LE SENEGAL TOUJOURS AU SECOURS DE SES VOISINS
OPERATIONS MILITAIRES FODE KABA I, FODE KABA II ET GABOU
L’immixtion de la Cedeao dans la crise gambienne rappelle les interventions sénégalaises dans les pays voisins. Les difficultés de la diplomatie pour résoudre la crise post-électorale en Gambie poussent les dirigeants ouest-africains à opter pour une solution militaire. des forces qui seraient sous commandement sénégalais, afin de mettre fin à deux décennies de pouvoir de Yaya Jammeh. L’armée sénégalaise s’est toujours distinguée dans les opérations militaires en Gambie et guinée Bissau. Les opérations Fodé Kaba i et Fodé Kaba ii en Gambie et Gabou en Guinée-Bissau rappellent de vieux souvenirs pour beaucoup de militaires et vétérans.
FODE KABA I : AU NOM DE LA STABILITE DU SENEGAL
Fodé Kaba est le nom du héros le plus populaire de part et d’autre du Fleuve Gambie, mort en 1903. En octobre 1980, une tentative de coup d’Etat a lieu à Banjul. Le président gambien, Daouda Jawara fait appel à Dakar qui lui envoie des militaires lourdement armés pour neutraliser les Fields Forces, désormais sans chef depuis le meurtre du général Mohaney. Cette opération a permis à Daouda Kaïraba Jawara d’arrêter tous ses opposants, de réduire les libertés individuelles et d’interdire toutes les partis politiques. Léopold Sedar Senghor qui vivait ses derniers moments à la tête de l’Etat avait prétexté anticiper sur une possible déstabilisation du Sénégal fomentée par la Libye. Pour beaucoup de spécialistes, les prémices de l’insurrection du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) avaient poussé Senghor à agir. En effet, depuis plusieurs années déjà, Léopold Sedar Senghor recevait des lettres de l’Abbé Diamacoune et du MDFC lui réclamant la fin de la «fédération » dans laquelle le Sénégal se serait engagé avec la Casamance depuis la fin de la Fédération du Mali. Senghor n’avait jamais répondu aux activistes du MFDC mais il savait que quelque chose se préparait. Les accords de défense et d’assistance mutuelle signés en 1965 entre le Sénégal et la Gambie ont justifié l’intervention militaire sénégalaise.
Ces accords ont permis à la Gambie de prendre gratuitement de nombreux villages sénégalais de la Casamance, dont celui de Kanilaï où est né Yaya Jammeh. Les soldats sénégalais neutralisent les rebelles et préservent le pouvoir de Daouda Jawara.
FODE KABA II : DIOUF SAUVE ENCORE JAWARA
Le 30 juillet 1980, en l’absence du président Jawara, un coup de force est fomenté par des opposants radicaux dirigés par un certain Kukoy Samba Sagna. Après avoir pris possession des principaux sites stratégiques de la capitale gambienne, ils mettent sur pied le Conseil suprême de la révolution. Le Sénégal vole à nouveau au secours du président Diawara. C’est le début de l’opération Fodé Kaba II. «Le but de l’opération était de débarrasser Banjul des putschistes qui avaient perpétré un coup d’Etat contre le président Daouda Jawara. L’opération fut une réussite. Le président Jawara est remis rapidement sur son fauteuil. «A partir du 06 aout 1981, toute la Gambie passa sous le contrôle de l’armée sénégalaise», selon le colonel Seyni Diop. Pour lui, le Sénégal n’avait fait que jouer son rôle de puissance dans son cercle d’intérêt stratégique, faisant ainsi respecter la légitimité internationale.
