ENJEUX DES ELECTIONS EN GUINEE
Cinq ans après la première élection réellement ouverte de son histoire, la Guinée fait face à de multiples défis concernant la consolidation de son avancée démocratique.
En dépit des médiations de la communauté internationale, le manque de confiance réciproque entre les acteurs politiques en Guinée contribue à créer un climat de suspicion permanent.
A moins d’un mois du scrutin présidentiel, une petite décrispation au notée au sein de la classe politique suite aux accords politiques du 20 Août 2015.
En substance, l’acceptation par l’opposition de la tenue de l’élection présidentielle avant les locales et la mouvance présidentielle l’octroie à l’opposition des deux postes vacants au sein de la CENI (suite aux décès de deux ses commissaires) et enfin un consensus sur la répartition de la gestion des communes.
A son accession à la souveraineté internationale en 1958, la Guinée a vécu sous le régime du parti unique communément appelé Parti État (Parti Démocratique de Guinée - PDG) suivi de la parenthèse d’un régime militaire à partir de 1984.
Ainsi l’année 2010 marquera un tournant décisif dans l’ancrage démocratique de la Guinée avec la fin du régime de transition des militaires et l’élection d’Alpha Condé à la magistrature suprême. En dépit de cette avancée majeure dans la vie de la nation, la situation politique est minée depuis lors par de fortes contradictions acteurs politiques du pouvoir et de l’opposition.
Les raisons fondamentales de cette situation sont :
- Le non respect par le camp présidentiel du calendrier électoral contenu dans la constitution et le code électoral qui stipule l’organisation des élections communales six mois après l’élection présidentielle de 2010 ;
- Les multiples reports des élections législatives intervenus finalement en Septembre 2013 après de fortes pressions de la communauté internationale ;
- L’accentuation des clivages communautaires.
Les réformes structurelles dans la Fonction publique, l’Armée, le secteur économique sont perçues comme des sanctions contre les membres d’une communauté. Les activités des partis politiques et celles des acteurs de la société civile sont lues à travers le prisme de l’ethnicité. Ceci rend difficile et décrédibilise les contributions de ces acteurs à la recherche de solutions aux problèmes du pays, surtout sur des questions sensibles comme l’élection.
Par ailleurs, il est intéressant de se pencher d’avantage sur trois aspects fondamentaux qui sont de nature à impacter, éventuellement, l’issu du scrutin du 11 Octobre 2015 :
- La recomposition de l’espace politique qui se traduit par la fin de l’alliance traditionnelle entre les deux candidats les plus représentatifs de l’opposition, en l’occurrence Cellou Daleine DIALLO et Sidiya TOURE. Elle peut être de nature à éclater l’électorat de l’opposition et aider à l’atteinte de l’objectif du camp présidentiel qui est la réélection du Président Alpha CONDE au premier tour. Toutefois, il convient de relativiser cette donne en raison de ce qui semble aussi un début d’alliance entre CellouDaleine DIALLO et Moussa Dadis CAMARA. Cet aspect peut renforcer le candidat de l’UFDG quand on sait que le poids électoral de la région de Nzérékoré tourne autour 22% de l’électorat.
- L’analyse du fichier électoral tel qu’il se présente actuellement fait ressortir des changements substantiels. En effet, la région de Kankan bastion du Parti présidentiel d’Alpha CONDE a connu 392 204 nouveaux inscrits, du coup devient le bassin électoral le plus important de la Guinée contrairement, contrairement à la région de Labé bastion du principal leader de l’opposition l’UFDG (Cellou Daleine Diallo) se retrouve avec juste 93 520 nouveaux inscrits. Ce constat peut être déterminant pour l’issu du scrutin.
