ÉLOGE DU MOUSSOR !
EXCLUSIF SENEPLUS - Ce qu’on appelle « culture sénégalaise » est en réalité composé d’apports traditionnels, survivances des sociétés féodales précoloniales, d’apports islamiques et d’apports d’origine occidentale
Le titre ce billet est de l’iconoclaste et pertinent journaliste qu’est Ibou Fall. Je lui demande l’autorisation de le rappeler aujourd’hui car il est de circonstance. Pour répondre à la furie des fanatiques qui clouent Penda Mbow au pilori pour avoir dit que le voile n’était pas un commandement islamique. Mon propos n’est cependant pas de discuter de ce qui est ou n’est pas édit de l’Islam car n’étant pas un exégète du Coran. Je veux seulement, comme Ibou Fall, dire que le moussor est plus qu’un accessoire essentiel de l’habillement de la femme au Sénégal. C’est un élément de la culture de ce pays.
La culture étant comme le définissent les sociologues et le reconnait l’UNESCO « l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériel, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social ».
Le moussor n’est pas en effet ce simple « serre-tête » assorti au boubou que les Africaines portent partout, en tous cas, en Afrique de l’Ouest et du Centre, de Dakar à Kinshasa, de Nouakchott à Yaoundé.
Le moussor au Sénégal comme par exemple le « Gele » au Nigeria (à l’origine Yoruba) est à la fois un pointeur social et un indicateur de l’état d’esprit de celle qui le porte.
Il y a le moussor de la « drianké », riche, opulent comme il se doit, ostentatoire, assorti au large boubou ou d’un ton légèrement contrasté, en voile léger pour mette en valeur l’ensemble. Avec un je ne sais trop quoi d’aguicheur, dans l’inclinaison de la coiffe, dans une apparence de négligé qui laisse un bout flotter sur le cou…
Il y a le moussor de la travailleuse manuelle et de la paysanne qui attachent solidement les deux bouts de tissu sur le front ou en arrière. Quelques fois, elles l’enlèvent de la tête pour s’en ceindre les reins.
Il y a le moussor de tous les jours, de la femme au marché ou au bureau, assorti ou non au boubou, quelques fois couvrant à moitié la tête et tombant négligemment sur le cou ou sur l’épaule. Quelques fois voilant le visage tout entier.
Il y a le moussor de la jeune fille qui n’en porte qu’à l’occasion de cérémonies quand le grand boubou est de mise.
Il y a bien sûr le moussor des « mamans » : attaché sévèrement sur le front, qu’on porte bas et plat et qui confère un indéfinissable air d’autorité et de.…résignation.
Je prétends même qu’il suffit de regarder le moussor des femmes de ce pays, pour en apprendre sur les manières d’être, d’agir et de penser des Sénégalais et pas seulement des Sénégalaises.
Il y a ainsi le moussor « soutoura », comme il y a le moussor « pank », séducteur et aguicheur, le moussor de fête et le « moussor » des jours de deuil.
C’est dire que je comprends l’argument de Penda Mbow comme une défense du moussor en tant qu’artefact de la culture de ce pays.
J’ai entendu Tariq Ramadan Ramadan (dont on peut critiquer les mœurs et les positions politiques mais dont les connaissances en matière d’Islam sont rarement contestées), dire que l’habit traditionnel des Sénégalais, et notamment des femmes, ne devrait pas être remis en cause au nom de l’Islam.
Certains musulmans, et ils sont apparemment nombreux désormais dans ce pays, croient et professent que le voile est une prescription islamique essentielle et son port une obligation pour toutes les musulmanes de tous les pays du monde.
D’autres dont je suis, estiment que c’est plutôt un accessoire du vêtement féminin qui nous vient d’Arabie dont le port - ou le refus du port - ne devrait en aucune manière déterminer l’appartenance à l’Islam. Devrait-on pour autant nous condamner comme hérétiques ? Va-t-on instituer l’inquisition ?
Veut-on comme en Arabie Saoudite instaurer une police des mœurs qui s’assurerait que toutes les femmes sont bien voilées et que tout le monde effectue bien ses cinq prières aux heures prescrites ?
Car pour cela il faudra recourir aux moyens dont Daesch a usé pour instaurer son Etat Islamique en Syrie et en Irak ou à ceux qu’Ansar Eddine a utilisés pour imposer sa loi islamique à Tombouctou.
Ne devrons-nous pas simplement faire preuve de tolérance les uns par rapport aux autres ?
Reconnaitre certes que nous n’avons pas la même compréhension et acceptation du dogme islamique ou que n’avons pas la même religion mais que nous nous acceptons et nous respectons mutuellement.
On devrait pouvoir être pas seulement Mouride ou Tijane ou Quadria mais aussi Chiite, Wahabite, Pententacostite, Adventiste ou athé dans ce pays, sans déranger personne.
Chacun est libre après tout non pas seulement de croire en la religion de son choix, mais aussi d’adhérer à une interprétation spécifique de cette religion ou de ne pas croire.
Une femme peut choisir de porter le voile ou de se coiffer avec des cheveux « greffés » ou d’une perruque ou …de se raser la tête.
Sur ce sujet comme sur d’autres, le libre choix des gens, en l’occurrence des femmes, devrait prévaloir.
On doit accepter une fois pour toute que la société sénégalaise est en fait multiculturelle, que ce qu’on appelle « culture sénégalaise » est en réalité composé d’apports traditionnels, survivances des sociétés féodales précoloniales, d’apports islamiques et d’apports d’origine occidentale.
Nier cette réalité et tenter d’imposer une culture qui serait plus « pure », agrée par Dieu, serait à coup sur, susciter le désordre et la violence.
Ce qu’on appelle pour se référer à l’histoire de l’Islam, la « fitna »
Pour ma part, j’espère que le moussor a encore de beaux jours devant lui …
Retrouvez chaque semaine sur SenePlus, le billet de notre éditorialiste, Alymana Bathily