LA CRISE ECONOMIQUE MONDIALE, HANDICAP OU OPPORTUNITE POUR L’AFRIQUE ?
Les indépendances qualifiées de « formelles » accordées à des Etats africains non viables économiquement ont pour la plupart débouché sur des échecs
Réfléchissant à la situation de l’Afrique dans l’actuel contexte géopolitique, qui n’a jamais été aussi chaotique depuis la 2ème guerre mondiale, il est tentant de se dire qu’une nouvelle opportunité de libération de ce rôle accessoire et périphérique attribué à l’Afrique se profile, et que les leaders africains devraient s’en saisir avec hardiesse.
Les indépendances qualifiées de « formelles » accordées à des Etats africains non viables économiquement ont pour la plupart débouché sur des échecs. La raison est qu’elles avaient été octroyées dans la perspective de perpétuer une domination économique par la « balkanisation » et le cantonnement de nos pays dans l’approvisionnement en matière premières pour les industries occidentales, et dans la dépendance alimentaire via les importations de produits alimentaires et industriels.
60 ans après, la problématique du développement économique reste posée dans les mêmes termes sauf que ce développement est désormais pris en charge par les institutions financières multilatérales, la participation de l’ex-puissance coloniale se limitant à l’aide publique au développement versée dans les budgets des Etats.
Au finish, après ajustements structurels et dévaluation, la situation n’a guère évolué. Elle s’est même aggravée avec la hausse du croît démographique dans un contexte de non création d’emplois.
L’ouverture de l’économie a favorisé les importations au détriment de la production locale peu compétitive en matière de coûts salariaux, énergétique, de productivité et de taux de change.
L’agro-industrie locale a été terrassée par les importations asiatiques, et les opérateurs économiques se sont tournés vers l’importation sans risque de produits alimentaires au détriment de la transformation industrielle locale.
Près de 40 ans après les fameux ajustements structurels, la situation de l’industrie locale demeure encore précaire.
La tâche n’est pas facile et il faut, en effet, reconstruire une armature de PME agricoles et industrielles.
Cette reconstruction nécessite l’implication du secteur bancaire, lui-même confronté à une politique monétaire et des lois et règlementations bancaires répressives.
Au-delà de la question du financement bancaire se pose celui de la construction d’une compétitivité forte pour nos entreprises. Celle-ci induit à tout le moins une politique de protection sectorielle et de promotion du « consommer local ».
Faute pour les promoteurs industriels de pouvoir maîtriser tous les éléments de la chaine, de l’idée du produit jusqu’à sa commercialisation, comment impulser un développement industriel ?
Faute de promouvoir l’initiative locale via la maîtrise de ces éléments, il devient quasi impossible de créer une armature industrielle nationale. C’est pourquoi l’objectif du PSE de faire émerger un « secteur privé national fort » devient un vœu pieux.
Le retard pris dans le développement d’une économie créatrice d’emplois et d’amélioration de la qualité de vie est le soubassement principal des révoltes de la jeunesse africaine, en particulier dans la zone francophone.
La jeunesse africaine s’en prend aux symboles forts qu’elle identifie comme les causes du non-développement, en particulier le FCFA
Le caractère extraverti d’une politique monétaire accrochée à celle en vigueur dans la zone euro est avéré dans la mesure où les configurations économiques entre l’Europe et l’Afrique sont dissemblables.
Il reste par conséquent à concevoir un système monétaire sous régional adossé à une monnaie commune ou à des monnaies nationales distinctes, et tenant compte des complémentarités mais aussi des disparités économiques des pays le composant.
La situation actuelle de la zone euro doit renseigner sur les difficultés à construire une politique monétaire commune pour des enjeux économiques structurels différents.
Dans son souci de ramener l’inflation à des niveaux conventionnels, l’Allemagne, leader économique, pousse à un relèvement des taux directeurs de la Banque Centrale européenne (à la base des taux de base bancaire et du marché financier) quitte à freiner son économie.
D’autres Etats de la zone euro, très endettés sur le marché obligataire, ont intérêt au maintien de taux directeurs bas afin de payer des charges d’intérêts sur leurs émissions d’obligations à faible impact sur leurs dépenses budgétaires.
Il en ressort que le niveau d’endettement des pays est un facteur de dispersion par rapport à leur politique monétaire commune.
Par conséquent, la question du Fcfa, loin de se résumer à une sortie qui automatiquement impulserait le développement économique, pose plusieurs problématiques en particulier celle de la complémentarité des économies d’Afrique de l’Ouest (si l’on sait que les flux commerciaux entre les pays de la CEDEAO sont d’environ 15%), la structure des commerces extérieurs respectifs (pays exportateurs ayant besoin d’une compétitivité change, pays importateurs d’énergie).
Il importe donc d’étudier en profondeur les défis inhérents à ces différentes options monétaires, et aussi celui de la complémentarité économique pour accroître les flux commerciaux, pour rendre la future zone monétaire opérationnelle et donner du sens à la Zlecaf.
