ÉTAT DES LIEUX DU SYSTÈME SANITAIRE
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - En matière de leadership et gouvernance, il faut déplorer une déficience de l’autorité gouvernementale, donnant parfois l’impression d’une politique sanitaire pilotée par les Partenaires Techniques et Financiers
#Enjeux2019 - En Afrique, les politiques de santé, en tant que composantes des politiques de développement socio-économique reposent sur les objectifs de développement durable (ODD), les recommandations techniques de l’OMS et les documents centraux de l’Union Africaine, dont l’agenda 2063.
Dans notre pays, les autorités politiques ont adopté le Plan Sénégal Émergent (PSE) comme le référentiel de la politique économique et sociale sur le moyen et le long terme, avec un important axe dédié au développement du capital humain, à la protection sociale et au développement durable.
- Des acquis indéniables -
La politique socio-sanitaire du gouvernement s’inscrit dans cet axe et a pour ambition, d’assurer une offre de soins de santé de qualité à des coûts accessibles et une protection sociale adaptée au profit des groupes vulnérables. Elle est mise en œuvre à travers le plan national de développement sanitaire et social (PNDSS), qui a permis d’engranger certains acquis tangibles en matière de vaccination infantile et de lutte contre les maladies transmissibles (paludisme, tuberculose, sida, maladies tropicales négligées...), grâce au soutien financier substantiel de certains bailleurs de fonds comme GAVI, le Fonds Mondial, l’USAID...
Des initiatives ont aussi été lancées pour améliorer la disponibilité et l’accessibilité de certains produits ou services. Nous citerons, à titre d’exemples, la gratuité de la césarienne, le Push model pour un meilleur approvisionnement en produits contraceptifs, l’introduction de nouveaux antigènes dans le programme élargi de vaccination (P.E.V.), la gratuité de la prise en charge du paludisme simple, de la tuberculose, des affections à VIH, l’acquisition de médicaments génériques contre les cancers...
Il faut également saluer une volonté politique proclamée en faveur de la couverture sanitaire universelle.
- Des indicateurs de santé préoccupants -
Les performances du système pourraient cependant être encore meilleures, si elles ne subissaient pas les contraintes d’une forte centralisation des activités, avec une approche-programme souvent qualifiée de verticale.
À côté de ces succès, qui restent encore précaires, car fortement redevables d’appuis extérieurs, on observe une réalité moins reluisante, dominée par un système sanitaire sous-financé, caractérisé par un déficit en ressources humaines, matérielles et financières.
Il en résulte que la gestion des maladies de l’enfance les plus meurtrières et les plus fréquentes est loin d’être optimale avec des taux de prise en charge adéquate estimés respectivement à 60% pour les infections respiratoires aiguës et seulement 57% pour les diarrhées.
La disponibilité des services de santé infantile de base, que sont les soins curatifs infantiles, le suivi de la croissance et la vaccination infantile, n’est effective que dans 78% des structures retenues dans l’échantillon censé refléter la situation globale. Les mêmes manquements sont à constater pour ce qui est de la disponibilité des médicaments essentiels, qui atteint rarement 100%, qui est l’indicateur de base conditionnant tous les autres (utilisation et couverture des services).
Ces données démontrent les lacunes d’un système sanitaire à prédominance curative, prenant insuffisamment en compte l’aspect préventif ainsi que les déterminants sociaux de la Santé.
C’est ainsi, par exemple, que la cinquième phase de l’Enquête Continue 2017 de l’ANSD a mis en évidence le fait les indicateurs nutritionnels sont très inquiétants pour les enfants âgés de moins de 5 ans, (17% ont un retard de croissance, 9 % souffrent de l’émaciation, 14 % insuffisance pondérale).
Tout cela a comme conséquence, un taux de mortalité infanto-juvénile très élevé, de l’ordre de 56 ‰. Il varie de 30‰ dans les ménages relativement bien lotis à 76‰ dans les ménages les plus pauvres. Ces taux préoccupants de mortalité́ infanto-juvénile donnent la mesure des efforts que les pouvoirs publics doivent encore fournir pour améliorer les conditions de vie de la population. D’autant que l’espérance de vie à la naissance, composante essentielle de l’Indice de Développement Humain (IDH) est directement corrélé au niveau de mortalité infanto-juvénile.
