QUE RESTE-T-IL DU 23 JUIN ?
Si, les guides religieux, comme on a l'habitude de dire, jouent le rôle de régulateurs et de stabilisateurs sociaux, ce jour historique certains d'entre eux très écoutés ont failli à cette mission sacerdotale
Nous sommes le 23 juin 2016, cinquième anniversaire de cette journée de résistance désormais inscrit sur du marbre dans l'histoire politique du Sénégal.
Pour rappel, le 16 juin 2011, le Conseil des ministres du Sénégal adoptait un projet de loi constitutionnelle instaurant l'élection simultanée, au suffrage universel, à la présidentielle de février 2012, d'un président de la République et d'un vice-président.
L'exposé des motifs du projet de loi en question expliquait que "l'élection présidentielle en ticket exclut en principe un deuxième tour, mais le projet de loi maintient le deuxième tour si la liste en tête au premier tour ne réunit pas un minimum de 25% des suffrages exprimés… Si aucun ticket n'a obtenu le quart des suffrages exprimés, il est procédé à un second tour de scrutin le troisième dimanche qui suit la décision du Conseil constitutionnel sur les résultats du premier tour".
Le texte explique aussi qu'"en cas d'empêchement, de décès, de démission ou d'une indisponibilité quelconque, du président de la République, le vice-président le remplace pour la durée du mandat". Les Sénégalais, qui y voyaient une manœuvre du président Wade pour introniser son fils sous le manteau de la légalité, avaient vainement décidé de l'en dissuader avant la date fatidique du 23 juin retenue pour valider le texte à l'Assemblée godillot.
Même si à l'époque le sinistre ministre de la Justice Cheikh Tidiane Sy, le sournois président de l'Assemblée nationale Mamadou Seck et le cynique ministre de l'Intérieur Ousmane Ngom soutenaient mensongèrement que cette honteuse reculade était motivée par l'intervention des khalifes généraux qui voulaient préserver la paix sociale, il était clair que c'était la résistance du peuple qui tenait à ce que sa Constitution ne soit pas retoquée à des fins monarchistes qui avait fait capituler le président de la République.
Si, les guides religieux, comme on a l'habitude de dire, jouent le rôle de régulateurs et de stabilisateurs sociaux, ce jour historique du 23 juin certains d'entre eux très écoutés ont failli à cette mission sacerdotale. Ils ont observé les vaillants citoyens Sénégalais, déterminés à sauver leur Charte fondamentale, à suer sang, sueur et larmes, inhaler les effluves âcres et piquants des bombes lacrymogènes de la flicaille, et supporter la violence sauvage des matraques policières et des balles des fusils de chasse des sicaires de hauts responsables libéraux.
Ce jour du 23 juin a montré que les religieux notamment ceux des clergés confrériques de Tivaouane et de Touba roulaient implicitement toujours pour le pouvoir en place au point d'avaliser tacitement sa forfaiture car il était difficilement acceptable qu'au moment où le pays s'embrasait qu'ils veuillent anesthésier l'ardeur populaire par des phrases fatalistes du type "c'est Dieu qui donne le pouvoir et qui le retire" ou de demander aux manifestants de cesser les casses et la violence.
Malheureusement ils n'avaient pas compris que cette violence-là aux mains du peuple en pareille occurrence n'était pas la violence mais la justice. Par conséquent l'usage de la violence populaire pour préserver la Constitution de tripatouillages wadiens était rédempteur. Toutefois il faut souligner que le cardinal Théodore Adrien Sarr et les khalifes de Léona Niassène, de Ndiassane, de Léona Niassène, de Serigne Abass Sall de Louga et les moustarchidines de Serigne Moustapha avaient eu la hardiesse d'élever tôt leur voix contre le projet anticonstitutionnel du président Wade.
Face à l'obstination obsessionnelle d'Abdoulaye Wade de faire passer son projet de loi constitutionnelle instituant de l'élection simultanément du président et du vice-président, le peuple souverain massée sur la place symbolique de Soweto avait résisté à la forfaiture. Le président de la République avait finalement reculé dans son projet de loi constitutionnelle instituant l'élection simultanée du président et du vice-président. L'intransigeance tenace du peuple sénégalais a vaincu l'intelligence machiavélique de Wade.
Ainsi c'est ce 23 juin qui a inspiré toutes les grandes résistances citoyennes et batailles démocratiques subséquentes où Mamadou Diop et une dizaine d'autres Sénégalais ont trouvé la mort.
C'est ce 23 juin qui a permis de montrer aux hommes et femmes politiques que le vrai détenteur du pouvoir dans un régime démocratique, c'est le peuple souverain. Les élus qui ne sont que des mandataires ne peuvent pas, par le jeu de manipulations ou de tripatouillages, s'en accaparer. Le pouvoir en démocratie est conçu comme une propriété une, indivise et inaliénable de toute la nation.
Par conséquent le jour historique du 23 juin a démontré que le pouvoir démocratique, bien collectif, ne peut être la propriété d'un parti politique, d'un groupe d'intérêt, d'une famille ou d'une personne. Il s'émancipe ainsi de tous les particularismes. Il ne saurait alors être accaparé par quiconque, fût-il un élu du peuple ou le chef de l'Etat himself.
Malheureusement Abdoulaye Wade, aveuglé par sa succession filiale, a oublié qu'il est arrivé au pouvoir en 2000 et réélu en 2007 par le suffrage universel avec une élection à deux tours.
Aujourd'hui l'esprit démocratique du 23 juin semble être trahi par ceux qui ont charge les destinées de la nation. La démocratie ne s'accommode pas de certaines pratiques comme la fraude et l'achat de conscience ou de manœuvres tendant à favoriser le régime organisateur des élections. Or le dernier référendum a montré que les pratiques d'une certaine époque qui entachaient le vote et délégitimait les résultats contestés sont toujours actuelles.
Doit-on mettre la télévision nationale au service exclusif du président, de sa dame et de sa famille politique en écartant systématiquement les autres compétiteurs qui y ont droit au même titre que leur homologue du parti au pouvoir ?
Doit-on procéder à des distributions de vivres pendant une campagne électorale et arroser les électeurs de billets de banque aux fins de conquérir leur suffrage ?
Doit-on occuper tout l'espace public par les affiches publicitaires du pouvoir en place en réservant la portion congrue à l'opposition ?
Doit-on à l'aune d'intérêts vilement politiciens sacrifier une demande populaire comme la reddition des comptes et promouvoir l'impunité ?
Doit-on sous de fallacieux prétextes de menace à l'ordre public interdire aux opposants de jouir des libertés que leur offre la Constitution ?
Toutes ces questions dont on trouve les réponses dans l'actuel régime montrent que nous sommes encore loin de l'idéal démocratique et de justice sociale qu'inspire le 23 juin.
Pourtant le président Sall qui a été un acteur au cœur de la bataille du M23 en termes de réflexion stratégique et de participation financière devait tirer les enseignements de ce fameux jour de résistance qui ne s'est pas circonscrit pas seulement à la bataille de la place Soweto mais qui s'est étendu avec moult péripéties jusqu'au 25 mars 2012 où Abdoulaye Wade a été défait.