La clignotante sorcière Karaba
AWA SENE SARR
Elle garde un profond désir de s'habiller et de se déshabiller des personnages qu'on lui confie. Awa Séne Sarr est la seule voix qui traverse les aventures de Kirikou. Elle est Karaba la sorcière mais pas une sorcière avec sur le nez une verrue et un balai pour vaisseau spatial. Une sorcière humanisée qui a raison d'en vouloir aux hommes qui lui ont porté tort. En compagnie du réalisateur Michel Oslot, elle a ouvert le Tandem cinéma Paris Dakar dans la salle rénovée du Crista, à Grand Yoff, le mercredi 3 avril 2013.
Le temps n’a pas laissé trace sur le visage de la comédienne Awa Séne Sarr, ancienne pensionnaire du théâtre Daniel Sorano et qui aujourd’hui prête sa voix à la sorcière Karaba dans le triptyque Kirikou ( Kirikou et la sorcière, Kirikou et les bêtes sauvages et Kirikou , les hommes et les femmes ). Elle garde une fraîcheur de jeunesse et un port toujours altier. Une noirceur de peau que les nuances colorées de son boubou embellissent un peu plus. Sa rencontre avec le réalisateur Michel Oslot date de 1994 quand le réalisateur, arrivé à Dakar, cherchait des voix pour son film d’animation « Kiriku et la sorcière ».
Awa Séne Sarr qui avait obtenu de la direction du théâtre Daniel Sorano deux années sabbatiques mettait en place une troupe privée : le Pétaw. La suite, elle la raconte : « Je vois arriver Michel Oslot qui me dit : « Je fais un casting pour un film d’animation. Cela vous intéresse –t-il ?» Il me remet un texte que j’ai lu, ça lui convenait. C’est ainsi que depuis 1994, je suis embarquée dans toutes les aventures de Kirikou. » Les choses, peu à peu se mirent en place. C’est au studio Xippi sur l’avenue Fadiga que se déroulèrent les enregistrements de voix de « Kirikou et la sorcière » sur une musique de Youssou Ndour. Awa Séne Sarr en garde un souvenir ému par la chaleur humaine qu se dégageait de l’ambiance de travail.
La manière de travailler de Michel Oslot est toute particulière en ce qu’il enregistre les voix d’abord pour ensuite concevoir ses personnages. C’est la voix qui conditionne le personnage et non le contraire. Le travail de la voix avant que d’être physique est avant tout mental. Awa Séne Sarr est du genre méthodique. Elle explique: «J’avais beaucoup discuté avec Michel Oslot parce que j’avais besoin de savoir qui était la sorcière karaba. Avait-elle un présent, un passé, une histoire ; avait- elle des souffrances, des blessures, des écorchures de la vie. Je m’étais donc psychologiquement mise dans l’univers de cette femme ». Une manière d’humaniser un personnage qui se présente dans notre imaginaire sous un aspect peu reluisant.
Karaba est-elle une méchante sorcière ? Awa Séne Sarr répond par la négative : «J’aime ce personnage car tous les personnages racontent une tranche de vie et toutes les tranches de vie méritent d’être racontées. Il n’y a pas de bons ou de mauvais personnages. Quand je me mets dans la voix d’un personnage comme Karaba, je lui cherche des excuses pour l’aborder. Je ne l’affronte pas frontalement en me disant qu’elle est méchante. Si je le fais, je ne serais pas capable de lui rendre sa dignité. Je me dis que c’est un être humain à qui je dois trouver des excuses à son comportement.
Des lors, je me mets à l’aimer ». Karaba est une sorcière autoritaire mais pas ogresse comme le pensent les habitants du village. Elle ne mange pas les hommes, elle les punit en les transformant en automates qui plus tard retrouveront leur forme humaine du moins dans le premier Kirikou. Awa Séne Sarr s’est beaucoup appuyée sur son expérience au théâtre pour donner une personnalité de voix à Karaba. Elle utilise les mêmes outils qu’au théâtre pour partager avec le public les émotions.
Parmi les personnages qu’Awa Séne incarnait, Karaba se situe dans un autre registre car la comédienne avait habitué le public à la douceur de sa voix et non à une voix cassante. Elle avoue : « Karaba m’a fait du bien car être comédienne, c’est endosser plusieurs personnages et ne pas aller dans un seul sens. J’interprète mais en même temps je suis ». C’est tout de même une performance que de voir quatorze ans durant, Awa Séne Sarr garder à peu prés le même timbre de voix dans les différentes aventures de Kirikou. Il y a assurément une complicité entre Michel Oslot et Awa Séne sarr qui dit du réalisateur qu’il est un enfant de « Leuk le lièvre », le livre de Léopold Sédar Senghor et Abdoulaye Sadji.
Entre théâtre et cinéma, le cœur de Awa Séne Sarr bat-il désormais pour le dernier ? La réponse est cinglante : «Non ! Je dis sans aucune hésitation qu’il bat pour le théâtre. Je suis une femme de théâtre et qui de temps à autre fait une petite infidélité pour toujours revenir à mes amours premières qu’est le théâtre.» Alors un petit regret pour Sorano qui ne brille plus comme avant ?: « Regret ! Pas spécialement. Peut être que la génération actuelle fait avec ce qu’elle a. Je corresponds par email avec beaucoup de jeunes qui me disent leur désir de faire du théâtre et je me dis que l’envie est là. Il suffit juste de donner à ces jeunes les moyens de réaliser leur passion.»