ACTE 3, 4 PLAIES A PANSER, 5 ANS APRÈS !
Dans le souci d’une amélioration de notre système de gouvernance, quatre insuffisances devraient être corrigées pour permettre aux collectivités territoriales d’être dotées de ressources requises pour un accomplissement efficace de leurs missions
Le cinquième anniversaire de la loi 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités territoriales communément appelée Acte 3, nous donne l’occasion de porter quelques appréciations sur ce texte fondamental en matière de gouvernance territoriale au Sénégal.
Dans le souci d’une amélioration continue de notre système de gouvernance, quatre (04) insuffisances et défaillances devraient être corrigées pour permettre aux collectivités territoriales d’être dotées de ressources humaines, financières et techniques requises pour un accomplissement efficace et efficient de leurs missions[1]. Ce qui permet de mieux prendre en charge les préoccupations majeures des communautés locales.
I.Faible accompagnement technique des collectivités territoriales
Il est avéré que la quasi-totalité des collectivités territoriales sénégalaises ne sont pas dotées de moyens humains qualifiés ou techniques pour une bonne gestion des importantes compétences qui leur sont transférées. Dans les grandes villes, l’essentiel du personnel est sans instruction ou d’un niveau primaire. A titre illustratif, dans les villes de Kaolack et Saint Louis, le taux de ce personnel sans instruction représente respectivement 73 et 68 % des agents municipaux[2], alors que seulement 4% et 10% des agents ont le niveau du Bac.
La situation est plus grave en milieu rural où les communes ne disposent souvent pas de services ou agents techniques propres. Dans ces communes, un seul agent (assistant communautaire devenu secrétaire municipal) fait tout et devient alors, omniprésent dans tous les dossiers municipaux. Concernant les maires, ils sont très souvent des analphabètes en français et ne peuvent alors comprendre aisément les documents qu’ils sont chargés de traiter.
Trois pistes de solutions peuvent être explorées pour améliorer ce tableau sombre de notre politique de décentralisation.
La loi n°96-07 du 22 mars 1996 portant transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales avait créé un pertinent outil appelé « conventions types » mais dont la gestion légère a fini de le rendre inefficace. En effet, cet outil permet aux organes exécutifs (maires et présidents de conseils départementaux) de faire recours aux services techniques de l’Etat dans l’exercice des compétences transférées. Selon l’article 9 de cette loi, ces conventions passées entre le représentant de l'Etat et l’organe exécutif local devaient déterminer les conditions d'utilisation de chaque service de l'Etat par les collectivités territoriales. Ces services sont mis dans le cadre de cette convention à la disposition des collectivités territoriales. Ils reçoivent de celles-ci « toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches ». Cette disposition reprise par l’article 285 du code général des collectivités territoriales (Acte 3) reste encore peu efficace, malgré la dotation financière mobilisée.
Rappelons qu’un important prélèvement est effectué sur le FDD[3] en faveur des autorités déconcentrées de l'Etat pour les activités des services devant accompagner les collectivités territoriales. En 2016, ce prélèvement tournait autour de 300 000 000 FCFA. Les efforts nécessaires pour vulgariser cet outil auprès des élus locaux ne sont pas consentis. Ces conventions sont largement ignorées par les collectivités territoriales. Or les fonds qui leur sont dédiés sont régulièrement consommés dans un brouillard d’opacité. Et les maires continuent à négocier directement avec les agents de ces services sans passer par la signature d’une convention.
Les maires prennent directement en charge les frais de déplacement ou de carburant de ces agents, alors que le FDD a déjà prévu des allocations pour prendre en charge de telles dépenses et soulager les budgets locaux. C’est d’ailleurs pourquoi en 2012, la Cour des Comptes avait recommandé au Président du Conseil régional de Tambacounda de mettre un terme aux dotations de carburant aux services extérieurs de l'Etat sans la signature des conventions-types[4].
C’est encore dans cette optique, que le rapport sur le contrôle de légalité[5] a fortement recommandé la prise d’une circulaire exigeant des autorités administratives de rendre compte de l’utilisation du fonds d’appui aux services déconcentrés, destiné à financer la mise à disposition de ces services.
En outre, l’Acte 3 avait enregistré une avancée considérable en exigeant à tout postulant à la fonction de maire de « savoir lire et écrire dans la langue officielle ». Malheureusement, moins de quatre mois après l’adoption de cette loi, le législateur est revenu sur sa décision pour enlever ce critère et retourner à la case de départ. Présentement, il s’agit juste de « savoir lire et écrire » dans n’importe quelle langue, alors que la langue de travail de l’administration, c’est le français.
Dans les faits, des maires signent des documents sans comprendre le contenu et les enjeux majeurs encourus. Loin de nous, l’idée de dire que les maires qui savent lire et écrire en français sont bons et les autres sont mauvais. Par contre, si vous ne maitrisez pas le principal outil de communication de l’administration, vous aurez toutes les peines du monde pour manager un démembrement de l’administration. La gestion des collectivités territoriales fait appel à un personnel suffisant et de qualité pour faire face aux exigences des missions confiées à ces collectivités dont les compétences et les responsabilités sont progressivement rehaussées. Au premier rang de ce personnel doit se trouver un maire maitrisant les dossiers soumis à son analyse et à sa signature.
