LÉGITIMITÉ ET LÉGALITÉ
La publication des PV de l’enquête sur l’affaire Thione Seck est salutaire, surtout pour la gendarmerie dont on commençait à mettre en doute la rigueur de la méthode et de la procédure
La légitimité contre la légalité. C’est ainsi que devrait être comprise l’initiative du journal Le Quotidien de publier l’intégralité du procès-verbal de l’enquête de gendarmerie sur l’affaire du faux-monnayage dans laquelle est impliquée la vedette de la musique sénégalaise, Thione Ballago Seck.
Comment ne pas invoquer la légitimité quand de partout s’élèvent des voix– et pas n’importe lesquelles– qui pour clamer l’innocence de Seck, qui pour apporter à ce dernier leur soutien moral… Il s’en est fallu de peu pour qu’on confère au présumé faux-monnayeur un statut de «détenu politique» (pour ainsi dire ) surtout après sa rencontre surmédiatisée avec un autre détenu– lui aussi qualifié de «politique»- à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss, Karim Wade, en l’occurrence. Cette tentative de victimisation du musicien ne légitime-t-elle pas un effort de mise à disposition d’une information comme la publication par le journal Le Quotidien de ce procès-verbal ?
L’ancienne ministre socialiste Aïssata Tall Sall y est allée de son amalgame en affirmant, au détour d’un commentaire personnel sur l’affaire, souhaiter que le président de la République aide les artistes. Tout ce concert d’artistes et autres, est d’une hypocrisie renversante, irritante, pour dire le mot. C’est à se demander si la presse gagne quelque chose en offrant ainsi à son public la mauvaise foi d’artistes, d’hommes et femmes politiques et aussi de l’Ong Jamra ; laquelle a pourtant inscrit son action et sa philosophie dans la défense des bonnes mœurs, de l’intégrité…
Certains de ces «soutiens» ne l’auront été que de principe, les autres pour la frime ou encore pour trouver ne serait-ce qu’une petite ligne dans l’agenda de la presse, faire le buzz, comme on dit de nos jours pour faire tendance et user d’une expression qui fait air du temps.
Mais, peut-être qu’il fallait bien relayer cette solidarité étonnante pour permettre au peuple de s’apercevoir de la mesquinerie caractéristique à ce pays où on est même capable de jurer de l’innocence d’un mis en cause qui passe aux aveux sans aucune contrainte physique, morale... Même ceux qui n’ont aucune preuve, se mettent à s’indigner qu’on ait emprisonné une célébrité doublée d’un moraliste comme Thione Seck. On est presque tenté de rétorquer «et après ?»
Certains, à commencer par les avocats du mis en cause, y sont allés encore du disque rayé de ce diabète dont souffre Thione Seck, mettant même en garde l’institution judiciaire contre une éventuelle mise en détention inadéquate de la vedette faux-monnayeur présumé… Et la pire des situations est la tentative de «décrédibilisation» de la gendarmerie et de la contestation du mérite et du professionnalisme de ce corps. Et on peut comprendre que celle-ci ait à gagner dans une fuite de son procès-verbal d’enquête, d’arrestation et d’interrogatoire des acteurs de ce gros scandale.
Oui, la publication de ce document que, dans le jargon judiciaire, on qualifie de «pénalement protégé» est salutaire, surtout pour la gendarmerie dont on commençait à mettre en doute la rigueur de la méthode et de la procédure.
Le Pv est un de ces documents qu’on définit comme «pénalement protégés», donc dont la diffusion in extenso ou en fac-similé par un organe de presse peut entraîner des poursuites judiciaires pour «recel de document administratif»- le chef d’accusation contre Abdou Latif Coulibaly (alors journaliste d’investigation, aujourd’hui ministre dans le gouvernement) à la suite de la publication, en 2007, de son livre La Lonase : chronique d’un pillage organisé. Mais, il y a de ces entorses à la loi qui sont fort excusables. Là, nous empruntons ses arguments à l’avocat du diable.
On comprend dès lors pourquoi les avocats de Thione Seck ont crié leur indignation contre le journal Le Quotidien. Conséquence : la convocation du directeur de publication de l’organe par la gendarmerie.
Pour aller plus loin que la dénonciation de l’initiative du journal Le Quotidien, les avocats du mis en cause ont déposé une plainte auprès du procureur de la République pour «recel d'informations, violation du secret de l'instruction, diffusion de fausses nouvelles et atteinte à l'administration de la justice». Et, selon le journal L’Observateur, «en plus de cette plainte devant le procureur, une citation directe pour diffamation» sera adressée au directeur de publication du journal Le Quotidien, Mouhamed Guèye. Ce dernier a été convoqué à la gendarmerie de Colobane et entendu pendant plusieurs heures.
La justice et la gendarmerie devaient la vérité à l’opinion publique- qui devrait avoir un droit constitutionnel à l’information- mais ne se sont pas acquittées de ce devoir. La maréchaussée et le procureur auraient pu – dû- tenir une conférence de presse pour que l’opinion fût informée de l’évolution de l’enquête afin que certaines ne se mettent plus à dire tout et n’importe et qui est loin de la vérité.
«Il faut se féliciter d'abord de la parution du Pv pour la connaissance des faits par le public et l'arrêt des rumeurs, a si bien dit un internaute dans un post lisible sur le portail Leral.net. Si c'était dans d'autres pays, le procureur aurait communiqué au nom du droit du citoyen à l'information.»
Un autre a flairé un coup fourré que l’auteur de la fuite du Pv aurait voulu étouffer : «Si ce Pv s'est retrouvé dans la presse, c'est parce que (quelqu’un) a senti que des choses louches se tramaient certainement pour tirer Thione d'affaire.» Une interprétation à ne pas négliger encore moins considérer comme fantaisiste.
C’est, de ce point de vue, que la diffusion de ce procès-verbal d’enquête de gendarmerie a été méritoire et a donné au citoyen l’information à laquelle il a droit dans la gestion de cette affaire qui nous concerne tous.
Post-Scriptum : En plaidant la légitimité d’un journal à publier l’intégralité du Pv de recherches, d’enquête et d’interrogatoire de l’affaire Thione Seck, nous ne voulons pas nous faire l’avocat du diable, encore moins faire l’apologie de la violation de la loi. En effet, cette dernière donne possibilité au journaliste d’exploiter un document pénalement protégé, mais pas de le reproduire en fac-similé ou en intégralité. Parce que cette reproduction est considérée comme la preuve du recel par le journaliste d’un document administratif. C’est pour éviter ce délit que l’usage chez le journaliste est d’user de tournures du genre « selon une source proche du Pv d’enquête » ou « selon une source qui a pris connaissance du document… » Ces circonlocutions et précautions professionnelles permettent de se couvrir, de se prémunir de poursuites judiciaires…
Et puis les journalistes faits-diversiers ne font pas autre chose qu’exploiter des Pv d’enquête de police, des déclarations de main courante registre de police… Seulement, ils ne les publient pas in extenso. C’est cela la différence entre leur démarche et celle du journal Le Quotidien.