Dans son livre «Fodé Kaba II, les Jambars dans le vent», le colonel Mbaye Cissé relate les événements de cette opération. «En cette matinée du jeudi 30 juillet 1981, l’Etat-major général des Armées connait une atmosphère calme. C’est le général Idrissa Fall, chef d’Etat major des armées, qui est au bout du fil. Le Premier ministre Habib Thiam lui a transmis les instructions du Président Diouf demandant aux Armées de mettre en exécution l’accord de défense liant le Sénégal à la Gambie. Au soir du 31 juillet, toutes les opérations terrestres, aériennes et navales engagées dans l’opération « Fodé Kaba II » pénètrent en Gambie. A Dakar, la progression est suivie, dans la salle des opérations par le ministre des Forces armées, Daouda Sow». Toujours dans son ouvrage, le colonel Mbaye Cissé décrit les plans opérationnels mis en oeuvre par l’armée sénégalaise. « Dans l’Armée de l’air, les hélicoptères Puma côtoient l’escadrille de chasse composée de Fuga Magister, et la flotte d’avions de transports à base de Fokker 27 (…). A la Marine nationale, la vitalité de l’Armée se confond à la figure emblématique de son chef, le capitaine de vaisseau Faye Gassama, qui avait fini d’en faire un pion efficace et respecté. Mieux, la Marine venait de mettre sur pied, dans le cadre de sa montée en puissance, sa première unité de commandos fusiliers marins, une unité d’élite, qui fera parler d’elle dès l’entame des opérations. C’est dire que les Jambaars, sifflotant dans le vent, s’adossaient à un outil performant préparé à l’action, à une instruction et un entraînement de qualité et, enfin, à un leadership incontesté fait d’audace et
de pragmatisme. Dans l’aprèsmidi du jeudi, toutes les unités sont en alerte. A 17h15, un hélicoptère décolle de Dakar, avec à son bord le colonel Konté commandant de l’Armée de terre, accompagné du lieutenant-colonel Gomis, Inspecteur technique des Armées, pour remettre l’ordre d’opérations au lieutenantcolonel Abdourahmane Ngom dit Abel, commandant la Zone militaire sud. Désigné commandant opérationnel du théâtre en Gambie, le lieutenant-colonel Ngom prend en main les opérations ».
LE SACRIFICE DES PARACHUTISTES A YUNDUM
« Le premier Groupement aérien sénégalais a mis en oeuvre ses avions de chasse, de transport et ses hélicoptères de manoeuvre, pendant les opérations aéroterrestres et a assuré une partie du transport logistique, par des liaisons régulières sur Yundum, apportant vivres et courrier aux personnels en Gambie. La
manoeuvre consistait à se saisir de l’aéroport de Yundum et à élargir cette tête de pont par l’action convergente d’unités aéroportées, terrestres et aérotransportées, sur cet objectif initial. Largué le 30 juillet au soir, le bataillon aéroporté est aussitôt pris à partie par l’ennemi. Rompant le contact, les parachutistes dépassent les résistances et s’infiltrent par petits éléments et, le 31 au matin, contrôlent partiellement l’aéroport. Parti de Séléty, le 5ème Bataillon, après de durs combats à Djiborah et Birkama, fait sa jonction avec le 4ème Bataillon de la Zone Est qui, avec l’appui des blindés du Bataillon de Reconnaissance et d’Appui (BRA), a porté de rudes coups à la résistance ennemie de Brikama. Ralliant ensemble Yundum, ces deux bataillons permettent le nettoyage et le contrôle complet de la tête de pont. Le 1er Groupement aérien sénégalais (GAS) commence alors sa noria. Le reliquat des troupes à acheminer est aérotransporté depuis l’aéroport militaire de Ouakam», informe l’auteur du livre «Fodé Kaba II, des Diambars dans le vent». Le Colonel Cissé relate aussi la prise de Banjul. «Elle a eu lieu dans la nuit du 31 juillet au 1er août. La capitale gambienne est reprise aux rebelles grâce à une action coordonnée entre le Bataillon des Blindés et le Bataillon des Commandos. Le Bataillon des Blindés, quelque peu retardé au bac, traverse le fleuve grâce aux sapeurs et emprunte l’axe Farafegni-Brikama-Yundum. Mission lui est donnée d’entrer dans Banjul, où il pénètre après un passage en force dans Serrekunda et avec l’appui d’une section de mortiers lourds du Bataillon d’Artillerie.