- Faiblesse du leadership -
En matière de leadership et gouvernance, il faut déplorer une déficience de l’autorité gouvernementale, donnant parfois l’impression d’une politique sanitaire pilotée par les Partenaires Techniques et Financiers (PTF). Ce laxisme gouvernemental se fait particulièrement ressentir dans certains domaines comme la réglementation de la pratique privée de la médecine, plus ou moins liée à l’intrusion de pratiques vénales au sein des structures publiques. D’autres aspects réglementaires laissent également à désirer tels que ceux ayant trait à la publicité en faveur des tradipraticiens, à la dépigmentation artificielle…
La mise en œuvre des programmes de santé souffre de beaucoup de lenteurs administratives dues à la complexification de l’organigramme du ministère de la santé et de l’action sociale (MSAS), depuis la dernière réforme avec mise en place d’une Direction Générale de la Santé hypertrophiée, affublée de multiples structures quasi-informelles (cellules).
La Région Médicale peine à jouer son véritable rôle de coordination et a tendance à s’approprier certaines activités des districts. Enfin les districts sanitaires voient les bénéfices d’une relative autonomie et d’une flexibilité des services de base compromis par la raréfaction de ressources propres et l’immixtion intempestive des niveaux centraux et régionaux dans le déroulement de leurs activités (conflit d’agendas, tendance à vouloir régenter des financements destinés aux structures opérationnelles...)
Concernant le système national d’informations sanitaires, il faut saluer les efforts laborieux d’unification du système d’information avec le DHIS, tout en déplorant sa fragmentation actuelle liée à une approche par programme (dépouillement manuel des registres fastidieux, absence d’harmonisation des supports de collecte, nombre impressionnant de données à recueillir...).
Depuis 2012, l’action sociale est de nouveau rattachée au Ministère de la santé, mais elle demeure, pour l’essentiel, dépourvue de moyens et pâtit d’une orientation clientéliste. Elle souffre également d’une immixtion des plus hautes autorités nationales, a l’instar de la Délégation Générale à la Protection Sociale et à la Solidarité Nationale (DGPSN), directement rattachée à la Présidence de la République.
- Un financement insuffisant -
Ces cinq dernières années, de 2012 à 2017, le budget du MSAS a connu une hausse en valeur relative de près de 48%, passant de 110 505 288 086F à 163 522 351 000F.
Néanmoins, la part du budget national, consacré à la Santé n’était que de 8% en 2017, bien en deçà des 15% recommandés par la conférence des chefs d’État tenue à Abuja en 2001.
Quant aux collectivités locales, elles ne participent qu’à hauteur de 1% au financement de la Santé, du fait de leurs ressources limitées, et cela, malgré le fait que la Santé et l’Action sociale constituent depuis 1996, des compétences transférées. En ce qui concerne les Partenaires Techniques et Financiers (PTF), leur contribution au financement de la Santé, était estimée, en 2013, à 14%, selon les comptes nationaux de la santé.
Pour terminer, les dépenses privées de santé, qui recouvrent les dépenses des ménages, des entreprises et des ONG étaient évaluées, en 2013, à près de 58%. Elles constituent la part de lion dans le financement du secteur et se composent essentiellement des paiements directs dans les structures de soins, par le biais de l’Initiative de Bamako et d’achats de médicaments dans les pharmacies privées. Concernant la couverture sanitaire universelle, les autorités sanitaires peinent à donner corps à la volonté politique proclamée urbi et orbi.
Pire, dans notre pays, le système sanitaire est traversé par un malaise profond, du fait du retard de mise à disposition des ressources dues aux structures sanitaires (facturation des prestations) ou aux mutuelles de santé (subventions pour les cotisations annuelles). Or, la première manifestation d’une réelle volonté politique devrait certainement être l’allocation régulière de fonds suffisants pour garantir une protection sociale effective, qui est loin de se limiter à une simple couverture théorique de la CMU (estimé à près de 50% au Sénégal).
- Difficultés d’accès aux médicaments et produits essentiels –
La politique d’accès aux médicaments essentiels souffre d’une mauvaise gestion à tous les niveaux (PNA, PRA, dépôts de pharmacie) qui entraine des ruptures fréquentes. L’érection de la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement (PNA) en EPS n’a pas encore donné les résultats escomptés en matière de gestion.