Nous ne pouvons pas terminer cette partie sur l’encadrement technique sans parler du piteux état des Centres d’Appui au Développement local (CADL). Le CADL est le seul service technique déconcentré de l’Etat en milieu rural. Basé au chef-lieu de l’arrondissement, il peut polariser plusieurs communes, mais il manque de moyens logistiques pour intervenir efficacement. Aujourd’hui, certains CADL ne sont même pas dotés de personnel et les communes concernées sont alors laissées à elles-mêmes. Ce qui est de nature à renforcer la gestion tatillonne des affaires publiques locales par ces élus locaux.Comme le soulignait le Président de la République lors de l’installation de la fonction publique locale (27 février 2018), "cette grande réforme exige la modernisation de la gestion publique territoriale avec la promotion soutenue de la qualité des ressources humaines ».
Terminons, par le processus d’approbation des délibérations. Le représentant de l’Etat (préfet ou sous-préfet) est chargé de veiller à la sauvegarde des intérêts nationaux, au respect des lois et d’exercer le contrôle de légalité. Il a alors besoin de l’appui des services techniques pour mener à bien sa mission, vu la diversité des domaines d’intervention des collectivités territoriales. Or, l’article 286 (CGCT) dispose que les agents des services déconcentrés de l'Etat qui ont apporté directement et personnellement leur concours à une collectivité territoriale pour la réalisation d'une opération, ne peuvent participer, sous quelque forme que ce soit, à l'exercice du contrôle de la légalité des actes afférents à cette opération. Cette disposition interdit au représentant de l’Etat de saisir les services techniques qui ont appuyé une collectivité territoriale dans la réalisation d'une opération, pour recueillir leur avis. Ces services sont donc écartés du processus d’approbation. Alors que le représentant de l’Etat doit s’appuyer sur ces services pour prendre une décision éclairée. Il est alors amputé de ses bras techniques.
Cette disposition ne cadre pas avec la « real-décentralisation » sénégalaise. La quasi-totalité des collectivités territoriales sénégalaises n’ont pas de services propres et ne s’auraient s’en passer de l’appui des services déconcentrés de l’Etat. Par contre, si les collectivités territoriales étaient dotées de services techniques propres, cette disposition serait pertinente, en ce sens qu’elle permettrait d’éviter les conflits d’intérêt ou autres « délit d'initié » ou de « conflit de mission ». Cette disposition du CGCT[6] doit être abrogée.
Sous un autre registre, les représentants de l’Etat et plus particulièrement les sous-préfets devraient bénéficier d’un programme permanent de formation continue. La vaste étendue de leurs missions, le nombre important de communes placées sous leur contrôle, ainsi que le manque de personnel qualifié dans les anciennes communautés rurales exigent de ces agents de l’Etat une maitrise des textes et de la science administrative.
En général, les représentants de l’Etat ne délivrent pas d’accusé de réception, alors que, cette délivrance est obligatoire et immédiate (article 243 du CGCT). Cet accusé de réception est important, c’est à partir de cette date que court le délai d’approbation et il peut être utilisé comme preuve. Certains refusent de délivrer cet acte pour ne pas s’enfermer dans les délais qui sont pourtant légaux. Le Ministère de l’Intérieur doit élaborer un modèle-standard d’accusé de réception et inviter les autorités de l’administration territoriale à se conformer à ces dispositions légales.
Les différents rapports des corps de contrôle ne cessent de pointer les manquements et surtout la légèreté dans l’exercice des missions de contrôle des représentants de l’Etat[7]. Du fait de leur rôle de contrôleur de la légalité, ils sont co-responsables des violations ou mauvaises appréciations des textes juridiques reprochées aux élus locaux.
II.Faible capacité financière
Le principal cri de cœur des élus locaux depuis la mise en place de cette nouvelle politique de gouvernance territoriale est la faible capacité financière des collectivités territoriales. Sur ce point, il faut souligner dès le départ que les responsabilités sont partagées.
Conformément au principe constitutionnel de la « libre administration », la source principale des collectivités territoriales doit demeurer les ressources propres. Le législateur a quand même introduit dans cette catégorie de ressources, les dotations provenant de l’Etat (FDD, FECL8, fonds de péréquation etc.). Les communes doivent mener une stratégie hardie de mobilisation de ressources propres locales. Pour ce faire, les élus locaux doivent être animés d’un volontarisme politique et soucieux d’assainir la situation de leurs communes respectives. C’est pathétique d’entendre très souvent des maires dire « nous attendons l’Etat ». Or, l’article 73 du code prévoit que « ne peuvent être constituées en communes que les localités ayant un développement suffisant pour pouvoir disposer des ressources propres nécessaires à l'équilibre de leur budget ».
Cette disposition pertinente qui est le soubassement même de la décentralisation n’est malheureusement pas respectée. La création de beaucoup de communes est dictée par des considérations politiciennes, ce qui est à l’origine de la prolifération ou de la fragmentation territoriale. Certaines communes n’ont aucune potentialité ou viabilité territoriale ou économique pour générer des ressources propres, elles demeurent en permanence sous perfusion des fonds de l’Etat.
Et d’ailleurs, si l’article 74 du CGCT était rigoureusement appliqué, toutes ces communes devraient être dissoutes. Cet article souligne que « lorsque, pendant quatre années financières consécutives, le fonctionnement normal d'une commune est rendu impossible par le déséquilibre de ses finances, sa suppression peut être prononcée par décret, après avis de la Cour suprême ». Mais pour éviter des troubles et autres contestations, l’Etat renforce la perfusion au niveau de ces communes pour les maintenir en vie institutionnelle.
