MULTIPLE PHOTOSBÀMMEELU KOCC BARMA, LA RÉCIDIVE DE BORIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Pour la deuxième fois Boubacar Boris Diop a commis un roman en wolof, sous le mystérieux titre de Bàmmeelu Kocc Barma - L’auteur nous narre une histoire, des histoires, serait-il plus exact de dire, liées à « l’Holocauste » du Joola
Paru aux éditions EJO, Bàmmeelu Kocc Barma, le second roman en wolof de Boubacar Boris Diop, est en librairie depuis ce lundi. L’éditorialiste de SenePlus, Ousseynou Bèye, l’a lu pour vous. Nous vous proposons la première partie de sa présentation. La seconde partie est disponible ici, sous le titre BÀMMEELU KOCC BARMA, POUR UNE RÉVOLUTION CULTURELLE.
Il l’a refait ! Pour la deuxième fois Boubacar Boris Diop a commis un roman en wolof, sous le mystérieux titre de Bàmmeelu Kocc Barma.
Non, le récit ne porte pas sur la vie, ni sur l’œuvre du philosophe bien connu, fameux maître du parler wolof, Kocc Barma Fall, même si son évocation n’y manque pas. Ne s’aventurant pas aussi loin dans le passé de son pays, l’auteur nous narre plutôt une histoire, des histoires, serait-il plus exact de dire, liées à « l’Holocauste » du Joola et revient, chemin faisant, sur les circonstances de ce naufrage qui a coûté la vie à près de deux mille êtres humains.
Non, ce ne sont pas les statistiques macabres qui intéressent notre romancier. Ce qui importe le plus pour Boubacar Boris Diop, nous semble t-il, ce sont les souffrances de chaque victime de cette catastrophe unique dans les annales de la navigation maritime. S’il le pouvait, matériellement parlant, Boris nous aurait certainement décrit le vécu de chacun des 1884 naufragés (‘1883 toqi deret. Ak benn. Bunu fàtte benn toqu deret boobu. Bunu ci fàtte benn, sax.’), au moment, à l’instant précis du désastre mais aussi l’existence entière de chacun de ces bouts- de-bois-de-Dieu.
L’auteur a finalement choisi de nous plonger dans la vie tumultueuse d’une des victimes, Kinne Gaajo, une célèbre écrivaine (tiens ! tiens !) qui, par ailleurs, se trouve obligée, par les conditions misérables de son séjour sur Terre, de vendre ses charmes, la nuit tombée, dans un quartier mal famé de la banlieue dakaroise. - ‘Taalifkat walla lagara ?’ (Poétesse ou putain ?) - Kinne Gaajo est tout cela à la fois. Et plus que cela. Elle est en réalité de ces êtres exceptionnels qui ne font jamais rien comme les autres. Pour qui la vie, chaque instant de la vie, constitue un défi. Défi à relever à sa façon. À sa seule façon, c’est-à- dire : en personne totalement libre. (‘Kinne Gaajo masul a def leneen lu dul jéem a xàll aw yoon. Yoonu boppam.’) Une jeune femme que d’aucuns, parmi ses voisins et connaissances, prennent pour une écervelée, voire une folle à lier, une folle, ni plus ni moins. Pourtant, elle finit, grâce à son talent et à un charisme tout à fait remarquable, par s’imposer au monde, dans son pays et à l’international, comme une sommité intellectuelle incontournable quand il s’agit de Littérature ou du devenir de son continent, l’Afrique.
C’est l’histoire ambiguë de cette femme atypique que son amie d’enfance, Njéeme Pay nous livre après sa disparition (et avec elle une partie de ses œuvres) dans l’océan, nous rappelant au passage le destin d’un certain David Diop. (‘Mu mel ni kon Dawid Jóob ak Kinne Gaajoo bokk àtte foofu.’)