L’équation que constitue l’éventuel retour en Guinée de l’ancien Chef d’Etat Moussa Dadis Camara, il est perçu par les tenants du pouvoir comme un facteur de risque. Après sa démission de l’armée, la création de son parti, sa promesse d’alliance avec l’UFDG et enfin son inculpation par la justice guinéenne, son vœu de retour peut être interpréter comme une volonté de présenter sa candidature à l’élection présidentielle et de rendre toute action judiciaire à son encontre comme une volonté d’éliminer un adversaire politique.
Le dialogue politique
Depuis l’accord politique du 3 Juillet 2013, la vie politique guinéenne connait une évolution en dent de scie toutefois. Préalablement le climat politique était vicié par une mésentente persistante entre acteurs. Suite à la décision unilatérale prise par le pouvoir sur le choix de l’opérateur « Gemarco » pour la gestion du fichier électoral. En Juin 2015, à l’initiative de la société civile et du forum des femmes parlementaires (réunissant députées de l’opposition et du pouvoir), un cadre de dialogue inter guinéen a été instauré, présidé par le Ministre de Justice Cheick Sacko et comme facilitateur, l’émissaire onusien, Mohamed Ibn Chambas. Il avait pour objectif de trouver un consensus électoral entre la mouvance présidentielle et l’opposition républicaine, pour une éventuelle sortie de crise. Toutefois, force est de reconnaître que les discussions avaient échouées en raison des crispations de positions et surtout du refus pouvoir de faire des concessions sur la solution intermédiaire qui a été trouvée à savoir la suppression des délégations spéciales des communes et l’attribution de sièges à l’opposition.
Cependant malgré ce climat de suspicion, l’émissaire des Nations Unies, Mr Chambas a réussi à donner des gages d’assurance aux acteurs de l’opposition et est parvenu à la date du 20 Août à trouver un accord politique avec les acteurs politiques guinéens dont les points saillants sont les suivants :
- l’augmentation de l’octroie à l’opposition de certaines communes qu’elle avait remporté lors des législatives de 2015 ;
- La désignation de quatre experts informatiques (deux de la mouvance et deux de l’opposition) qui seront affectés à la CENI pour surveiller et assainir le fichier ;
- L’octroie à l’opposition de deux postes de commissaires à la CENI en remplacement de deux commissaires récemment décédés dont l’un appartenait à la mouvance présidentielle
En guise de conclusion, l’on peut dire que de tout ce qui précède pourrait dépendre la consolidation de la paix et de la stabilité à long terme en Guinée et de la volonté personnelle de chaque Guinéenne et de chaque Guinéen de choisir en toutes circonstances, y compris face à ses intérêts personnels, supposés ethniques ou autres la Guinée d’abord. Ceci est d’autant plus fondé qu’il y a deux autres facteurs qui peuvent contribuer à accroître les difficultés d’organisation de la présidentielle de 2015.
L’épidémie d’Ebola (malgré son recul) est le premier facteur, complètement inattendu, qui devrait rendre certaines opérations électorales plus difficiles en raison de la suspicion qu’elle suscite. C’est le cas, par exemple, de la gestion de la campagne électorale, de l’observation électorale etc. Ebola a déjà avait contraint le Libéria à reporter les élections sénatoriales qui devraient se tenir en octobre 2014.
Le deuxième facteur est, quant à lui, lié au fait que les résultats des élections de 2010 et de 2013 sont restés trop serrés: 52.5% (Alpha Condé) et 47.5% (CellouDalein Diallo) au second tour de la présidentielle de 2010. Au sein de la nouvelle Assemblée nationale, les scores sont de 52% (pour la majorité présidentielle) et 48% (pour la coalition de l’opposition). En dépit de l’avantage du pouvoir pour la coalition présidentielle, l’étroitesse des scores laisse présager que la compétition sera intense et âpre. Au fond, chacun des adversaires est convaincu qu’il peut gagner la prochaine élection et que toute concession à l’autre camp peut lui être fatale. C’est là une attitude qui, pour le moins, présente de forts risques d’être préjudiciable à la Guinée.