Le non-respect des marges bénéficiaires sur les médicaments essentiels au niveau des structures sanitaires en est aussi un facteur limitant d’accessibilité aux populations démunies. Le marché illicite des médicaments constitue un réel danger pour les populations et se développe régulièrement. Le secteur public accuse un déficit qualitatif et quantitatif en termes de ressources humaines (pharmaciens essentiellement). Le personnel utilisé pour gérer les dépôts des formations sanitaires est souvent non qualifié et non formé. La loi relative à l’exercice de la médecine traditionnelle n’est pas encore adoptée mais fait l’objet d’un consensus, avec cependant de fortes réticences de l‘Interordre des cadres de santé.
- Retard à mettre œuvre la réforme hospitalière -
C’est le 12 février 1998, que l’Assemblée Nationale du Sénégal adopta deux lois complémentaires, la première intitulée "loi portant réforme hospitalière", la seconde intitulée "loi relative à la création, à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics de santé". Selon l’État sénégalais, le but de la Réforme Hospitalière était d’améliorer les performances des hôpitaux aussi bien sur le plan de la gestion que celui de la qualité des soins. Malgré cette réforme, la crise du système hospitalier ne connut aucune accalmie mais plutôt une aggravation manifeste. En effet, les hôpitaux sénégalais ont vécu de sérieuses difficultés, depuis la mise en place de cette Réforme hospitalière, avec la démultiplication des grèves, une hypertrophie des personnels administratifs et de soutien, un endettement sans précédent des hôpitaux dû principalement à de ruineuses politiques de gratuité (plan sésame), mais aussi à des dépassements budgétaires de triste mémoire.
Cette crise hospitalière a d’ailleurs donné lieu à une grande Concertation Nationale sur le système hospitalier, en octobre 2006, dont les autorités du Ministère en charge de la Santé se refusent encore à tirer les enseignements, en "réformant la Réforme Hospitalière".
L’autonomie de l’hôpital, que la Banque Mondiale elle-même juge excessive, est mal assumée, conduisant à plusieurs travers, dont une gouvernance désastreuse se traduisant, entre autres, par une mauvaise gestion des ressources financières, des effectifs pléthoriques et un faible pourcentage de personnel qualifié.
On note le retard de mise en place et le faible taux d’exécution des budgets provenant de l’État et de ses démembrements. Ces budgets ne répondent pas à des critères d’allocation pertinents.
- Difficultés liées au transfert de la compétence de santé –
Dans le domaine de la décentralisation, beaucoup de réformes ont été prises pour aboutir à celle de 1996, qui érige la région en collectivité locale. Un transfert de neuf domaines de compétences, dont la Santé, de l’État central aux collectivités locales a été effectué.
Cette réforme, bien que pertinente dans le principe, a méconnu certaines réalités du système sanitaire, qui jouissait déjà d’une certaine autonomie et d’une importante flexibilité des services de santé de base, avec la mise en place des districts sanitaires et la mise en œuvre de l’initiative de Bamako.
Les rapports souvent difficiles entre élus locaux et professionnels de la Santé d’une part et membres de comités de santé de l’autre, ont été, entre autres, à l’origine des dysfonctionnements, qui ont entrainé la non-fonctionnalité des comités de gestion prévus par le décret n° 96-1135 du 27 décembre 1996. On a pu également mettre en évidence les sérieuses difficultés rencontrées par la quasi-totalité des collectivités locales, disposant de faibles capacités techniques et administratives, à gérer des structures sanitaires.
Toujours est-il qu’en fin de compte, on a assisté à la mise en place tardive des budgets ou leur détournement au profit d’autres secteurs ou à d’autres fins, ce qui a induit une augmentation des charges incombant aux comités de santé devenus, par la force des choses, la principale source de financement du fonctionnement des structures sanitaires.
Autant dire que le processus de décentralisation a induit des dysfonctionnements dans la marche des districts, difficultés que la dernière réforme, celle de l’Acte 3, n’a fait qu’accentuer.
Le faible niveau de fonctionnalité des comités de gestion prévus dans les centres et postes de santé a conduit récemment à la création de nouveaux organes de gestion dénommés comités de développement sanitaire (C.D.S.), qui doivent faire leurs preuves. Mais on peut d’ores et déjà déplorer la confusion des textes qui les règlementent ainsi que la part belle faite aux élus locaux. (à suivre)
Dans une deuxième partie, nous reviendrons sur les propositions pour un programme alternatif.
Dr Mohamed Lamine Ly est Spécialiste en santé publique, Ancien secrétaire chargé de la politique de santé du SUTSAS (1998 à 2007) et actuel secrétaire général de la Coalition pour la Santé et l’Action sociale (COSAS).