Njéeme Pay est une journaliste de profession sortie du Cesti, aguerrie par une riche expérience, acquise autour de la création et de la gestion d’un organe de presse, une radio indépendante (Péncoo FM), initiative qu’elle partage avec un groupe d’amis. Quand elle décide de mettre quelque peu son travail (et sa passion) de journaliste entre parenthèses, pour nous conter Kinne Gaajo, ce n’est guère par simple plaisir : héritant des archives de sa défunte amie devenue une célébrité littéraire, elle se devait de faire connaître au monde tout ce trésor de manuscrits et de dire qui était véritablement Kinne Gaajo (‘… xamal askan wi kan moo doon Kinne Gaajo… àddina ba àddina daj, amul ku sañ ni moo ma gën a xam Kinne Gaajo’).
C’est donc par devoir (‘Kon de sas nañ la, Njéeme’, lui lance sa belle- mère) que Njéeme Pay décide de nous dire Kinne Gaajo.
Lorsqu’elle aura fini son récit minutieux et plein de saveur, un autre narrateur va surgir soudainement pour prendre le relais. Ce procédé n’est pas nouveau chez Boris : les péripéties de la vie dans le quartier de Ñarelaa, (« Doomi Golo »), nous sont d’abord rapportées par le vieux Ngiraan Fay au crépuscule de sa vie, puis après sa mort par Aali Kabóoy, le fou d’une terrifiante lucidité.
Dans Bàmmeelu Kocc Barma, c’est une narratrice qui va incarner le relayeur. Et il ne s’agit de personne d’autre que de Kinne Gaajo elle-même. Elle nous parle d’outre-tombe, comme ressuscitée pour la bonne cause. Le lecteur (‘jàngkat bi’), véritable protagoniste dans ce compagnonnage avec l’écrivain, ne peut que le suivre dans ce « dóor-dàqe » (jeu de cache-cache) sans fin. Car, Boris (là, c’est bien lui qui s’exprime !) nous a avertis en détournant un fameux proverbe : « Téereb nettali ci làmmiñu boroom lay dàqe… » (Le roman sera encore plus succulent s’il est écrit dans la langue du romancier).
Et, pour boucler la boucle, c’est comme qui dirait que nous revenons sur la terre ferme ; ce sera pour écouter à nouveau la sympathique Njéeme Pay, l’amie fidèle, l’amie éternelle (c’est le cas de le dire).
La trame de Bàmmeelu Kocc Barma va donc se tisser autour de ces deux principaux personnages. Et Boris Diop de se livrer à son exercice favori - le jeu d’esquive (‘naan la naxee-mbaay’) – entraînant son lecteur dans les dédales d’époques et de lieux enchevêtrés, conversant sans cesse avec lui (par la voix de Kinne Gaajo), sur sa vocation d’écrivain mais aussi sur ses choix et techniques littéraires sortant, faut-il le rappeler, de l’ordinaire.
Les personnages que le romancier, tel un démiurge, nous sort de sa féconde imagination, sont tous aussi importants les uns que les autres par leur grande complexité humaine: le journaliste professionnel jusqu’au bout des ongles (‘Te surnalist bi, liggéeyam du dara lu dul taataan i xibaar, siiwal leen.’) ; le pisse-copie véreux, corrompu jusqu'à la moelle, ou tout simplement le chasseur de sensationnel (‘Nun surnalist yi nag, na ma Yàlla baal waaye liggéey bu doy waar lanuy def : su musiba dalee ci kow askan wi, lu mu gën a réy, gën a metti, nu gën a raatukaan.’) ; l’agent comptable-modèle d’une banque de la place, époux parfait formant avec Njéeme Pay un couple d’un idéalisme angélique ; le journaliste affairiste et sans scrupules, ayant réussi à s’incruster dans le milieu de la presse, pour devenir un tout-puissant magnat des media, terreur des politiciens sans vergogne (‘Te kilifa gu fi am alal mbaa bayre mu luqati say mbóot, ni la soo ma joxulee nàngami milyoŋ ma def sama liggéey’) ; l’handicapé physique victime du regard des autres (‘Am na ñu ma doon