L’ASSAUT POUR LIBERER L’EPOUSE DE JAWARA ET SES ENFANTS
Parallèlement, les commandos, héliportés de nuit sur les quais de Banjul, libèrent successivement les ambassades du Sénégal et des Etats-Unis, puis le quartier administratif et effectuent la jonction avec le Bataillon des Blindés. «Dès le 2 août, le Président Jawara revient dans Banjul libéré. Le Commandant des opérations peut alors s’occuper des résistances de Bakau- Brikama et de Bonton. Bakau est le lieu où les rebelles détiennent les otages sénégalais et gambiens dont des femmes et des enfants. Un commando spécial d’une cinquantaine de parachutistes, commandos et gendarmes du GIGN, appuyés par le BRA investit le camp et libère tous les otages sains et saufs. Les rebelles, profitant de la consigne qui est de ne pas tirer, s’enfuient. Ils sont neutralisés par l’élément placé en recueil. L’épouse et les enfants du Président Jawara sont libérés par les forces spéciales britanniques et les soldats sénégalais. Cette phase, la plus spectaculaire de l’Opération Fodé KABA II, a été précédée par la libération des otages européens des complexes touristiques de Kotu, Fajara et Tropic Hotel. Brikama semble avoir été le dernier point de ralliement de l’ennemi. Le 5ème Bataillon y rencontre une résistance soutenue pendant 5 heures. Le BRA a déjà ébranlé fortement cette résistance qu’il faut réduire à néant. Cette mission a été confiée à un escadron blindé renforcé d’une compagnie de l’ENSOA et d’une compagnie du 1er Bataillon. Ces éléments, appuyés d’une batterie de 120 mm, contrôlent Brikama le 6 août. Il y a enfin l’opération Bonton, point à partir duquel partaient des émissions de la radio pirate des rebelles. Un commando est constitué et il réussit à détruire la station. Fodé Kaba II a été une véritable opération de guerre. Le Sénégal y laissera 33 morts dont 2 officiers, et 84 blessés. La Confédération sénégambienne mise sur pied à l’issue des événements n’a pas survécu aux «différences de compréhension des objectifs de la Confédération». Le Sénégal y mettra fin officiellement le 21 septembre 1989.
OPERATION GABOU: 2000 HOMMES POUR SAUVER NINO VIEIRA
Cette opération est motivée par la volonté du Sénégal de venir en aide au régime de Nino Vieira qui faisait face à une mutinerie dugénéral Ansoumana Mané.
«Gabou reste le plus grand engagement de l’armée sénégalaise, après le Libéria. Le contexte qui avait justifié l’envoi de nostroupes en valait la chandelle.
Fort des accords de défense entre les deux pays, un corps expéditionnaire fort d’environ 2.000 hommes est envoyé à Bissau. Cet engagement a pris une allure internationale avec l’entrée en lice de la Guinée- Conakry. Ces deux forces, ajoutées à ce qui restait de l’armée Bissau-guinéenne, constituaient la Force militaire intégrée (Formi), sous le commandement du colonel Yoro Koné. Le colonel Abdoulaye Fall, devenu Cemga et général de corps d’armée, par la suite, commandait les forces sénégalaises sous l’appellation de forces expéditionnaires (Forex). Les maigres loyalistes combattaient aux côtés des Sénégalais et de quelques 400 soldats guinéens de Conakry. L’autre prouesse est d’avoir pu prendre pied à Bissau par la voie des eaux et de permettre aux premières unités de débarrasser Bissau des mutins retranchés dans les faubourgs de la capitale, Kuméré, entre autres. L’ennemi jouait son va-tout en balançant ses projectiles aveuglément dans Bissau pour saper le moral des troupes sénégalaises qui, petit à petit, les bousculaient jour après jour. Cette campagne d’atteinte du moral des troupes s’est corsée avec l’utilisation des ondes pour lancer des messages hostiles aux troupes sénégalaises», raconte un ancien officier supérieur de l’armée à la retraite qui a voulu garder l’anonymat. A l’en croire, «l’engagement de la Force s’est fait en plusieurs étapes. Dès les premiers renseignements faisant état du contrôle de l’aéroport de Bissau par les mutins, l’Etat-major général des Armées, comprit qu’une réédition d’une projection de force de type Fodé Kaba II (entrée sur le théâtre par une opération aéroportée pour créer une tête de pont suivi d’un aérotransport de troupes et d’un élargissement progressif du dispositif) était devenue impossible. Il ne restait plus que la voie maritime pour assurer l’entrée sur le théâtre par une projection navale. C’est ainsi que le 9 juin, un escadron du Bataillon blindé et une compagnie de parachutistes sont projetés en harpon, avec pour mission d’établir le