DU BALAI !
EXCLUSIF SENEPLUS - La radicalisation politico-intellectuelle a porté ses fruits, mais au prix de centaines de vies, de blessés, de prisonniers et de disparus. Il est temps de promouvoir une décentralisation axée sur les dynamiques sociologiques locales
« La barbarie est toujours possible, cependant s’il y a des peuples qui se laissent arracher des mains la lumière, il y en a d’autres qui l’étouffent eux-mêmes sous leurs pieds ».[1]
La victoire triomphale à l’élection présidentielle du 24 mars 2024, saluée de tous, cache encore bien des secrets. Le mouvement social initié par le Pastef depuis 2019, autour du "Projet", et intensifié pendant les années Covid, a profondément marqué notre démocratie néocoloniale. Cette radicalité décomplexée a redéfini la sociologie politique. L'échec des partis traditionnels, attachés à un modèle occidental dépassé, a ouvert la voie à une jeunesse audacieuse et avide de justice, d'abord dans les universités Gaston Berger et Cheikh Anta Diop, puis dans une organisation réelle, loin des schémas habituels, malheureusement confrontée à une répression sauvage.
Les arrestations massives de jeunes et de maires ont conduit au mouvement F24, une plateforme rassemblant des organisations de la société civile, des partis politiques, des syndicats, des chefs d'entreprise, des défenseurs des droits de l'homme, des mouvements religieux et des figures remarquables, tous unis contre un troisième mandat et l'instrumentalisation politique de la justice. Les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial dans cette mobilisation, qui s'inscrit dans la tradition sénégalaise de soutien aux alternances, illustrée notamment par le Forum civil et les coalitions stratégiques électorales en 2000, les Assises nationales, M23 et Y'en a marre en 2012, et plus récemment F24, AAR sunu élections et la diaspora.
Le Sénégal a rarement connu un tel bouillonnement intellectuel, avec une forte implication des universitaires défendant farouchement la Constitution et éclairant les "7 sages". Des pétitions internationales, des tribunes, des panels sous Zoom et des éditoriaux ont amplifié la mobilisation nationale et internationale.
Les mouvements de la société civile ont défendu les droits des citoyens, s'articulant autour des enjeux politiques et sociaux, s'intensifiant dans la lutte pour le contrôle du débat public et la rationalisation de la démocratie participative. Les avocats ont également joué un rôle crucial, soutenant la résistance malgré les dangers.
La méthode de mobilisation sociale, innovante et diversifiée, a été payante, avec des rassemblements, des manifestations, de la désobéissance civile, des grèves, des pétitions et la vente d'articles patriotiques, tous témoignant de la participation massive de toutes les couches de la société. Ce modèle de mobilisation citoyenne est une étude de cas pour la conquête des droits citoyens.
Alain Touraine définit le mouvement social comme une action collective visant un changement social, dépassant la simple contestation pour remettre en cause le pouvoir et sa domination.
Nous avons assisté à une reconfiguration et une agonie du système néocolonial, symbolisées par un conflit permanent et des débats autour de l'orientation sociétale, économique, culturelle et politique. La radicalisation politique et intellectuelle a porté ses fruits, mais au prix de centaines de vies, de blessés, de prisonniers et de disparus.
Il est temps de tourner la page, de balayer les institutions néocoloniales sans légitimité sociétale, de promouvoir une décentralisation basée sur les dynamiques sociologiques locales, de mettre fin à l'administration néo-coloniale, à l'accaparement foncier, à la corruption endémique.
Au travail, citoyens !
Exigeons une gouvernance responsable devant la souveraineté populaire.
Aucun délai ni état de grâce n'est permis.
[1] Alexis de Tocqueville “de la démocratie en Amerique