kókkali, naan booy bii bumu nu sonal, lafañ doŋŋ la.’) qui, à force d’ambition et de cynisme réussit à devenir une des premières personnalités de l’Etat ; le politicien bouffon et opportuniste à travers qui l’auteur prend un malin plaisir à confondre dans les mêmes railleries Majorité et Opposition (‘Yëf yi powum mag doŋŋ la : kenn du taxawal pàrti ngir defar sa réew walla jëmale ko kanam.’) ; la mère de Kinne Gaajo, brave villageoise démunie, qui manque de tout, sauf de vertu et de valeurs, restant profondément ancrée dans la tradition (Moonte Yaa Ngóone, lim ma won moo doon ne ngor, tabe ak njub, fépp fu suuf si ŋàyyeeku goqiy doomi-aadama, soo demee fekk leen fa.’)…
Boris, loin de surfer sur ses « créatures », nous « offre » des protagonistes qui présentent, tous, une épaisseur psychologique indéniable, résultat certainement d’une longue maturation, comme le forgeron sur son métier ou le potier pétrissant son argile (« Noo mënti def, fàww nga gajafal ban bi, di ko mocc, di naxanteek moom, daanaka, ba mu miin sa nuggaayu loxo, nooy nepp, ni nemm, lu la neex nga def ko ci. Soo nee : ‘Amoon na fi’, mbooloo mi ni tekk di la déglu, bala ngay sañ ni : ‘Fa la léeb doxe tàbbi géej, bakkan bu ko njëkk a fóon tàbbi Àjjana !’ dinga wax lu set. Wax lu set mooy rekk : teqale, tasaare, ràbb, ràññee bu baax kañ la fen di jur dëgg ak kañ la dëgg di yées fen. Mooy : jëmbët fulla ci sa liggéey – bind liggéey la war a doon – te lu mu metti metti nga muñ ko. »)
La vérité des personnages tient pour une grande part au refus par l’auteur d’un manichéisme simpliste et réducteur. On peut en trouver une frappante illustration dans le fait que les deux individus les plus « dégueulasses » de Bàmmeelu Kocc Barma, le journaliste Lamin Jàllo et le politicien Ngañ-Demba, en sont aussi les plus sympathiques !
Les naufragés du Joola sont très présents dans le roman et l’auteur ne manque pas d’évoquer, avec beaucoup de tact et d’émotion, certains d’entre eux qui lui étaient chers.
Il ne se prive surtout pas de fustiger l’inconscience, l’insouciance, pour tout dire, l’irresponsabilité des Autorités politiques et administratives qui, non contentes d’avoir laissé, par leur négligence, cette horreur se produire, ont gravement tardé à aller secourir les naufragés. Il est vrai qu’elles avaient d’autres préoccupations, à l’image de ce général en pleins ébats avec sa maitresse et que personne n’ose alerter de la tragédie en cours.
Mais la narratrice met aussi le doigt lucidement sur l’indiscipline des populations (‘… xoolal ma kalandoo yi, njaga-njaay yeek kaar-rapit yi, fu leen neex taxaw, ku ci alkaati laaj say kayit nga tàllal ko kayitu téeméer gu tilim mu lem denc, ni la soo ñibbee ngoon nuyul ma Jekk-Tànk !’) Un tel état d’esprit ne devrait pas étonner quand on sait l’impunité qui sévit dans la société sénégalaise (‘Senegaal, daf di réew moo xam ni lu neex waay mu def te dara du la ci fekk !’)
Au moment où Njéeme Pay reconstitue les évènements à partir des archives de Kinne Gaajo, le drame du Joola s’étant produit plus d’une décennie auparavant, l’auteur saisit toute occasion de fustiger les turpitudes persistantes de ses concitoyens et celles du nouveau régime qui s’est mis en place entre temps (‘Lu fi xewati sama ginnaaw ? Pólitig rekk. Ndékkee pólitig, añe pólitig, reere pólitig. Kon, ci gàttal : dara lu bees xewu fi. Masàmba randu, Mademba riigu. Waaye Mademba, dañ koy wax nag te dee, masutoon a xalaat ne bés dina ñëw mu ne faax ci jal bi. Fit wi rëcc, mook soxnaam ñuy giroo cere ji, di ko caxat-caxatee, ku ci gën a fëqle sa moroom nga ne kii la !’)