L’Acte 3 a beau proclamer vouloir mettre en place des « territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable », mais ces vœux restent pieux. Le découpage ne permet pas l’atteinte de cet objectif général, visé par « l’Acte III de la décentralisation ».
A titre illustratif, nous avons participé à une mission d’appui au recouvrement organisée par une ancienne communauté rurale dans la région de Kaolack avec l’appui de la coopération allemande, au lieu de recouvrer de l’argent auprès de contribuables, c’est le maire (qui faisait partie de la mission) qui était obligé de donner de l’argent aux populations. Il n’y avait pas de potentiel et le taux de pauvreté était tel que le maire était obligé de distribuer de l’argent dans des villages sillonnés.
Les communes qui ont un potentiel fiscal relativement important font face à un manque à gagner important dans le recouvrement des recettes. Dans ces communes, la matière imposable reste non actualisée. Ce qui constitue un obstacle à un recensement exhaustif des contribuables et à l’élargissement de l’assiette de la fiscalité locale.
Dans la pratique, il est perçu des produits des expéditions des actes administratifs, des actes de l'état civil ou autres droits de légalisation, sans reversement de ces recettes dans le budget. Le modus operandi consiste à délivrer ces actes sans y apposer de timbre, à l’instar des collecteurs « djouti » dans les marchés, qui perçoivent les droits de place (à un montant inférieur à la valeur faciale) sans délivrer de tickets en contrepartie.
Une collectivité territoriale ne doit plus être gérée comme une administration classique, mais plutôt comme une entreprise. Dans cette optique, les maires peuvent confier le recouvrement à des cabinets privés avec signature de contrats de performance. Ces privés se feront rémunérer sur la base du taux de recouvrement, conformément aux objectifs de performance qui leur sont assignés, selon le potentiel de l’assiette. C’est une manière d’ailleurs de contribuer à la promotion du partenariat public-privé, inscrit en lettre d’or dans la nouvelle politique économique du Sénégal.
En 2005, le Maire de Dakar a mis cent agents à la disposition de la Direction Générale des Impôts et des Domaines (DGID), et une hausse considérable a été enregistrée à la suite de cette initiative. Pour le seul quartier des Almadies, le produit de l’impôt collecté dans ce secteur est passé de 9 millions de FCFA à 5 milliards.
Ce partenariat facilitera à la commune, la tenue d’une comptabilité des ressources tirées de ces produits (état-civil) en vue de disposer de situations de synthèse périodiques, conformément à la réglementation en vigueur.
Il est évident que ces genres d’initiatives font appel à l’appui constant, concerté et planifié des services des Impôts et du Trésor dans un programme de travail commun. Ce partenariat peut être porté par les Commissions de fiscalité locale. Ce nouveau et pertinent mécanisme est mis en place par le nouveau code général des impôts (article 308). Malheureusement, cette commission se limite aux contributions foncières des propriétés bâties et non bâties. Il s’agit maintenant de l’élargir aux autres impôts locaux, de l’animer, de la rendre dynamique pour assurer une meilleure communication entre les parties prenantes.
Les considérations électoralistes sont à l’origine de fortes déperditions fiscales. Beaucoup de maires sont peu rigoureux dans la perception des impôts locaux, par crainte d’être débarqués lors des prochaines élections locales. Cette crainte ne tient pas.
Les populations ne sont pas contre le paiement, mais exigent des réponses idoines à leurs préoccupations et en toute transparence. Le taux de recouvrement des impôts locaux de la commune de Dakar est passé de moins de 19 000 000 000 FCFA en 2010 à près de 25 000 000 000 en 2013, c’est-àdire à la veille des élections locales de 2014 et pourtant cette même équipe a été reconduite par les dakarois.
Les équipes municipales doivent enfin utiliser les opportunités offertes par l’article 198 (CGCT) qui permet aux collectivités territoriales de créer en fonction des potentialités locales des équipements marchands et d’instituer des taxes sur l'utilisation de ces équipements. Par exemple, Wack Ngouna dans le Saloum peut s’équiper de machines d’arachide (décortiqueuse, égreneuse, tireuse, éplucheur etc.). Ces équipements permettent d’alléger les travaux de l’agriculteur et de renforcer la qualité de la production, tout en générant des recettes budgétaires. La commune de Oréfondé (Matam) peut mettre en place une mini-rizerie, vu que les producteurs vont de longues distances ou se contentent des méthodes traditionnelles. Là également, la gestion de ces équipements, pour plus d’efficacité, pourrait être confiée à des privés.
Les organes exécutifs locaux (président conseil départemental et maire) ont la charge de favoriser un environnement local propice pour impulser le développement d’entreprises (même informelles). L’Etat a déjà mis en place des outils de promotion de l’entreprenariat (ADPME, 3FPT etc…)[8], il appartient maintenant aux autorités décentralisées de les articuler avec la décentralisation par des initiatives de développement économique local aptes à valoriser leurs territoires par l’exploitation de toutes les potentialités locales.