En réalité, et à notre sens, c’est l’organisation du marché africain qui devrait venir avant la création du signe monétaire.
La question du marché africain renvoie à son tour à celle des infrastructures de désenclavement dont l’érection est une condition nécessaire.
L’étroitesse des marchés nationaux ne favorisant pas les économies d’échelles et la compétitivité, le marché sous régional s’impose comme le lieu le plus approprié du développement économique endogène.
Aussi, le besoin en infrastructures et services de transports ne doit plus se résumer à la seule solution des problèmes de mobilité urbaine intérieure via le TER ou le BRT en cours pour le Sénégal.
Si le droit au confort est indiscutable pour les populations, il faut tout de même convenir que, dans cette configuration, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un transfert intra sectoriel d’activité de transport des « Ndiaga Ndiaye » versle TER et le BRT.
Les problèmes de mobilité urbaine intérieure peuvent être réglés par des mesures internes contraignantes (encourager l’utilisation des « deux roues » comme en Asie, au Burkina et au Bénin, mener une politique de modernisation du matériel roulant des services privés de transport en commun permettant leur renouvellement régulier, décourager l’importation de véhicules de particulier polluants à partir d’un certain âge).
Pour des investissements massifs de désenclavement entre pays !
Tous ces problèmes sus évoqués non seulement ruinent les efforts de désencombrement routiers et rendent obsolètes avant terme les investissements réalisés d’infrastructures et de services, mais encore participent à la hausse de la facture énergétique du pays.
Notre conviction est que la priorité est moins dans la réalisation d’infrastructures de transports urbains, dont l’objectif essentiel est le déplacement des populations (et non de produits) de la banlieue périphérique vers le centre commercial et industriel qu’est Dakar, sans pour autant que la valeur ajoutée à l’ensemble de l’économie n’ait été prise en compte au préalable dans un éventuel calcul économique.
En matière d’investissements de désenclavement, la question de la mobilisation des ressources financières à moyen et long terme est centrale.
Pour poursuivre la réalisation des investissements communs aux pays d’un espace comme la CEDEAO, les capacités financières singulières doivent être agrégées afin de déterminer une capacité d’engagement globale à l’échelle sous régionale. Il est vrai que la Banque Mondiale a consacré près de 13 % de son portefeuille pour l’Afrique aux infrastructures d’intégration régionale.
Les Etats doivent également y consacrer du financement propre, en particulier pour l’entretien et la maintenance des grands corridors routiers que d’aucuns suggèrent de transformer en autoroutes. La question du développement de l’Afrique intervient dans un contexte marqué par la crise géopolitique en cours et la problématique du climat, induisant chez les pays occidentaux une tendance de plus en plus forte d’interdire à terme le recours aux énergies fossiles pour la transformation industrielle. Or, ce recours conditionne à moyen terme le bon fonctionnement de nos économies faute d’investissements préexistants en énergie propre.
Cette orientation vers une industrie « décarbonée » réaffirmée avec force au COP 27, permet de mesurer le risque à moyen terme pour les pays africains détenteurs de ressources fossiles de se voir priver de leur pleine utilisation à terme, alors que le dérèglement climatique n’est pas le fait d’activités industrielles en Afrique.
Le principe équitable « pays pollueur payeur » n’est toujours pas appliqué, finissant ainsi de convaincre du caractère profondément inéquitable du système économique mondial, et de la marginalisation du continent africain.
Au-delà des infrastructures et services de transports régionaux, une volonté politique d’intégration des économies doit être ferme. Les Etats doivent se mettre d’accord sur les cadres à mettre en œuvre en matière économique, commerciale et monétaire.
Les complémentarités économiques doivent être suscitées par les Etats et encouragées à travers des missions économiques et financières organisées par les banques africaines de développement. Un système bancaire et financier intégré doit pourvoir des financements et du conseil pour accompagner les projets privés communs de l’espace géographique.
Le COVID et ses conséquences sur le dérèglement des chaînes d’approvisionnement et la récession mondiales, la guerre russo- ukrainienne et ses conséquences sur l’inflation mondiale et la crise de l’énergie, ont entraîné une récession économique (en Europe en particulier) et conduit à une désorganisation du système monétaire et financier international symbolisé par l’exclusion de la Russie des transactions « swift ».
Cette dernière mesure a suscité en réaction la création s’un système monétaire et commercial alternatif basé sur l’utilisation des monnaies nationales dans les transactions énergétiques pour les pays émergents (Chine et Inde principalement).
Dans ce nouveau contexte, l’Afrique a la possibilité de collaborer avec, comme principe, la transformation industrielle sur place de ses ressources naturelles accompagnées d’un transfert de technologie et de la formation du capital humain.
En effet, face à sa longue marginalisation commerciale, industrielle, scientifique, technologique, l’Afrique n’a d’autre choix que de s’approprier ses ressources et diversifier ses partenaires pour s’ouvrir la voie du développement économique qu’elle ne saurait différer au regard de sa démographie jeune et galopante.