"SI NOUS VOULONS GARDER LA PLACE DU SENEGAL EN AFRIQUE, IL FAUT..."
PAPE MOUSSA TOURÉ, ENTRAINEUR NATIONAL DES LIONNES DE BASKET
Malgré les rigueurs du jeûne qui l’assaillent, Moussa Touré reste debout. L’entraîneur national des Lionnes de basket livre son programme, décrypte le basket africain, dissèque son groupe sans langue de bois. Professeur d’éducation physique, option basket, instructeur de la Fiba niveau III, l’ancien coach du Saint Louis basket- club, ancien adjoint des entraîneurs nationaux Magatte Diop et Ousseynou Ndiaga Diop (2000-2003), a fait des piges de renforcement aux Etats-Unis, avant de déposer ses valises en Tunisie. Directeur technique national de l’école fédérale et entraîneur national de l’équipe féminine (entre 2007 et 2011), Pape Moussa Touré fait un retour en zone chez Les Lionnes en 2013. Le coach du stade de Nabeul, troisième du championnat masculin tunisien et finaliste de la Coupe nationale, a répondu à l’appel de la Nation. Sa mission n’est autre que la reconquête du titre, une place en Coupe du Monde lors de l’Afrobasket « Mozambique 2013 » prévu du 20 au 29 septembre. Entretien.
Pape Moussa Touré, qu’est-ce qui a motivé votre choix d’entraîner l’Equipe nationale féminine du Sénégal après celle de la Tunisie en 2011 ?
Quand la nation fait appel à toi, tu ne fais pas la fine bouche. Mais, je n’ai pas quitté la Tunisie, je suis toujours entraîneur d’une équipe masculine. Après Monastir, l’année dernière, j’ai entraîné le stade de Nabeul, avec qui j’ai fini troisième du championnat et finaliste de la Coupe nationale. Après l’Afrobasket, peut-être que j’aurai d’autres responsabilités en Tunisie. J’ai des propositions et des contacts avancés.
Vous quittez l’équipe nationale féminine de la Tunisie et son basket organisé, pour le Sénégal et ses Lionnes nageant presque dans l’informel, n’est-ce pas un pari risqué ?
C’est vrai qu’il n’y a pas photo entre les deux pays. En Tunisie, on a les moyens, le matériel et des salles équipées. Et on travaille toute l’année. On a le temps de mettre en place les systèmes, d’ajuster et d’huiler le jeu. Au Sénégal, c’est différent. Nous avons démarré tardivement les préparations, au moment où d’autres ont presque huit match- es dans les jambes. Mais, si les filles sont prêtes physiquement, on peut avoir une équipe compétitive.
Justement, quel est l’état du groupe ?
Le groupe est bon et se perfectionne au cours de la préparation. Malgré les cinq jours de stage en externat, le niveau physique est faible, parce que la majorité des joueuses avait fini la compétition fin avril. Et même si elles se sont entraînées, ces derniers mois, rien ne peut remplacer la compétition. Ndèye Sène est la fille en forme, parce qu’elle joue. Après le stage externe, nous sommes entrés en regroupement. Nous allons travailler l’aspect physique, la technique individuelle et l’adresse, le matin. Et le soir, nous mettrons l’accent sur le collectif offensif et défensif. Présentement, il y a un groupe de performance qui se dessine par rapport à l’aspect physique, à la capacité de lecture de jeu, de l’adresse et de la connaissance du basket.
Quel est le plan de préparation ?
Nous sommes en train de préparer le tournoi contre l’équipe universitaire de Floride (8 et 9 août) et l’équipe basque espagnole (11 -13 août). Nous travaillons le collectif, les attaques, la cohésion de groupe. Nous évaluerons les joueuses ensuite. Nous pub- lierons le groupe de performance, après le 14 août, il sera composé de 15 joueuses. Début septembre, on va en Europe pour 19 jours. On a ciblé pour le moment la France et la Lituanie pour notre dernière phase de préparation. Nous attendons la confirmation des équipes. En tout cas, ce n’est pas souhaitable de repasser par Dakar.
Elles ont juré de ne plus commettre les mêmes erreurs.
Au delà du retard accusé dans la préparation, le vécu des Lionnes peut-il jouer sur la balance ?
C’est une bonne chose, les filles se connais- sent. Elles connaissent leurs forces et leurs faiblesses parce que les Lionnes, c’est une famille. Maintenant, il faut que nous fassions en sorte que le groupe reste soudé et motivé durant les phases de compétition. Il faut leur tenir un discours sincère et très clair. Ceci nous permettra d’éviter les erreurs et les problèmes que l’on a connus dans le passé.
Elles ont, au Mali, perdu le titre de Championnes d’Afrique, suite à un mouvement d’humeur relatif au paiement des primes. Certaines ont vécu un traumatisme après la défaite en finale face à l’Angola. Constatez-vous cela ou ont- elles digéré ?
Les Lionnes ont fait un bilan de Bamako 2011. Elles sont positives, elles sont conscientes de l’erreur commise. Elles ont juré de ne plus commettre les mêmes erreurs.
Le premier adversaire des Lionnes, c’est les primes. Allez-vous résoudre ce problème avant de quitter Dakar ?
Je pense que la fédé est en train de s’y atteler. En ce qui me concerne, je vois qu’il y a des pas positifs. Les entraîneurs nationaux ont signé un contrat, c’est une nouveauté. Il faut continuer dans la lancée positive. Avant de quitter Dakar, on va gérer ce détail avec la fédération et les filles. Une fois qu’on tombe d’accord, on ne peut plus revenir sur cela.
Le secteur intérieur est la principale faiblesse des Lionnes, quelle sera votre recette miracle ?