Pour couronner toutes ces initiatives de succès, les communes doivent impérativement mettre en place les cadres de concertation prévus à l’article 7 du code général des collectivités territoriales. Ces cadres auront un droit de regard dans la gestion de ces fonds collectés, ce qui est de nature à renforcer la transparence, à lever toute suspicion et à amener les contribuables ainsi rassurés à s’acquitter convenablement de leurs obligations fiscales. Le Sénégal a mis en place un cadre de partenariat public-privé. Ces opportunités doivent être exploitées par les collectivités territoriales. A ce titre, les communes pourraient s’inspirer de la belle trouvaille de Malicounda dans la mise en place de la Centrale solaire d’un coût de 22 milliards de FCFA et dans laquelle la commune détient 5% des parts de la société d’exploitation.
A côté des élus locaux, l’Etat a aussi une part de responsabilité dans la faible capacité financière des communes. En 1996, l’Etat a transféré d’importantes compétences aux collectivités territoriales, sans transférer les moyens pour couvrir toutes ces nouvelles charges. Or, selon l’article 282 du CGCT « les transferts de compétences par l'Etat doivent être accompagnés au moins du transfert concomitant aux départements et aux communes des moyens et des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences… ». Cette disposition laisse apparaitre deux principes, d’une part chaque transfert de compétence est accompagné de moyens et d’autre part, ces moyens doivent permettre un exercice normal de ces compétences.
En réalité et vingt-deux ans après cette politique de transfert, certaines compétences ne font pas encore objet de transfert financier. Ces transferts consacrés par le législateur tardent à se matérialiser dans toutes les compétences transférées, aggravant ainsi les contraintes d’ordre financier des communes. Les secteurs de la santé, de l’éducation et du sport sont les seuls ayant régulièrement bénéficié des ressources du Fonds de Dotation de la Décentralisation depuis sa création[9].
Ces transferts effectués (pour les compétences qui en reçoivent) ne permettent pas non plus un « exercice normal de ces compétences ». Selon ce même rapport, « l'évaluation des coûts de compensation a été virtuelle, depuis l'origine, car n'ayant pas été faite de manière précise, afin de déterminer, pour chaque compétence transférée, la nature des charges concernées[10] ».
En outre, le FDD pourrait être renforcé en diversifiant ses sources de financements, au-delà de la TVA. Ce fonds pourrait être alimenté aussi par la TRIMF[11]. Le problème de cet impôt est qu’il est versé en principe à la commune où l’entreprise a son siège social (article 35 code général des impôts). Or beaucoup d’entreprises ont leur siège social à Dakar et déroulent leurs activités dans les communes de l’intérieur. Au lieu de centraliser tous les versements de cet impôt dans la commune du siège social, ils peuvent plutôt contribuer à alimenter le FDD. Ce qui permet de faire jouer la péréquation en permettant à toutes les communes d’en bénéficier. Deux autres sources pourraient aussi être explorées au profit des communes. L’Etat est dans une dynamique d’augmenter les autoroutes à péage. Une quote-part peut être instituée sur ces péages et ristournée aux communes traversées.
Une autoroute est une perte de recettes pour ces communes. La commune perd des droits de stationnement qui étaient payés par les véhicules de transport en commun qui empruntaient la route qui traversait ces communes. De même, l’économie locale souffre de cette nouvelle situation. Les stations de service et autres boutiques voient leurs recettes baisser. Les vendeurs au bord de la route voient leurs revenus s’amenuiser. Tel est le cas à Dalifort, Pikine, Thiaroye, Diamniadio, Sébikotane, Bambéy, khombole etc. Pour réparer ce « préjudice fiscal », un système de ristourne peut être institué au profit de ces communes.
C’est cette situation qui est également à l’origine de la perception sans base légale des recettes sur les actes d’urbanisme (permis de construire, certificats de conformité, d’urbanisme et de démolition etc.). La mise en place de la DSCOS[12] a propulsé le reflexe des citoyens à aller chercher à la mairie un permis de construire ou autres documents d’urbanisme. Ce qui entraine par conséquent la perception de droits par la mairie. Or, ces droits perçus ne sont mentionnés, ni dans la nomenclature budgétaire, ni dans les dispositions de l’article 195 du code général des collectivités territoriales qui énumèrent les recettes de fonctionnement et d’investissement de la collectivité territoriale. La Cour des Comptes a déjà attiré, en vain, l’attention des autorités sur cette question[13]. En outre, l’Etat n’a pas adopté une loi définissant les tarifs et les modalités de perception de certains impôts et taxes. Ce qui ne permet pas aux communes de mobiliser (légalement) ces recettes prévues. Nous pouvons citer la taxe sur la valeur des locaux servant à l’usage d’une profession, la taxe de balayage, la taxe de déversement à l’égout, la taxe sur les machines à coudre, la taxe sur les locaux garnis etc. Si l’Etat ne veut pas que ces taxes soient recouvrées, celles-ci doivent être supprimées et que le code soit ainsi allégé.
Il est vrai que l’Etat fait des efforts pour augmenter régulièrement les transferts au profit des collectivités territoriales, mais cet effort est affaibli par l’absence de contrôle systématique et de sanctions sur l’utilisation de ces fonds.
En ce qui concerne le secteur minier, il peut sensiblement contribuer au financement des collectivités territoriales. Ce secteur draine aujourd’hui de flux massifs d’investissements couvrant diverses substances minérales.