Qui nous parle au fil des pages ? Est-ce Njéeme Pay ou Kinne Gaajo d’outre-tombe ou alors Boris ? Mais qu’importe le narrateur puisque de toute façon nous entendons bien, nous ne pouvons pas ne pas entendre ces récriminations, ces grognements, ces grondements, ces prières … ces cris d’horreur face à l’innommable !
On s’en doute bien, la catastrophe du Joola est, dans l’esprit de Boubacar Boris Diop, d’une gravité incommensurable (‘Bi Senegaal dee Senegaal ba tey, dara masu fee xew lu ëpp solo suuxu Joolaa bi’). Pourtant, il pourrait n’être à ses yeux qu’un prétexte - certes un sérieux prétexte – à revisiter des pans et des facettes de l’Histoire et de la Culture de son peuple.
En nous explicitant sans avoir l’air d’y toucher le titre du roman, Kinne Gaajo évoque des figures emblématiques du Sénégal, s’indignant du peu de cas qui est fait de leur mémoire puisqu’ils n’ont eu droit ni à une sépulture décente, ni à l’ultime refuge d’un tombeau, ni encore moins à de solennels hommages posthumes : « … ñoom liñ xam ci ku faatu mooy : gas suul, fatt bàmmeel fàtte ba fàww ! Soo ko weddee, laajal Kocc Barma ma tëdd Kër Njonge Faal : ana kuy dem tiim bàmmeelam tey ? Soo ko weddee, laajal Alin Sitóye Jaata : ku xam fan lay yaxam tasaaroo ca Tómbuktu ? Ma ni soo ko weddee yow, laajal Siidiya Lewoŋ Jóob : àll bay seeñuy yaxam na mu tuddati sax ? Ndax ku juum ba tudd fi turu Phillis Wheatley duñ la reetaan ?».
(« … eux (les Sénégalais), tout ce qu’ils savent faire d’un mort c’est : creuser, enterrer, fermer la tombe et oublier pour l’éternité ! Qui en doute peut demander à Kocc Barma qui gît à Keur Njongue Fall : qui de nos jours va se recueillir sur sa tombe ? Que celui qui en doute se souvienne d’Aline Sitoë Diatta : qui sait où sont éparpillés ses restes à Tombouctou ? Je le dis : qui en doute peut demander à Sidiya Léon Diop : quel est encore le nom de la forêt qui se nourrit de ses os ? Et ne va t-on pas se moquer de celui qui, par mégarde, prononcera dans ce pays le nom de Phillis Wheatley ? »)
De fait, ces filles et fils de notre pays et bien d’autres tout aussi illustres sont évoqués dans Bàmmeelu Kocc Barma.
De ces trois figures, la moins méconnue est certainement Aline Sitoë Diatta, héroïne d’un précédent roman de Boubacar Boris Diop, « Les tambours de la mémoire ». Kinne Gaajo nous rappelle le glorieux combat de cette résistante anticolonialiste dans la région de Casamance (‘Alin Sitóye Jaata tamit kenn la fi woon : jàmbaaree ba dee, am fit, am fulla’). De l’autre monde, Kinne Gaajo nous révèle le motif de son voyage sans retour à bord du Joola : aller à Kabrousse pour des recherches sur la vie d’Alin Sitoë Diatta (« …gëstu ciy mbiri Alin Sitóye Jaataa may yëkkati, moo may tax a jël Joolaa bi fan yiiy ñëw, wàcc Sigicoor, luye woto jubal Kabrus. » Voilà comment le romancier lie le destin de son héroïne à celui de cette légendaire patriote.