Nous avons beaucoup d’intérieurs, on va les tester. Nous allons voir celles qui sont capables d’aller au rebond et de scorer. Parce que le problème, c’est la qualité athlétique. Elles ont le talent et, combiné à l’expérience, elles peuvent résoudre cette équation. On est en train de travailler sur les systèmes.
La réforme intervenue aux Jeux de la Francophonie est-elle une bonne chose pour les Lionnes, si l’on sait qu’elle leur servait de répétition d’avant Can ?
C’aurait été profitable d’avoir ces cinq match- es, cela nous aurait permis de corriger et d’auster. Mais comme la Francophonie est maintenant réservée aux moins de 25 ans, nous tentons de compenser avec un stage en Europe, début septembre. Cette dernière phase est un peu délicate. Les équipes ont tout planifié et arrêté. Nous avons calé la date, mais nous n’avons pas encore les confirmations.
Dans vos tablettes, on note des équipes européennes et une américaine, ne négligez-vous pas le basket africain, dans votre programme de préparation ?
On ne néglige pas le basket africain. Du point de vue jeu, basket et rythme, l’Europe est en avance sur l’Afrique. Donc, aller se confronter à eux, c’est atteindre un autre niveau. Si on s’en sort, c’est une bonne chose. Toutes les équipes sont en Europe pour chercher des matches amicaux. J’aimerais bien jouer contre des équipes africaines à Dakar, en septembre. Mais bon, on va exploiter les matchs qui nous sont don- nés dans le cadre de la coopération, même s’ils arrivent un peu tôt. C’aurait été notre choix, on aurait décalé le calendrier pour éviter ce travail de forcing que nous faisons.
Les ambitions de Moussa Touré à « Mozambique 2013 » ?
La qualification en finale, la reconquête du titre et la qualification en coupe du Monde, sont les ambitions du Sénégal. Les Lionnes sont habituées au titre. On va pour jouer les premiers rôles.
L’ Angola a signé son premier titre féminin, sera-t-il facile de l’en séparer.
L’ Afro-basket sera bien disputé. Le Mozambique, pays organisateur, a une bonne équipe. Ses filles jouent depuis 7 ans ensemble, depuis la petite catégorie. Le Nigéria présente des joueuses de talents avec des grandes. Le Mali, itou. Les Angolaises, championnes en titre, ont déjà fait un bon tournoi aux Jeux Olympiques de Londres 2012. Elles ont fait le tour du monde et se préparent depuis deux ans. Elles se sont sûrement bonifiées et ont gagné en expérience. Donc, si la première phase peut s’avérer facile, la deuxième sera forcément difficile.
Comment appréciez-vous le basket-ball africain ?
Le basket-ball africain a un problème d’organisation. Loin des moyens financiers, nous avons des difficultés dans la com- préhension du jeu. Nous avons le potentiel, des jeunes athlétiques, mentalement forts et courageux. Maintenant Il faut développer l’adresse. Si on n’a pas d’adresse, on ne peut pas gagner. Le jeu de pénétration sera inexistant. Pour cela, il faut des salles, le plein air ne développe pas la réussite. Il y a le soleil, le vent. Ensuite, au Sénégal, il y a cette philosophie de l’entraîneur qui dit « ne tirez pas mon ballon », si le joueur ne tire pas le ballon, il ne pourra pas marquer. Il nous faut un modèle de basket sénégalais. Pour un bon basket, il faut savoir aller au panier et tirer. Si on apprend, développe les dribbles et les passes, mais que l’on ne développe pas le tir, il y aura problème. On doit réfléchir sur un basket proprement sénégalais. Que les entraîneurs décident de la manière de jouer en seniors, en juniors et en cadets. Quelle attaque, quelle défense pour le basket sénégalais ?
Est-ce possible d’avoir ce modèle fini si l’exode dégarnit le championnat ?
Si un joueur a une bonne base. Il a appris les fondamentaux, les axes prioritaires, maîtrisé le contenu en minimes et cadets. Même s’il s’exile en Europe ou aux Etats- Unis, il revient avec un meilleur niveau jeu. L’autre aspect sur lequel, le Sénégal doit travailler, c’est de tout faire pour que nos joueurs gardent la nationalité sénégalaise. Beaucoup de joueuses en Espagne pour- raient faire la fierté des équipes nationales.
Il nous faut un modèle de basket sénégalais.
A Saint-Louis, le problème c’est l’infrastructure ; pourtant, depuis quelques années, son basket bouscule la tradition, comment expliquez-vous cela ?
On joue différemment à Saint-Louis, les filles tirent la balle. C’est cela la différence. Et détrompez-vous, le stadium Joseph Gaye n’est pas fermé, mais les murs sont un peu élevés et cela freine le vent. Si on compare à la Tunisie, dans un petit village, on trouve deux salles de basket. Ici, il n’y a que Marius Ndiaye au Sénégal. Donc, il faut se renforcer en petites salles équipées de matériel de musculation à l’intérieur. Il faut aussi amener les entraîneurs à faire des stages de perfectionnement à l’étranger.
Vous avez suivi quelques matches du championnat, comment appréciez-vous le niveau ?
J’ai regardé quelques matchs. Ce qui m’a frappé, c’est le niveau d’adresse faible. Quand dans une équipe, il y a un seul bon tireur, cela pose problème. C’est facile de défendre sur un seul bon tireur. Il y a l’exode et les clubs n’ont pas les moyens de recruter des étrangers pour rehausser le jeu. Donc, il faut travailler à faire garder nos joueurs. Si nous voulons garder la place du Sénégal en Afrique, il faut travailler dans ces axes.