Les Articles 113 et 115 du nouveau code minier prévoient des mécanismes assez innovants. D’une part, « 20% des recettes provenant des opérations minières sont versés dans un fonds d’appui et de péréquation destiné aux collectivités territoriale ». D’autre part, « les titulaires de titres miniers, de contrat de partage de production, ou de contrat de service participent annuellement à l’alimentation d’un fonds d’appui au développement local des collectivités territoriales situées dans les zones d’intervention des sociétés minières… ». Le montant annuel de ces engagements financiers est de 0,5% du chiffre d’affaires annuel hors taxe. Malheureusement, ces initiatives du nouveau code minier sont encore ineffectives, malgré la signature de l’arrêté interministériel du 20 décembre 2017 portant répartition de ces fonds tirés des ressources annuelles provenant des opérations minières au titre des années 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015.
Terminons sur une situation directement subie par les communes et sur laquelle elles ne peuvent agir directement pour corriger les dysfonctionnements. Il s’agit des exonérations sur les impôts locaux accordées par l’Etat. Les communes ne maitrisent ni le nombre, ni la durée de ces exonérations. Parfois, elles ne sont même pas informées de cette situation. Il est fréquent de voir une entreprise saisie pour paiement par une commune qui lui rétorque qu’elle est exonérée.
Il est bien de réfléchir sur les opportunités de financement des collectivités territoriales, mais il est mieux de prévoir des mécanismes de renforcement de la transparence dans la gestion de ces fonds par les élus locaux. La mise en place d’un cadre communal de concertation doit être systématique pour permettre aux citoyens et plus particulièrement à la société civile locale d’avoir un droit de regard organisé dans la gestion des finances locales. La mise en place de ces cadres ainsi que leur consultation doivent être une obligation légale et ne plus dépendre du « bon vouloir » du maire comme en dispose l’article 7 du CGCT. Cette implication des citoyens dans le système de collecte et de gestion des fonds permet aux contribuables de connaitre, en toute transparence, les montants collectés et leur destination. Ce qui est de nature à renforcer la confiance entre eux et la commune, d’une part et à impulser le civisme fiscal d’autre part. Le Président de la République l’a bien compris, en annonçant lors du Groupe Consultatif de Paris (17 décembre 2018), que la transparence est un gage de performance économique.
III.Des dysfonctionnements d’ordre institutionnel
De nombreux dysfonctionnements sont constatés dans la mise en œuvre de la décentralisation, surtout du fait de la communalisation intégrale.
La quasi-totalité des convocations des conseillers domiciliés en milieu rural se font dans l’illégalité. Selon l’article 146 du CGCT « toute convocation est faite par le maire. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée à la porte de la mairie et adressée par écrit et à domicile, trois jours francs au moins avant celui de la réunion ». Pour les communautés rurales devenues communes, le problème se trouve au niveau de ce passage « convocation adressée par écrit et à domicile ». Cette disposition ne cadre pas avec le monde rural où il n’existe pas en général de système d’adressage. En outre, des difficultés sont notées dans la transmission d’une convocation écrite, du fait des longues distances entre les villages et certains chefs-lieux de commune, ainsi que du manque de moyens de transport ou de services appropriés.
Dans la pratique, les convocations se font par appels téléphoniques, sms, personnes interposées etc. Or, selon l’Acte 3, toute convocation, pour être légale, doit être faite conformément à cet article. Autrement dit, une session du conseil municipal qui se tient en dehors du système organisé par l’article 146 est sans base légale et le représentant de l’Etat est en droit de refuser l’approbation de toutes décisions sorties d’une session dont les conseillers ont été convoqués par téléphone ou personnes interposées.
En outre, ces contraintes liées aux distances et moyens de transport en zone rurale font que le délai entre le jour de la convocation et la session est trop court. L’article 146 le fixe à 3 jours alors que l’ancien code fixait ce délai à cinq jours pour les communautés rurales. Le nouveau article 146 doit ainsi être revu : « toute convocation est faite par le maire (…) elle est adressée par écrit et à domicile ou faite par le moyen le plus approprié cinq jours francs au moins avant celui de la réunion ».
Par ailleurs, l’article 148 a introduit une innovation regrettable. Selon cet article, il est inséré dans le procès-verbal, les prénoms et noms des votants, avec l’indication de leur vote. Beaucoup de communes ne respectent pas cette disposition et celles qui la respectent sont confrontées à des contraintes d’ordre social. Cette disposition veut que le PV précise pour chaque conseiller (votant) dans quel sens il a voté (pour, contre ou abstention). Cet article crée des stigmatisations et anéantit la solidarité municipale. Le législateur a interdit aux élus locaux, ce qui constitue le socle de la solidarité gouvernementale. Par exemple, le communiqué du conseil des ministres ne précise jamais la position ou l’avis d’un ministre dans une décision engageant le conseil et Dieu sait que tous les ministres ne sont pas toujours d’accord sur toutes les décisions adoptées.
De même, le procès-verbal de l’adoption d’une loi à l’Assemblée Nationale ne précise pas non plus, le sens du vote des députés pris individuellement. Ce PV stipule juste que l’Assemblée a adopté « à la majorité », ou « à l’unanimité ». L’article 47 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, ne prévoit pas l’indication de vote du député dans les travaux de commission. Il est seulement dit que, le procès verbal doit indiquer, notamment, les noms des membres présents, excusés ou absents, les décisions de la Commission ainsi que les résultats des votes.
