LE PARADOXE APR
Défaut de structuration de la locomotive de la mouvance présidentielle
Bien qu'étant la locomotive de la mouvance présidentielle, l'Alliance pour la République (Apr) n'en demeure pas moins un parti inorganisé. Un paradoxe qui fait débat sur le landerneau politique sénégalais et qui commence à inquiéter certains "apéristes".
Après 8 ans d'existence et 4 ans au pouvoir, le parti du président de la République continue à alimenter le débat sur la scène politique, à cause de son défaut de structuration qu'il traîne comme un boulet. Même si certains responsables de cette formation soutiennent mordicus le contraire, la réalité est que l'Alliance pour la République (Apr) souffre d'un terrible manque d'organisation, du fait d'un refus délibéré ou calculé de son leader de lancer le processus de structuration. Une problématique qui fait débat sur le landerneau politique et qui commence à inquiéter sérieusement certains "apéristes". C'est le cas des intellectuels républicains qui, dans une déclaration rendue publique, avant-hier, ont appelé le président de la République, Macky Sall, à remédier rapidement à cette situation qui commence à avoir des effets néfastes sur leur parti. A l'Apr, tout le monde se réclame responsable.
Cette situation pouvait se comprendre, quand Me Abdoulaye Wade, au faîte de sa puissance, combattait Macky Sall. Mais, aujourd'hui que ce dernier a accédé à la magistrature suprême, depuis maintenant 4 ans, rien ne devrait s'opposer à la structuration de l'Apr. D'autant plus qu'en tant que formation présidentielle, elle est censée être la locomotive de la Coalition au pouvoir. Maintenant, avec la ruée des transhumants vers ledit parti et l'hostilité que leur manifeste les "apéristes" de lait, les choses se compliquent. Toujours est-il qu'en fin tacticien, rompu aux rouages de la politique, Macky Sall devra trouver une parade pour sortir de ce guêpier. Va-t-il adopter la même stratégie que lorsqu'il était numéro 2 du Pds en imposant des responsables dans les communes et les départements ? En tout état de cause, l'Apr gagnerait à mieux s'organiser en vue des prochaines joutes électorales, notamment des Législatives avec des investitures qui s'annoncent périlleuses au sein de "Benno bokk yakaar" (Bby).
PAPE MAEL THIAM, ADMINISTRATEUR DE L'APR : «Nous sommes en train d'expérimenter un mode de structuration»
L'administrateur de l'Alliance pour la République (Apr) ne veut entendre que leur formation politique n'est pas structurée. Pour Pape Maël Thiam, "l'Apr est bel et bien structurée". Seulement, souligne-t-il, "elle n'a pas opté pour une structuration verticale, mais celle horizontale". "Les intellectuels républicains ont la nostalgie de la structuration verticale, telle que théorisée par Lénine. Mais l'Apr est structurée, puisque nous avons des structures à la base. Nous avons décidé de procéder à la structuration horizontale, qui est une forme de structuration", explique, au bout du fil, le camarade du Président Macky Sall.
Poursuivant son propos, Pape Maël Thiam soutient : "Nous sommes en train d'expérimenter un mode de structuration, certes, qui n'a jamais existé, mais qui est une structuration. Nous avons des comités à la base. Après les comités, nous avons le directoire qui est aussi une structure. Ensuite, il y a le Secrétariat exécutif. Le Président vient de lancer le Conseil national des élus du parti. Nous avons le mouvement des femmes, la Convergence des jeunesses républicaines (Cojer), le Mouvement des élèves et étudiants républicains (Meer), le Mouvement national des arabisants républicains...".
Sur sa lancée, M. Thiam souligne que "la vocation d'un parti politique est de conquérir le pouvoir, et jusqu'à présent, (leur) mode de structuration a révélé toute son efficacité", arguant qu'ils ont gagné toutes les élections auxquelles ils ont participé. "Si nous avions perdu les élections, on aurait remis en cause notre mode de structuration. Mais, aujourd'hui, l'Apr est le premier parti au Sénégal, même si elle n'a pas la majorité absolue. Nous contrôlons 80% des collectivités locales. Il y a des partis qui sont structurés verticalement, mais qui sont de loin derrière nous. Stratégiquement parlant, il n'est pas
pertinent d'avoir une structuration verticale, surtout lorsque nous sommes dans une phase de croissance, parce que vous allez fermer la porte aux plus forts. Chaque phase correspond à un mode de structuration", affirme Pape Maël Thiam.
D'ailleurs, s'interroge-t-il, "pourquoi vouloir avoir un numéro 2 ? Est-ce que c'est utile ? Est ce que c'est important ? Quelle est la pertinence d'une structuration verticale, au regard de la vocation d'un parti ?". "On a aussi constaté qu'au Sénégal, tous les partis au pouvoir ont perdu le pouvoir, dès qu'ils ont commencé à structurer. Au Parti socialiste (Ps), tout le monde se souvient du Congrès sans débat où on a imposé Ousmane Tanor Dieng comme étant le numéro 2. Au final, Moustapha Niasse est parti, de même que Djibo Kâ, et le parti est tombé en déclin. Au Parti démocratique sénégalais (Pds), la structuration a été interrompue. Fort de ce constat, nous avons décidé d'innover", conclut l'Administrateur de l'Apr
PR MOUSSA DIAW, ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES : «L'Apr doit être structurée pour servir de locomotive, car c'est le parti du Président»
Le professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur en Sciences politiques à l'université Gaston Berger de Saint-Louis, ne partage pas l'avis de l'Administrateur de l'Alliance pour la République qui soutient que leur parti est "bel et bien structuré". "Macky Sall n'a pas eu le temps de mettre en place des responsables incontestés au niveau local ou départemental. Il n'a pas eu le temps de structurer le parti. Le parti n'a pas eu le temps de se structurer au niveau national avec des responsables connus et incontestés", indique-t-il.
Soulignant que c'est ce qui explique le problème de leadership, les tiraillements et les guerres de positionnement au sein du parti du président de la République. "Cela pose un problème de leadership, comme on l'a vu dans certaines régions avec des confrontations entre leaders de l'Apr qui ne sont pas
intronisés, qui ne sont pas légitimés au niveau de leur parti. On a constaté que lors des débats politiques, certains leaders parlent même sans consulter le parti ou les vrais responsables. Aussi, lors du référendum, certains sont partis de leur côté", soutient l'- analyste politique.
Avant d'avertir : "Tant que cela persistera, il y aura toujours des problèmes". Selon le Pr Moussa Diaw, "le parti gagnerait, si le président de la République - puisqu'il est le responsable national - prend le temps de structurer, d'introniser certains responsables afin d'en faire des leaders incontestés dans
leur localité. En ce moment-là, il y aurait une cohérence, une organisation, qui permettrait au parti de jouer son rôle, sa partition dans le pouvoir politique".
Interpellé sur les conséquences au plan politique, Pr Diaw fait savoir qu'il y a un risque de rapport de forces, indiquant que, "si le parti majoritaire n'est pas structuré, au moment où d'autres le sont, au moment de confectionner les listes pour les Législatives, il va se poser un problème de leaders. Les choix des hommes vont poser problème au niveau départemental, et ce sera un rapport de forces".
Pour lui, "le parti qui est bien implanté, qui a un leader bien connu et qui a une base et qui peut jouer un rôle prépondérant, va se positionner, et il va y avoir des frictions, une implosion au sein de la Coalition". "S'il n'y a pas de négociations, de compromis, chacun va dresser sa liste, et il y aura des listes concurrentes". Donc, conclut-il, "l'Apr doit être structurée pour servir de locomotive, car c'est le parti du président de la République".