VIDEO"QUE CEUX QUI VEULENT ME RENDRE HOMMAGE N'ATTENDENT PAS MA MORT"
PAPE FALL, ARTISTE SALSERO
Il a bercé bien de générations, de 1970 à nos jours. Pape Fall, tête de file de l'African salsa, est cependant peu connu de la jeune génération. Mais il a quand même pu fidéliser un public. Il prépare aujourd'hui les 20 ans d'existence de son orchestre. Un anniversaire qui se fera à la maison de la Culture Douta Seck. Pourtant, l'homme a assez fait pour mériter qu'on le célèbre. Dans cet entretien accordé à EnQuête, il exprime sa déception face à l'attitude de certaines autorités et revient sur l'organisation de la manifestation de ce jour.
Depuis quand faites vous de la musique ?
Moi, je m'appelle Amadou Fall, plus connu sous le nom de "Pape" Fall. Je suis né à Rufisque et j'ai grandi à Dakar. J'ai fréquenté l'école coranique avant de fréquenter l'école française. Concernant ma carrière musicale, c'est Laba Sosseh qui a été ma première influence parce qu'il était un ami à mon grand frère. Chez moi, il y avait des disques trente-trois tours, rien que de l'afro-cubain, et c'est en écoutant certains titres que j'ai été atteint par le virus de cette musique. À partir de ma deuxième année d'Espagnol, j'ai pris l'habitude de déchiffrer les textes de ces chansons et de les traduire en français pour mieux les comprendre. Un jour, j'ai rencontré des jeunes à qui des universitaires d'Afrique centrale avaient confié du matériel sono. Il se trouvait que les deux principaux chanteurs de leur groupe, du fait d'obligations professionnelles, tardaient à les rejoindre et ils m'ont demandé de le tester pour eux. Ils m'ont accompagné sur des morceaux phares comme "El Malcero", "Guantanamera". À la fin du test, on leur a remis le matériel et ils devaient rentrer mais ils n'ont pas voulu me lâcher et du fait que mes parents ne voulaient pas que je fasse de la musique, j'étais obligé d'attendre qu'ils se couchent pour aller les rejoindre. Le 16 juin 1976, Mar Seck est venu me prendre chez moi à Rufisque pour m'amener à Dakar chez Ibra Kassé. Et arrivé là-bas, j'ai rencontré Youssou Ndour, feu Alla Seck et tant d'autres. Vers deux heures et demie du matin, Kassé m'invite à monter sur scène pour chanter. À chaque fois que je voulais descendre, il me disait de continuer et j'ai chanté jusqu'à trois heures et demie, presque à la fin de la soirée. Après, il m'a dit qu'à Rufisque, j'aurais peine à trouver des gens capables de faire ma promotion et donc qu'il fallait que je vienne à Dakar. C'est ainsi que j'ai rejoint le "star band" jusqu'au décès d'Ibra Kassé et c'est après que j'ai créé l'African Salsa.
Quelle est l'actualité de Pape Fall ?
Samedi (ndlr aujourd'hui), ce sera le vingtième anniversaire de ma famille, "l'African Salsa". Anniversaire auquel tous les Salseros sont conviés pour que la fête soit belle et aussi au cours duquel nous comptons tout faire pour contenter les mélomanes, particulièrement ceux qui aiment la Salsa. J'ai invité tous les collègues Salseros. Tous autant qu'ils sont. Comme d'habitude et je pense qu'il y aura certaines nouveautés par rapport aux anniversaires passés. Certains seront surpris. C'est l'union qui fait la force et moi, en tant que coordinateur des Salseros, à chaque fois qu'on organise, je fais tout pour que tout le monde soit présent et chacun y va de sa partition pour égayer le public. Pour que la prestation soit belle, pour le bonheur des fans.
Vingt ans de carrière, c'est beaucoup… Dans ce laps de temps-là, qu'est-ce que Pape Fall a pu faire et dont il est satisfait ?