L’Acte 3 à travers cet article, sème la zizanie et la discorde au sein d’une équipe en cassant la solidarité qui devait être le ciment de la cohésion municipale, mais aussi entre les conseillers et les populations, en ce sens que la décision prise n’est pas collée au conseil municipal mais aux conseillers qui ont voté pour (ou contre) l’adoption de cette délibération. De même, si une délibération n’a pas été prononcée en faveur de certains administrés, les conseillers qui ont voté contre, sont stigmatisés et rendus personnellement coupables. Or, toute décision est sensée être prise par l’institution municipale et non les membres la composant. Cette disposition ne cadre pas avec la sociologie rurale. Ceux qui ne se reconnaissent pas dans une délibération indexent les conseillers qui ont été à l’origine de cette décision. Ils vous considèrent comme ennemi et du fait de la proximité, les familles respectives s’y mêlent et installent un conflit interfamilial. Un conseiller dans le département de Tivaouane nous a avoué qu’il avait voté pour l’attribution d’une terre et ceci est inscrit dans le PV. Depuis lors, son village l’a presque « excommunié ».
Concernant les articles 148 (alinéa 2) et 151, ils affaiblissent sérieusement la démocratie locale, en autorisant le huis clos dans les débats municipaux. Selon l’alinéa 2 de l’article 148, « les séances du conseil municipal sont publiques sauf si le conseil en décide autrement à la majorité absolue des membres présents ou représentés ». L’article 151 va dans le même sens en précisant davantage cette nouveauté introduite par l’acte 3. Selon les dispositions de cet article, « sur la demande du maire ou du tiers des membres, le conseil municipal, sans débat décide s'il délibère à huis clos ».
Selon le deuxième alinéa de cet article, le huis clos est de droit quand le conseil municipal est appelé à donner son avis sur les mesures individuelles et les matières suivantes :
- secours scolaire ; assistance médicale gratuite ;
- assistance aux vieillards, aux familles, aux indigents et aux sinistrés ;
- assistance aux lieux de culte; traitement des questions visées à l'article 157 (audition d’un conseiller municipal, en vue de le déclarer démissionnaire).
Ces dispositions font appel à quelques commentaires de notre part. D’abord, la participation est la quintessence de la gestion de proximité. Or, celle-ci ne peut cohabiter avec le huis clos signifiant littéralement « portes et fenêtres fermées ». La possibilité de généraliser le huis clos (en dehors des cas cités par l’alinéa 2 et dont nous sommes d’accord) est même une violation et de la constitution qui, en son article 102, considère les collectivités territoriales comme le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques, et de la section 2 du CGCT qui érige en principe directeur, la participation citoyenne.
La gestion des affaires publiques locales exige une participation, une transparence et non une confidentialité (soutoura). Le soutoura peut se faire dans les cas cités par l’alinéa 2 (article 151). Par contre, au risque de vider la décentralisation de tout son sens, il est impensable d’admettre l’exclusion des citoyens dans les séances de délibérations portant notamment sur la gestion des terres ; la gestion des postes de santé, maternités et cases de santé ; la gestion des forêts de terroirs ou l’adoption des plans d’action pour l’environnement; la gestion des écoles; l’adoption du plan de développement communal ou du schéma directeur et d’urbanisme ou enfin le traitement des questions liées à la jeunesse et aux sports. Or, cette innovation de l’Acte 3 (huis clos généralisé) donne droit à la commune de traiter toutes ces questions à huis clos sans exception.
La constitution en son article 66 a prévu le huis clos dans les séances parlementaires, mais « il n'est prononcé qu'exceptionnellement et pour une durée limitée ». Contrairement à l’article 66 de la Constitution, l’article 151 (CGCT) ne prévoit aucune limite pour recourir au huis clos. L’équipe municipale peut à tout moment faire appel à cet outil d’un autre âge. Elle peut en user et en abuser comme bon lui semble. Il est alors hors de question que le texte de base de la démocratie locale soit aussi restrictif et liberticide de la participation citoyenne. Surtout que la décentralisation est considérée comme le terreau ou l’école de la démocratie.
Autre impact négatif que l’usage de cet article peut entrainer est le dégout que cela peut provoquer au niveau des citoyens qui finissent par réagir d’une manière violente pour exercer leur droit légal de participation citoyenne. Pour éviter une telle situation, cette généralisation du huis clos doit être abrogée et maintenir uniquement les cas particuliers déjà listés par l’alinéa 2 de l’article 151.
Une « décentralisation à huis clos » étouffe la démocratie locale qui finit par suffoquer avant de mourir. Les sessions municipales doivent rester ouvertes au public. Ce charme de la gouvernance territoriale est un mécanisme d’exercice de plusieurs droits tels que la participation, le droit à l’information et le contrôle citoyen.
L’article 245 traine quant à lui, une lacune préjudiciable à la bonne gouvernance. Cet article énumère les actes soumis à l'approbation préalable du représentant de l'Etat. Il s’agit en réalité des actes les plus importants (emprunts, plans de développement, conventions financières de coopération internationale comportant des engagements d'un certain montant, affaires domaniales et urbanisme ; marchés supérieurs à un certain montant etc.). Le législateur a juste prévu un délai (un mois à compter de la date de dépôt de l’acte) dans lequel le représentant de l’Etat (préfet ou sous-préfet) devra approuver ou refuser d’approuver. Autrement dit, le représentant de l’Etat est en droit d’approuver un acte le jour même du dépôt de cet acte pour approbation. Or, une telle pratique administrative est regrettable, en ce sens que le représentant de l’Etat, constitue en lui-même une voie de recours pour le citoyen, une fois que l’acte lui est transmis par l’organe exécutif local. Un citoyen qui est lésé par un acte peut en effet, introduire un recours auprès du préfet ou sous-préfet.
