagration actuelle.
On se demande donc sur quel bouton Blatter va presser pour déclencher l'explosion nucléaire.
Personne ne s'attendait à le voir s'éclipser de la sorte. Tous ceux qui appelaient à sa démission lui laissaient encore le temps de la réflexion, de la prise de décision et de l'annonce. Cela aurait pu prendre des mois, un an, etc. Il l'a fait "ici et maintenant". Comme pour mettre tout le monde au-devant de ses responsabilités, mettre ses contempteurs face à leurs œuvres. Et à chacun d'assumer les siennes.
Son aplomb à la tribune de la Fifa, après son élection de vendredi passé, ne laissait poindre aucune faiblesse. L'instant était pourtant difficile. Atteint par les bourrasques qui commençaient à souffler et à emporter son entourage, le poids des responsabilités l'accablait. Mardi, le géant s'est affaissé... Reste à savoir dans quel sens il va foncer, dans le monde qui le noircit.
Blatter est dépeint comme quelqu'un qui peut pardonner, mais dont la nature est de ne jamais oublier. Ses colères sont rares, mais dans ses nombreuses interviews on sentait bien qu'il ne laissait aucun dossier libre de ses réparties. Avec de telles humeurs vindicatives, il ne tombera sans doute pas seul.
L'heure est aux suppositions et aux supputations. La Suisse enquête et soutient que la démission de Blatter n'aura aucune incidence sur la procédure pénale déjà enclenchée. Le Fbi surfe entre le coup d'éclat des premières arrestations et les phrases laconiques. "L'enquête se poursuit", lance-t-on. Autour de l'affaire, les diseurs de "vérités" sonnent la charge aussi. Coca-Cola, Adidas, Visa et McDonald's, les fils de pub qui tiennent le Mondial à bout de bras, semblent soulagés. Peut-être de payer par-dessus la table, avant de passer en dessous.
La Fifa tremble, la secousse est à la dimension de l'universalité du foot.
Après dix-sept ans à la tête de la Fifa, après cinq Coupes du monde depuis 1998... on aimerait savoir ce qui se passe dans la tête de Blatter.
Tidiane Kassé
Ps : On sait qu'avant d'arriver à la Fifa en 1975, Blatter a été secrétaire général de la Ligue suisse de hockey sur glace. Un lecteur précise qu'il a bien joué au foot comme amateur, en Suisse. Dont acte par rapport aux écrits de mardi passé.