Notre voyage à Londres nous a permis, les musiciens et moi, de sortir des CD via la firme "Eastern", qui y est basée. En dehors de ça, nous avons également sorti des cassettes et d'autres CD à travers le monde, à telle enseigne que j'estime, personnellement, ne plus rien avoir à prouver concernant la musique afro-cubaine.
Vous n'avez aucun regret ?
Pas du tout. Au départ, mes parents ne voulaient pas que je fasse de la musique. En toute sincérité, je me cachais pour aller jouer mais finalement, mon grand frère Malick Fall est parvenu à les raisonner jusqu'à ce qu'ils acceptent et que je puisse continuer à faire de la musique.
Mais n'y a-t-il pas une chose que vous voudriez ou que vous auriez voulu faire au cours de votre carrière et que vous n'avez toujours pas pu faire après vingt ans ?
Non, je ne pense pas. Au départ, c'était un peu difficile parce que mes parents croyaient qu'une fois dans cette jungle-là, j'allais m'adonner à l'alcool, ou bien fumer du chanvre indien… La perversion, quoi ! Mais, Dieu merci, depuis que je suis né, je n'ai jamais bu d'alcool, je n'ai jamais fumé et, par la grâce de Dieu aussi, j'ai pu accomplir le pèlerinage à La Mecque en 2011. Donc, je remercie Dieu et également mes parents.
Vous fêtez vingt ans de carrière sans qu'il y ait vraiment de publicité autour de l'événement alors que vous avez bercé bien des générations et que vous êtes l'un des précurseurs de la musique salsa au Sénégal. Beaucoup de gens ne savent pas que vous préparez votre anniversaire, comment ça se fait ?
Vous savez, c'est au départ qu'il y a eu des manquements parce qu'il y a certains groupes qui se disputaient pour nous prendre en charge. En dehors de cela, j'ai l'habitude, depuis plus de dix ans, de m'adresser directement à mon public cible dont j'ai par devers moi les adresses à chaque fois que je joue où que je participe à un événement d'envergure. Toutes ces adresses sont celles de mélomanes qui aiment la Salsa. Donc, avec mon portable, j'essaye d'envoyer des messages à tous ces gens. Il est vrai qu'à la télévision ou dans les journaux, le message serait mieux accueilli mais je me contente de cela en attendant. On m'avait promis des insertions et de la publicité mais si ce n'est pas fait, j'ai d'autres canaux. Dieu est Grand…
Est-ce que vous pensez réellement que le Sénégal vous a rendu ce qu'il vous devez ?
Non, pas du tout. Ceux qui me l'ont rendu sont ceux qui me fréquentent. Et également certaines personnes m'aident à avoir plus de visibilité en mettant les gens au courant des mes événements. Beaucoup sont restés les bras croisés, comme certaines autorités. Souvent, quand les musiciens se rebellent pour dire que la musique ne nourrit pas son homme ou bien que les gens ne s'occupent pas d'eux, c'est vrai. Parce qu'ils attendent que tu meures ou que tu sois malade pour faire du buzz et dire qu'il a fait ceci ou cela. Doudou Ndiaye Coumba Rose, pour le citer, dit toujours que ce que des membres du gouvernement ou certaines personnalités veulent faire pour lui, s'ils ne le font pas de son vivant, que le jour de sa mort ils le rejoignent. Il a parfaitement raison parce que les gens attendent que tu meures pour acheter des bœufs etc. alors que, de ton vivant, ils n'y pensent même pas.
Seriez-vous d'accord que les autorités vous rendent hommage quand vous ne serez plus là ?
Ceux qui veulent faire quelque chose pour moi n'ont qu'à le faire de mon vivant. Après ma mort, ce sera zéro pour moi parce que quand ils ont besoin de nous, ils nous appellent et on vient faire ce qu'ils nous demandent. Mais pour nous, tu as beau tout faire, rien. Après chaque grande manifestation qu'on organise, on te dit qu'il fallait écrire à telle ou telle autre personne ; mais tu ne le fais et tu restes sans aucun résultat. Parfois, certains font le déplacement et viennent. Parmi eux, un mélomane comme Pape Samba Mboup, de l'ancien gouvernement. Lui, je peux dire qu'il est unique en son genre parce qu'il n'attend même pas les événements pour venir. Dès qu'il a envie de sortir, il nous appelle pour voir où l'on joue. Mais son exemple est très peu suivi. C'est bizarre parce qu'on dit que gouverner, c'est prévoir. Avoir un gouvernement avec un ministère de tutelle qui, jusqu'à présent, n'a pas fait signe de vie… Je n'ai reçu aucun coup de fil venant d'un ministre de la République. Mais Dieu est Grand.