Cependant, si ce dernier approuve la délibération le même jour, cela veut dire qu’il empêche au citoyen d’exercer son droit de recours. En effet, si le représentant de l’Etat approuve la délibération en toute précipitation, cette délibération devient exécutoire. Cette voie de recours est ainsi obstruée et bouchée. Alors qu’elle est avantageuse, du fait non seulement de sa proximité avec le citoyen, mais aussi de sa simplicité, sa gratuité et le peu de formalisme. A partir de ce moment, seul le recours direct est possible devant la Cour suprême dont le siège est à Dakar, avec toutes les contraintes auxquelles le citoyen fera face (longue distance, formalités onéreuses, formalisme juridique etc.). Malheureusement, il nous a été donné l’occasion de constater dans le département de Dagana, l’approbation de délibérations par un sous-préfet le jour même du dépôt de l’acte.
L’article 245 doit être revu en exigeant au représentant de l’Etat d’observer un délai minimal pour écouter la réaction éventuelle des populations après l’adoption d’une délibération et leur permettre éventuellement de le saisir avant qu’il n’approuve.
D’autres dysfonctionnements sont dus à la légèreté notée dans le contrôle exercé par les représentants de l’Etat (tenue irrégulière des sessions réglementaires, des registres de délibération non tenus à jour, non tenue des débats d’orientations budgétaires, interdiction aux citoyens de prendre copie des procès verbaux, des budgets, des arrêtés pris par les collectivités territoriales etc.).
IV.Défaillances et incongruités d’ordre organisationnel
Cette plaie revêt plusieurs manifestations. Le conseil départemental doit disparaitre et céder la place aux pôles territoires. Cette réforme permet de sortir de l’émiettement territorial et prendre le train des grands rassemblements pour rester dans l’ère du temps. Les Pôles territoires constitueront des espaces plus appropriés pour la planification, la coordination et le suivi stratégique de la mise en œuvre des politiques nationales de développement socio-économique.
Les pôles territoires annoncés par le Président de la République constituent une initiative salutaire, mais ils ne doivent cohabiter avec les actuels conseils départementaux. Chaque Ministère a élaboré une Lettre sectorielle conformément au PSE, il appartiendra à chaque Pôle territoire de décliner ces orientations nationales aux dynamiques territoriales, dans le cadre d’une coopération territoriale avec les communes constitutives.
Pour le suivi de la mise en œuvre du PSE, il serait plus cohérent pour l’Etat de veiller à la bonne mise en œuvre de ces orientations à travers les Pôles territoires désormais considérés comme les relais entre le niveau central et le niveau territorial.
Le Sénégal pourrait mettre en place six pôles territoires dotés de la personnalité juridique. Il s’agit des pôles de Casamance, Sénégal oriental, Sine Saloum, Dakar-Thiès, Centre-Nord et Fleuve.
L’avantage de ces pôles est surtout l’homogénéité de leur espace au plan éco-géographique, la même identité de leur vécu socioculturel, les mêmes réalités et potentialités économiques. Ces pôles constituent une réponse appropriée au manque de viabilité des territoires et contribuent à la valorisation des potentialités de développement des territoires, conformément à l’esprit de l’Acte 3 (exposé des motifs).
Les Pôles territoires constituent un remède pour atténuer le mauvais découpage des communes sénégalaises. Il faut rappeler que nous avons au Sénégal beaucoup de communes qui ne pourront être des territoires viables, du fait de la petitesse de leur taille, des distorsions territoriales et de l’absence de potentialités de développement.
L’imprécision des territoires communaux est aussi à déplorer. Les anciennes communautés rurales devenues communes (avec Acte 3) ne sont pas encore délimitées avec précision. Les décrets créant ces collectivités se contentent juste de lister les villages rattachés sans aucun autre élément de géolocalisation.
Cette situation est une source de conflits réguliers et fréquents entre collectivités limitrophes. Les anciennes communautés rurales sont le territoire naturel de l’étalement ou de l’extension des grandes communes frontalières confinées dans des limites territoriales exigües et dont l’essentiel a épuisé son assiette foncière. L’autre type de conflit direct est celui noté entre anciennes communautés rurales, dès que l’une émet le besoin ou prononce une délibération sur une parcelle proche de la frontière. Une opération de précision adéquate serait de salut public. Elle permettrait aux différentes collectivités territoriales d’élaborer et de mener une politique spatiale de développement dans un environnement de paix sociale.
Nous terminons cette partie par la communalisation intégrale introduite par l’Acte 3 qui a procédé à l’érection des communautés rurales et des communes d’arrondissement en communes. Le cas des communes d’arrondissement est moins problématique, car elles étaient déjà en milieu urbain et avaient des similitudes avec les communes de plein exercice. Par contre, l’érection des communautés rurales en communes (j’allais dire en communes urbaines) pose problème. A l’époque, certaines autorités justifiaient la disparition des communautés rurales, en avançant que cette appellation n’existe qu’au Sénégal. En droit, le contenu est plus important que le contenant. Rien n’interdit au Sénégal de ne plus utiliser les notions de commune ou de département et dire plutôt, « Tound » ou « Gokh » avec les mêmes contenus et prérogatives juridiques que département ou commune.
