APRES LE JOOLA, L'ORNIERE DES ROUTINES
C'est bien chez nous que la mer a tué comme elle n'a jamais tué dans l'histoire mondiale de la navigation. Nous n'avons pas trouvé de coupables, nous n'avons trouvé que des victimes dont la plupart ont été abandonnées aux flots; et aucune mesure sérieuse, au niveau national, n'est venu enrichir notre système de sécurité; les routes continuent d'être encombrées par des véhicules d'un autre âge et des chauffards sans conscience, hors la loi, occupent nos routes comme des gangsters. Des Sénégalais sont tués comme des mouches au vu et au su de tout le monde.
A cause de la force de notre "mas-laha", les bourreaux sont libres et récidivent. Nous vivons, au plan mondial, une triste période faite de violences et de cruautés; au Sénégal, nous vivons dans le désordre, or le désordre fait le lit des criminels. Cet appel de notre compatriote a été déjà diffusé par plusieurs organes de presse de notre pays sans recevoir d'écho.
Après le naufrage du Joola et toutes ces catastrophes qui ont ensanglanté nos routes et endeuillé des centaines de familles, il est temps que nos décideurs se réveillent et mettent en application toutes mesures passées, présentes et futures en la matière avec toute la rigueur qu'il faut sans interruptions; On sait que nos mesures de sécurité naissent le matin sous le coup de l'émotion et meurent le soir par insouciance. Pour lutter contre une telle tare, une journée de la sécurité nationale ne serait-elle pas nécessaire? C'est l'objet de cet appel de notre compatriote Makhily Gassama.
Le 26 septembre 2016 - date fatidique - rappellera encore, à la nation et au reste du monde, l’épouvantable naufrage du Joola en 2002 et, immanquablement, interpellera les consciences, car la cause fondamentale de cette catastrophe est essentiellement humaine. Ce fut le plus grand naufrage, en temps de paix, que les Temps modernes n’avaient jamais connu. Funeste record enregistré sur nos terres pour l’éternité.
Comme nous le savons, l’histoire de ce naufrage est complexe et pénible à supporter, complexe et pénible parce que, à tout considérer avec objectivité, il n’est rien de moins qu’une œuvre humaine. Si nous refusons de le reconnaître à travers des gestes d’une haute portée morale, politique, éducative, des gestes fortement symboliques, les générations à venir nous condamneront et donneront, tôt ou tard, à cette catastrophe, ses véritables dimensions, et prendront des décisions à la hauteur de l’événement, unique dans les annales de l’histoire maritime de notre planète.
Certes, il y avait eu le naufrage célèbre du Titanic, en 1912, mais celui-ci n’avait enregistré que 1513 morts sur 2224 passagers, alors que le Joola a enregistré environ 1883 morts sur 1946 passagers si l’on se contente des chiffres officiels. La différence est énorme entre les deux plus grands sinistres maritimes en temps de paix. L’histoire a fini par révéler les efforts titanesques accomplis par l’équipage du Titanic pour sauver ses passagers ; nous ignorons presque tout du comportement de l’équipage du Joola ; du reste, en avait-il reçu la formation adéquate ?
Certes, nous savons aujourd’hui que l’iceberg n’était pas l’unique responsable du naufrage du Titanic et qu’il y avait bien eu une combinaison de facteurs humains qui l’avait favorisé, mais, ici, ces facteurs humains ne relèvent pas du désordre monstrueux qui avait été à l’origine du naufrage du Joola. L’effort humain avait réussi à faire du Titanic le navire non seulement le plus luxueux, mais aussi le plus techniquement sûr de l’époque. Dans son naufrage, l’homme est moins à blâmer.
Le Joola, dont la capacité est de 580 passagers, a osé utiliser, en plein jour, au vu et au su des autorités politiques et administratives et de la population, presque 4 fois plus de sa capacité, sans parler des camions surchargés de marchandises. Sûr de ses surcharges, il a osé ainsi affronter l’océan! c’est dire que nous sommes collectivement responsables de cette catastrophe.
Ce qui émeut le plus dans l’histoire de ces deux catastrophes, c’est l’énorme différence dans le traitement des deux dossiers et dans l’attitude des citoyens : l’Angleterre et les Etats-Unis s’étaient alors sérieusement penchés sur la sécurité maritime en mettant en place de nouvelles réglementations qui ont sauvé un nombre incalculable de vies humaines. Ils ont ainsi agi à la hauteur des attentes de leurs populations; grâce aux gestes posés par les politiques de l’époque, le maximum de bien a été extrait de cette catastrophe et les 1513 morts ont dû sauver, de 1912 à nos jours, des milliers de vies humaines.
Qu’avons-nous tiré, nous, petit pays du Sahel, du naufrage du Joola ? Presque rien! Il y a eu sans conteste un “avant” Joola, fait de désordre et d’insouciance, mais il n’y a manifestement pas eu un “après” Joola! Pourtant, nous ne sommes que 13 millions de Sénégalais ; la disparition, en un jour, en quelques maigres heures, de presque 2000 de nos compatriotes dont la plupart sont des jeunes, mérite notre attention – hélas, souvent trop distraite en bien des circonstances! Il est urgent d’en tirer quelque chose d’utile, un bien que nous ne devons qu’à cette catastrophe, mais comment ?
Utiliser le 26 septembre de chaque année comme un instrument précieux pour célébrer l’ordre - le geste qui sauve -, pour lutter contre le désordre - le geste qui tue -, en d’autres termes, faire de cette date la Journée nationale de la sécurité contribuerait non seulement à laver la honte aux yeux du monde, mais à sauver d’autres vies humaines. Elle sera célébrée dans toutes nos régions, dans les villes comme dans les villages, dans nos écoles : des rencontres animées par des spécialistes de la sécurité ; par des sociologues, des universitaires, des associations apolitiques, des ONG, des corps comme la Gendarmerie et la Police, des débats dans les médias, des prières dans les mosquées et les églises, etc. Occasion exceptionnelle de faire l’état des lieux, chaque année, en terme de sécurité, car le désordre, lit confortable et fertile de l’insécurité, est l’un de ces puissants facteurs qui créent et entretiennent le sous-développement dans les pays africains.
Le monstre a différents visages et différents noms sous les Tropiques. Il est dans nos bureaux, dans nos foyers, sur les places publiques; il est dans nos palais; il est dans nos écoles, dans nos universités; il est dans nos rues et sur nos routes; il est dans nos champs, dans nos ateliers; il est dans nos cabinets d’expertise, dans nos hôpitaux; il est même dans nos cimetières! Il est partout et partout il nous déshonore... Le désordre, ce monstre de laideur, terrifie tout effort de construction, d’émergence dans nos pays! Bien insensé est celui qui croit à l’émergence d’un pays dans le désordre...