Avez-vous écrit à votre ministre de tutelle ?
Oui, bien sûr ! Mbagnick ? Je lui ai écrit mais il n'a pas répondu. Lors de la Francophonie, le concert qu'on avait fait là-bas, vu comment le gouvernement avait impliqué les artistes de tous horizons musicaux, on s'était attendus à autre chose. En tant que coordinateur des Salseros, j'étais même personnellement descendu pour aller le saluer et le remercier. Quant à mon courrier, je l'ai envoyé et… j'attends.
Vous dites que l'African Salsa fait au moins quatre dates par semaine et pourtant on a l'impression que Pape Fall n'est pas présent sur la scène musicale. La salsa, on ne la voit presque plus. Est-ce à dire que c'est une musique morte pour les Sénégalais ?
Non, c'est juste qu'avec la piraterie la production ne marche plus. Actuellement, les gens ne se risquent qu'à sortir des singles de temps en temps et ça ne nous arrange pas. C'est à cause de ce fléau qu'on ne voit plus les Talla Diagne, les Aziz et consort. Ils ont fermé boutique. Ceux qui ont un peu de moyens, si ça les tente ils sortent un single. Mais sortir des singles, ça ne m'intéresse pas. La Salsa n'est pas une musique morte. Elle est plus universelle que le Mbalax. La musique afro-cubaine est très populaire à la Havane. Les Cubains, à part les cultures vivrières, ne vivent que de la musique. Donc, c'est une musique éternelle. "La musica eternal", comme ils le chantent toujours. Ça les nourrit.
Pensez-vous qu'il y a une relève pour la Salsa ?
Oui, il y en a. Au sein de mon groupe, j'ai un chanteur du nom d'Adama Sakho, plus connu sous le nom de Prince Sakho, qui y évolue. Il est sur la bonne voie. Dans l'orchestre aussi, il y a un jeune qui joue de la Tumba et qui ira très loin, il s'appelle Ndongo Thiam. Il y a d'autres jeunes dans les autres orchestres.
Un de vos collègues, Alias Diallo, dit être le "Capo" de la musique Salsa au Sénégal. Qu'en pensez-vous ?
(Rire) C'est juste sa façon de vendre sa musique. C'est ce qu'il sent. Nous faisons de la musique mais les styles sont différents. À chacun sa façon de jouer et de chanter. Idem quand il s'agit de voir les choses. À chaque fois qu'il le dit, il nous fait rire nous tous. Hier (NDLR : l'entretien est réalisé vendredi 5 juin), il l'a fait. C'est son style et il a sa façon de penser aussi.
À quand votre prochain album ?
Avec la piraterie, on pense faire deux ou trois singles. On attend la fin du mois de Ramadan pour nous y atteler. J'ai de nouvelles créations et j'attends le retour de mon manager pour voir ce qu'il y a à faire, même si ce n'est que quatre morceaux. C'est la piraterie qui nous a toujours freinés mais il faut que les gens puissent déguster de nouveaux morceaux de temps en temps. C'est même mieux pour nous de ne pas rester inactif car l'artiste doit toujours créer.
La retraite, vous y pensez ?
Ah oui ! J'y pense beaucoup… mais je ne sais pas quand je la prendrai. (Rire)
Vous êtes allé à La Mecque, pourquoi à votre retour vous n'avez pas saisi l'occasion pour arrêter ?
Il n'y a rien à ça. La musique, c'est un métier. Il n'y a pas mal d'artistes qui sont allés à La Mecque. Les Ndiouga Dieng et consorts y sont allés et sont revenus à la musique. C'est notre gagne-pain.