Le deuxième personnage historique est beaucoup moins connu : Sidiya Léon Diop. L’intérêt de Kinne Gaajo pour ce héros injustement ignoré des Sénégalais l’a menée jusqu’au cœur de la forêt gabonaise pour y enquêter sur les conditions de son exil. A l’en croire, le Gouverneur de Saint-Louis, Louis-Léon César Faidherbe, ne s’était pas trompé sur les qualités du garçon qu’il avait découvert au Walo (‘ Waalo de, seetlu naa fa gone gu teel a yeewu te mooy toogi ëllëg ci jal bi. Doomu Ndate-Yàlla la. Ni ma ko gise, sun ko jàppalee dun ko réccu… ‘). Sidiya fut donc mis à l’Ecole française par Faidherbe, rééduqué, transformé dans ses apparences comme dans son esprit, dans ses « manières » et même sa façon de parler. Ayant répudié la langue et les traditions ancestrales de son peuple, il devint un étranger, un Toubab arrogant. (‘Ñuul ci biti, weex ci biir’ -) Peau noire, âme blanche… Mais un jour, au sortir d’un face-à-face oratoire épique en présence de tous les dignitaires du Walo, le griot de la famille royale le remit à sa place (‘Mënatuma laa woy ndax xàmmeetuma la… Te yaakaar naa yit ne nit ki, loo gëlëm gëlëm, loo tumuraanke tumuraanke, xanaa kay ñàkkooy Maam. Te yenn yi kat, jéggaaniy Maam ak i Maamaat la tudd. Ana luy ndeyu lii, Jóob ?’). Touché au plus profond de lui-même, Sidiya prit conscience de sa situation de renégat et décida sur-le-champ de se débarrasser de ses déguisements burlesques (‘ci saa si la daldi génn ba set wecc ca yëfi golo ya mu newoon’) et de revenir aux valeurs de ses origines. Kinne Gaajo nous apprend que Sidiya prit par la suite les armes contre les troupes coloniales, leur infligeant parfois de lourdes pertes. Les forces en présence étant cependant inégales, il fut finalement fait prisonnier et déporté au Gabon où il mit fin dignement à ses jours à l’âge de vingt huit ans. Pendant son exil il avait réussi à forcer, par son courage, son humanité et ses qualités intellectuelles, le respect des colons les plus racistes et bornés.
Quant à la troisième figure historique, elle est une parfaite inconnue des Sénégalais et des Africains en général : Phillis Wheatley. Rappelons le propos à la fois railleur et amer de Kinne Gaajo : « Est-ce qu’on ne va pas rire de celui qui, par mégarde, prononcera dans ce pays le nom de Phillis Wheatley ? » Pourtant celle-ci, nous apprend Kinne Gaajo, était une fillette du Walo (‘Ndax Kan la santoon ? Walla Mbóoj ?), enlevée par des trafiquants d’esclaves puis vendue en Amérique ; adoptée et éduquée par ses nouveaux maitres, un couple tout à fait ordinaire de la ville de Boston, elle fit preuve d’une exceptionnelle précocité, publiant des poèmes magnifiques dès l’âge de 15 ans ! Elle fut ainsi la première poétesse noire d’Amérique, mais surtout la première auteure sénégalaise qui – comme le souligne avec malice Kinne Gaajo - écrivait en anglais ! « Kon, mu ngoog : Phillis Wheatley bawoo Waalo, dem jommal Amerig, ñépp naan naka la lii mën a ame... »
Kinne Gaajo ne pouvait deviner de son vivant que son tragique destin la vouerait à voguer en quelque sorte dans l’espace infini, comme Kocc Barma Fall et tant d’autres. Avalée par les flots, elle n’aura pas droit, non plus, à une sépulture, si modeste fût-elle. Est-il besoin de rappeler que les Autorités n’ont montré aucune volonté de renflouer l’épave du bateau, en dépit des supplications désespérées des familles des victimes ? Le frère de Kinne, Ngañ-Demba, jeune handicapé au chômage dans une petite ville de l’intérieur, laisse ainsi éclater sa sourde colère et son incrédulité : « Njéeme… mënumaa nangu ne nii lan nar a tollu ci Kinne Gaajo.» (« Njéeme… je ne puis accepter que nous en avons fini, comme ça, avec Kinne Gaajo. »)