DU BONHEUR D'AVOIR LU MOHAMED MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire des hommes est aussi la preuve que le système éducatif sénégalais n’a pas été contaminé, contrairement à son lointain modèle français, par les rêveries des pédagogues fous qui tiennent ici le haut du pavé
Les imbéciles étant légion, autant commencer par eux : non, La plus secrète mémoire des hommes n’a pas eu le Goncourt parce que son auteur est sénégalais, mais parce que c’est un grand roman. Et les crétins « éveillés » qui, par racisme inversé, font avec enthousiasme de la reductio ad nigrum étant à peine moins nombreux, autant les prévenir également : non, ce roman n’est pas « une nouvelle voix noire », c’est une magnifique exaltation de la langue et de la culture françaises.
C’est aussi la preuve que le système éducatif sénégalais dont est issu l’auteur n’a pas été contaminé, contrairement à son lointain modèle français, par les rêveries des pédagogues fous qui tiennent ici le haut du pavé. Formé au Prytanée de Saint-Louis du Sénégal, puis en prépas littéraires à Compiègne, Mohamed Mbougar Sarr (autant donner son nom entier, qu’on ne le confonde pas avec un footballeur sénégalais quasi homonyme qui évolue au Standard de Liège) est le produit de l’ambition de l’excellence. Et son livre en atteste.
Commençons par le tout début – par la dédicace à Yambo Ouologuem. Tout le monde ou presque avait oublié cet écrivain sénégalais qui, en 1968, obtint le Renaudot pour Le Devoir de violence – Sade réécrit par Flaubert et Guyotat, un livre insoutenable et brillant. Affront insupportable pour une certaine intelligentsia qui l’accusa de plagiat, de sorte qu’à quelques textes alimentaires près, Ouologuem disparut de la littérature, jusqu’à sa mort en 2017.
PLAGIAT ET LITTÉRATURE
Sarr s’inspire de cette violence faite à un texte et à un homme. Son héros-narrateur (il n’est à vrai dire héros que parce qu’il narre – comme si Homère l’emportait sur Achille – et il partage d’ailleurs cette qualité avec d’autres personnages, narrateurs alternatifs) enquête sur la disparition d’un certain T.C. Elimane, qui, après avoir publié le Labyrinthe de l’inhumain en 1938, a disparu de même, accablé par l’accusation de plagiat lancée par un chercheur raciste et relayée par des journalistes trop heureux de renvoyer le « nègre » dans sa case. Est-il mort, est-il vivant ? Pourquoi n’a-t-il plus rien écrit – alors que son seul livre est un chef-d’œuvre ? A-t-il vraiment tué tous les critiques qui ont (mal) parlé de son livre ? Mohamed Mbougar Sarr me poussera-t-il au suicide ?