CONTRE L'HOMOPHOBIE AU SÉNÉGAL
Ici, on peut détourner les deniers publics, violer une femme et garder toute sa place dans l’espace public - Mais il suffit qu’un politique, journaliste ou intellectuel soit accusé d’homosexualité pour que soit signé son arrêt de mort sociale
Lauréat du Prix littérature-monde qui lui sera remis dimanche 20 mai au festival Etonnants Voyageurs, à Saint-Malo, l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, 28 ans, vient de publier son troisième roman, De purs hommes, aux éditions Philippe Rey et Jimsaan. Un livre particulièrement courageux puisqu’il traite de l’homosexualité au Sénégal et interpelle sur l’homophobie qui gangrène notre société.
De fait, au « pays de la teranga » (l’hospitalité, en wolof), il n’y a pas d’un côté des conservateurs homophobes et de l’autre des progressistes qui défendent la libre orientation sexuelle de tout homme. Même chez les intellectuels, artistes et militants de la démocratie existe une homophobie assumée. Certains n’hésitent pas à prôner le meurtre des gays, le prétexte pouvant être la religion ou une illusoire pureté nationale à conserver face aux assauts culturels de l’Occident qui voudrait « nous imposer ses règles ».
Ici, on peut détourner les deniers publics, violer une femme et garder toute sa place dans l’espace public. Mais il suffit qu’un politique, journaliste ou intellectuel soit accusé d’homosexualité pour que soit signé son arrêt de mort sociale. Dire de quelqu’un qu’il est homosexuel est pire qu’une insulte, c’est un appel au meurtre social. Feu le journaliste Tamsir Jupiter Ndiaye, dont l’homosexualité avait été révélée, n’avait jamais pu se relever du lynchage médiatique dont il fut victime. Sa mort sociale avait précédé de peu sa disparition physique.
Une chape de plomb
Mohamed Mbougar Sarr, en s’attaquant avec audace à un sujet difficile, met en exergue nos lâchetés. Car même l’intelligentsia qui a une vision progressiste sur la question refuse de l’aborder publiquement par crainte de représailles. Il y a une chape de plomb sur le sujet qui pousse les associations de défense des droits humains à le traiter timidement. On relègue même l’homosexualité au rang de maladie, car souvent elle est traitée sous l’angle de la lutte contre le sida…
Il nous faut être lucides et accepter d’ouvrir ce débat qui, comme d’autres, sera au cœur de nouvelles préoccupations dans l’espace public. Un pays démocratique, signataire des grands textes internationaux relatifs aux droits humains, siège de grandes organisations internationales et qui dispose d’une forte diaspora ne peut être imperméable aux débats qui agitent le monde. La démocratie et la stabilité que nous exhibons fièrement nous engagent et exigent de nous une lutte pour la dignité humaine.
Sur le traitement de la question LGBTQ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et queers), il est urgent d’agir pour que des individus ne soient plus traqués, tabassés voire mis en prison, en raison de leur orientation sexuelle. Il est lâche de se cacher derrière l’islam pour refuser un travail sur nos mentalités. Nous sommes un pays laïque, certes peuplé de 99 % de croyants, qui a aboli la peine de mort, pratique qui existe pourtant dans la charia. Nous pouvons faire le même travail concernant notre position vis-à-vis de l’homosexualité.
Tolérance et respect
Je ne demande pas l’abrogation de la loi pénalisant ce que le Code pénal qualifie d’« acte contre-nature ». Car dans un contexte où les esprits assimilent l’homosexualité à une souillure et où le moindre soupçon (à tort ou à raison) d’une orientation sexuelle gay peut conduire à la mort, le recours à la loi serait inefficace. Ce serait même dangereux, car la loi se heurterait à des résistances sociales et confessionnelles qui pourraient provoquer une série de violences dans le pays.
Un travail en profondeur sur les consciences est nécessaire, surtout auprès de la jeune génération, pour inculquer la tolérance et le respect de la dignité humaine. Un gay ou une lesbienne n’est ni malade ni atteint mystiquement. Il ou elle n’est qu’un homme ou une femme qu’on pourrait aimer ou haïr, mais non au regard de son orientation sexuelle. Il ou elle pourrait être notre frère, notre sœur, notre voisin, notre ami avec qui on aime parler de football ou de tout autre chose. Lyncherait-on son frère ou son ami pour son orientation sexuelle ?
En continuant de nous taire par prudence, lâcheté ou, pire, indifférence, nous entérinons l’idée que toutes les vies ne se valent pas. Le livre de Mohamed Mbougar Sarr me donne l’occasion de m’exprimer sur un sujet que j’ai toujours publiquement évité, car socialement risqué pour moi et ma famille. Mais si l’auteur, du haut de ses 28 ans, a eu le courage de le porter, nous autres n’avons plus le choix, quel qu’en soit le prix à payer.