LA MEMOIRE CORRECTIVE DE PSK
Pape Samba Kane croque les personnalités de la scène publique sénégalaise avec justesse, précision, sans jamais verser dans la vulgarité ni la grossièreté, qui sont hélas devenues des pratiques journalistiques au pays de Mame Less Dia.
Mon ami Pape Samba Kane m’a fait l’amitié de me faire parvenir, il y a quelques mois, son dernier ouvrage publié en deux tomes, Mémoire corrective, aux éditions Harmattan Sénégal. Depuis, je picore régulièrement des pépites sur les 750 pages du livre écrit avec un soin particulier apporté à la langue et au style. Il s’agit d’un recueil de portraits satiriques publiés dans un grand journal qui marqua l’histoire de la presse africaine, le défunt Cafard Libéré, sous sa rubrique Profil. Le journaliste a fait un travail méticuleux d’archiviste pour exhumer ces textes parus entre 1987 et 1996 afin de les proposer à l’édition pour le plus grand bonheur de son lectorat.
Pape Samba Kane croque les personnalités de la scène publique sénégalaise avec justesse, précision, sans jamais verser dans la vulgarité ni la grossièreté, qui sont hélas devenues des pratiques journalistiques au pays de Mame Less Dia.
Certains des textes, comme le souligne le préfacier du premier tome, le regretté Mame Less Camara, sont prémonitoires. Il donne l’exemple de Idrissa Seck que l’auteur avait vu comme futur directeur de Cabinet du Pape du Sopi quand ce dernier arriverait au pouvoir. Ce fut chose faite, avant le déchirement, la disgrâce et les péripéties policières puis judiciaires. Du fait de mes inclinations, certains textes m’ont parlé plus que d’autres. Ceux sur Jean Collin, Fara Ndiaye, Mamadou Puritain Fall, par exemple. J’ai été touché par le portrait de feu Mbaye Diack, marxiste brillant et rigoureux. PSK relate sa réponse «Très loin» à la question de savoir où il habitait. Ces deux mots vagues et imprécis disent beaucoup des gens de cette époque, de ces hommes politiques, qui en plus d’avoir lu leurs classiques, avaient un sens de la répartie qui renseigne sur leur finesse. Ils avaient du fond et savaient discourir de manière élégante et raffinée.
Les portraits de PSK peuvent être très drôles et obliger le lecteur à marquer une pause pour un rafraîchissant éclat de rire. L’art de faire rire est un talent, parmi ceux qui certainement me touchent le plus. Les idées d’une personne peuvent être haïssables mais l’humour reste pour moi une qualité supérieure à presque toutes les autres. PSK est de cette race de journalistes à la plume vive et caustique. On n’en fait plus dans notre pays, hélas et le débat public s’en trouve dévitalisé. Pour citer à nouveau Mame Less Camara, PSK sait être «féroce» sans jamais être «méchant». Dans sa tâche, il est aidé dans cet ouvrage par les coups de crayon de TT Fons, Joop et Odia. Odia, ce talentueux dessinateur dont je remarque avec tristesse qu’il a perdu ce plaisir aristocratique de déplaire. Un dessinateur qui par couardise cherche à plaire aux Princes perd ce sentiment jouissif qu’est l’irrévérence.
Le livre de PSK est un immense musée représentatif d’un monde d’hier dont notre pays ne veut pas se souvenir car il lui rappelle sa grandeur d’antan et son niveau d’abêtissement actuel. Certains personnages disparus, que PSK ressuscite, étaient l’incarnation d’un Sénégal de tenue et de retenue. On pouvait ne pas partager les orientations politiques de Jean Collin, Fara Ndiaye, Me Babacar Niang, etc., mais ils avaient un sens de l’Etat et une haute idée de ce que devait être la politique. Elle ne doit jamais se départir de la dignité.
La tenue du monde d’hier tranche avec l’outrance et les injures désormais sacralisées et installées comme règle de conduite. Les héritiers ne sont pas dignes de l’héritage politique du Sénégal. Et le pire est à craindre…
PSK nous conte une histoire que notre génération n’a pas bien connue. J’en garde personnellement des bribes et des tranches de récits, car je voyais, enfant, le Cafard régulièrement traîner chez moi. C’est aussi là la pertinence de ce travail de mémoire pour garder des traces d’un passé que beaucoup ignorent car notre structure démographique fait que le Sénégal est un pays très jeune. Certes la politique a toujours été pratiquée avec violence. Notre histoire politique est ponctuée de morts. Mais le Sénégal a connu un débat public de qualité, que l’Afrique entière nous enviait. Entre les hommes et les femmes politiques d’une époque hélas révolue, il y avait, malgré les différences programmatiques et de vision idéologique, une estime réciproque. La hauteur de vue, l’urbanité, l’intelligence, l’érudition et la tenue sont des qualités essentielles pour un homme politique. Sinon, comme dirait l’autre saltimbanque Ibou Fall, voix et plume féroces, c’est la foire à la racaille.
J’ai adoré l’ouvrage de PSK dont le talent de portraitiste est sans égal. Les deux tomes n’ont pas quitté depuis plusieurs mois ma table de chevet. Je continuerai à picorer ces petites merveilles pour ne pas désespérer du Sénégal et des Sénégalais…
Dans le portrait «L’albatros», PSK dit du lumineux Asak «Il est agaçant de talent». Je lui fais le même reproche.