contact avec les forces loyalistes et sécuriser quelques points sensibles dont le palais présidentiel et le port de Bissau. Cet élément est aux ordres directs du lieutenant-colonel Abdoulaye Fall alors Adjoint opérations à l’Etat-major général des Armées », déclare l’auteur du livre Fodé Kaba II, les Diambars dans le vent. Pour l’officier supérieur : « L’escadron sera suivi, quelques jours plus tard, par l’engagement à partir du port de Ziguinchor, d’une section réduite de commandement dont un élément prévôtal et des détachements avancés de soutien de sept directions de services, de deux compagnies de combat, d’un escadron blindé de la Légion de gendarmerie d’intervention (LGI) et d’une section de mortiers lourds. Dès la mise à terre, la Forex réussit à contrôler les points clés de la ville. Dans l’intervalle, elle réussit à refouler les mutins, renforcés par des rebelles du Mfdc, à la lisière de l’aéroport. La montée en puissance de la Forex se poursuit dans les jours à venir. Armés de fusils AK 47, de RPG7, de B10, de mortier 82mm, et de mines anti-personnel et antichar, ils peuvent également compter sur quelques pièces d’artillerie sol-sol de type 122D30 et BM21, des engins blindés d’origine soviétique
comme le BRDM, le char de combat T54. Enfin, les trois avions de chasse MIG 29 cloués au sol, pour des raisons techniques, (le seul remis en état de vol s’écrasera au premier essai), complétaient le décor. Il contrôle les quelques rares infrastructures vitales de la capitale (aéroport, Camp militaire de BRA etc.) et de l‘arrière pays, les mutins pouvaient également compter sur leurs nombreux sympathisants disséminés dans tout le pays subjugués par la propagande médiatique (Radio Bombolong, RTP Africa). Des renforts, projetés de Kolda par voie terrestre et maritime, dont la qualification se fera sous le feu », dit-il.
54 MILITAIRES SENEGALAIS TUES
« Pour mieux prendre en compte le caractère multinational des forces (Forex, Force guinéenne de Conakry, loyalistes bissauguinéens) un commandement de la Force multinationale intégrée (Comformi) fut crée et confié au colonel Yoro Koné, qui rejoindra par voie maritime le théâtre des opérations. D’une manière générale, les combats ont été exceptionnellement durs, notamment celles qui ont tourné autour de la reconquête des points importants du terrain (aéroport et camp de BRA). Ainsi du 21 juin au 26 juillet, des opérations intégrées sont lancées pour tenter de déloger les mutins de leurs bastions. Avec l’entrée en scène de l’artillerie lourde et leur étouffement progressif et irrémédiable par l’opération Pieuvre et la diplomatie sénégalaise, les leaders de la mutinerie, entre temps organisés en une Junte autoproclamée, acceptent une trêve qui sera ponctuée de quelques incidents. Une commission mixte est mise sur pied avec le concours de la CEDEAO et
des pays de la CPLP et des négociations sont entamées entre mutins et loyalistes. A compter du 26 octobre, un cessez-le-feu est obtenu. L’arrivée et le déploiement de la force ouest africaine de l’ECOMOG, le 3 janvier 1999, marque la fin des hostilités pour les troupes sénégalaises. Elles se retireront, par voie maritime, du théâtre bissau-guinéen en juin 1999. L’opération Gabou s’est soldée par la perte de 54 militaires sénégalais. L’intensité des combats, le potentiel agressif de mutins (bombardement artillerie incessant) et les difficultés du terrain n’ont pas empêché à la Forex de remplir sa mission, au prix de plusieurs morts, blessés et disparus. A l’analyse, l’opération Gabou constitue, comme Fodé Kaba II, une manoeuvre de haute facture, exécutée avec beaucoup d’audace, dans des conditions extrêmement défavorables. Elle s’est soldée par un bilan positif à plusieurs niveaux. Au point de vue stratégique, elle a révélé la justesse de l’option politico-militaire consistant à dissuader, par la force et la prise à revers, un pays voisin à se constituer en sanctuaire, d’un mouvement séparatiste tendant à saper les fondements de l’unité nationale. En se projetant directement à Bissau, la Forex a évité une entrée sur le théâtre par voie terrestre qui aurait pu être très coûteuse en hommes et en délais. L’opération Gabou a affaibli le potentiel humain et matériel du MFDC et accéléré la décomposition de son aile dirigeante et de ses complicités. Cette situation culmine quelques années plus tard par une lutte ratricide et une délocalisation musclée de la majorité de ses sanctuaires par l’armée bissauguinéenne.