Autre argumentaire développé était de dire que le fait d’enlever « communauté rurale » et de la remplacer par « commune » est de nature à corriger les disparités territoriales et le manque d’infrastructures de base. Aucune disposition expresse de l’ancien code n’interdisait aux communautés rurales de bénéficier d’infrastructures de base au même titre que les communes d’avant Acte 3. Il suffisait juste de revoir les clés de répartition des transferts financiers de l’Etat pour mettre sur le même pied les communes et les communautés rurales. Il est anormal qu’il y ait des inégalités sociales, surtout entre les villes et la campagne, mais pour rompre avec ces inégalités, le levier principal à actionner n’était pas la communalisation intégrale, mais la mise en place de pertinents programmes tels que le PUDC, le PUMA, le PRODAC, ANIDA[14] etc.
L’argument le plus repoussant est celui défendant que l’Acte 3 est une émancipation du monde rural. En écoutant ces éléments justificatifs, nous avons l’impression que la ruralité est un retard à combler. Or, la partie la plus importante de la richesse sénégalaise se trouve en zone rurale (les ressources naturelles et foncières) où se développent les activités agrosylvopastorales. Quel que soit l’ampleur de la réforme voulue par l’Acte 3, la commune de Dakar-Plateau n’aura jamais les mêmes réalités que celle de Ouonck (arrondissement de Tenghory). Ni les activités dominantes, ni les formes d’occupation de l’espace ne sont similaires. Dans les anciennes communautés rurales, les activités dominantes ont une vocation rurale, d’où la pertinence de revenir à l’ancienne appellation ou en tout cas de recourir à la distinction commune urbaine / commune rurale pour dissocier les deux types de communes. Les communes situées en zones urbaines et celles des zones rurales ne peuvent pas avoir les mêmes attributions et les mêmes modes de gestion, au motif que les préoccupations, les potentialités et les réalités sont différentes.
D’ailleurs, le code général des collectivités territoriales pour mettre toutes ces communes dans le même sac est obligé de recourir à des astuces. Le listing des compétences décliné par l’article 81 montre clairement (sans le dire) qu’il existe une distinction entre les deux types de communes. En effet, 18 compétences sont énumérées. Mais à y voir de près, du numéro 1 au numéro 11, ce sont les compétences qui peuvent être exercées, sans distinction, par les deux types de communes, mais les autres compétences (n°12 à 18) ne peuvent être effectuées en principe qu’en milieu rural. Acte 3 ne peut pas effacer la caractéristique rurale des anciennes communautés rurales érigées récemment en communes.
Une autre astuce est notée dans la rédaction de l’Article 71. Selon les dispositions de cet article, la commune « regroupe les habitants du périmètre d'une même localité composée de quartiers et/ou de villages ». Ceci laisse apparaitre dans la loi une ambivalence des notions de quartier et de village. Tel est aussi le cas pour les fonctions de délégués de quartier et de chef de village. Selon cette disposition, on peut trouver aussi bien des délégués de quartier en milieu rural que des chefs de village en milieu urbain.
L’article 143 a aussi, attiré notre attention. « Le conseil municipal siège à l'hôtel de ville ». Dans les anciennes communautés rurales, le siège du conseil rural s’appelait « maison communautaire ». Cette notion est plus conforme au vécu quotidien des populations en milieu rural. Elle renvoie à la solidarité, au voisinage et au vivre ensemble, bref à des valeurs traditionnelles. Remplacer « maison communautaire » par « hôtel de ville » est irrationnel. D’abord, le grand contraste est de voir une grande enseigne où est mentionné « hôtel de ville » en pleine brousse où rien d’urbain ne se manifeste. L’urbain a ses réalités et la ruralité a les siennes.
[1] Article 16-2-a) de la Charte
[2] Rapport public de la Cour des comptes (2013, page 65)
[3] Fonds de Dotation de la Décentralisation
[4] Rapport public de la Cour des Comptes de 2012 (page 168).
[5] Rapport sur le contrôle de légalité 1998-2007 publié en octobre 2009
[6] Code Général des Collectivités Territoriales
[7] Rapport public de la Cour des Comptes de 2012 (pages 157 et 168) ; Synthèse du Rapport public de la Cour des Comptes de 2011 (page 26) ; Rapport public de l’Inspection Générale d’Etat de 2014 (pages 51 et 52). 8 FDD=Fonds de Dotation de la Décentralisation ; FECL=Fonds d’Equipement des Collectivités Locales
[8] ADPME : Agence de Développement et d'Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises; 3FPT : Fonds de Financement de la Formation Professionnelle et Technique
[9] Rapport 2015 de l’Inspection Générale d’Etat (page 85)
[10] Rapport 2015 de l’Inspection Générale d’Etat (page 87)
[11] Taxe représentative de l’impôt du minimum fiscal
[12] Direction de la Surveillance, du Contrôle et de l’Occupation des Sols
[13] Rapport annuel de la Cour des Comptes de 2013 (page 76)
[14] PUDC= Programme d’Urgence de Développement Communautaire; PUMA= Programme d'Urgence de Modernisation des Axes et territoires frontaliers; PRODAC= Programme des Domaines Agricoles Communautaires ; ANIDA= Agence Nationale d’Insertion et de Développement Agricole