LEADERSHIP SÉNÉGALAIS, CAFOUILLAGE AU SOMMET
Les mécanismes permanents que sont le Fongip et le Fonsis n’ont pas donné les résultats escomptés car ce sur quoi il faut davantage travailler c’est l’inclusion financière des sénégalais dans une monnaie compétitive
L’appel du président Macky Sall pour une annulation de la dette publique du Sénégal et le réaménagement de la dette privée était une erreur pour un pays comme le Sénégal qui a une dette soutenable. Cet appel a soulevé et continue de soulever l’étonnement de tous ceux qui suivent ces questions sérieusement. L’erreur est humaine, mais ce n’est pas parce que le président a fait une erreur dans une tribune qui appelait à la solidarité, réaffirmée dans des interviews avec la presse étrangère écrite et télévisuelle, qu’il faut que ses laudateurs continuent d’enfoncer le clou en essayant de l’en sortir avec des arguments économiques qui ne tiennent pas la route. Il faut plutôt tourner la page.
Le meilleur argument de rattrapage nous est venu du ministre des Finances et du Budget dans sa tribune de Jeune Afrique. Après avoir expliqué toutes les raisons pour lesquelles le Sénégal était un bon débiteur, il a argumenté qu’une annulation de notre dette publique permettrait au Sénégal de reconstituer cette même dette jugée soutenable pour les besoins d’une relance contracyclique de transition. L’argument était clair, nous nous y sommes opposé pour une seule raison : La reconstitution de la dette en devises, puisqu’à son niveau actuel, ce qu’il faut faire est la réduire du fait de la vulnérabilité extérieure qu’elle représente au vu de la nécessité de flexibiliser notre monnaie. Le Sénégal a signé un programme avec le FMI qu’il a crié sous tous les toits être le sien sans y croire et qui appelle à réduire notre endettement en devises à moyen terme « Sénégal-FMI : Décryptage Paradigme à Revoir ». Si la communauté internationale veut contribuer à notre relance par le budget, qu’elle nous fasse des dons car à défaut nous ferons appel à notre résilience et c’est possible.
En effet, la nécessité d’une riposte contracyclique n’est pas remise en cause, nous l’avons défendue dans notre tribune intitulée « Organiser la Résilience Systémique au Covid-19 » et l’avons réaffirmée à la suite de la publication du plan de l’Etat dans notre tribune « Macky Sall : Réalisons Notre Destin Libres ». Cette réponse contracyclique est possible sans demander l’aumône à nos bailleurs si nous responsabilisons notre banque centrale et lui donnons une autonomie d’objectif sur le taux de change de l’Eco à mettre en œuvre en 2020 en ne ratifiant pas la garantie française qui nous est proposée. Nous l’avons argumentée dans la tribune intitulée «Financement UEMOA : Proposition Post-Covid ».
Dans tous les cas de figure, ceux qui nous dirigent doivent clarifier leurs positions politiques pour plus de cohérence dans leurs choix économiques. Qu’est-ce qu’ils sont quant au fond et qu’est ce qui les guide ? Ils veulent être libres ou dépendants ? Nous avons argumenté dans plusieurs tribunes d’avant la présidentielle de 2019 que le président Macky Sall était à la croisée des chemins. Soit il ne sait pas ce qu’il est véritablement ou il n’arrive pas à faire la synthèse des tendances idéologiques et doctrinales contradictoires qui l’entourent « Macky Sall: Socialiste, Libéral ou Souverainiste». Nous nous y perdons à chaque fois qu’il s’adresse à la nation, l’avant dernière en date nous appelait effectivement à réaliser notre destin, libre et la dernière devant l’impuissance de l’Etat face au Covid appelait aussi les Sénégalais à prendre leurs responsabilités redécouvrant son libéralisme. Le jour suivant, il participe à une visioconférence, le tout dans un argumentaire de dépendance et de main tendue. Les messages que nous recevons du palais dépendent peut-être de celui qui dans l’entourage était à la plume du jour.
C’est tout à fait vrai car nous nous sommes demandé cette dernière semaine à quel Boun Abdallah Dionne se fier. Sous sa propre plume, il nous a dit en défense de la cause perdue « qu’une annulation de dette ou de la reconversion de celle-ci en une rente perpétuelle, l’essentiel pour l’emprunteur est qu’il n’ait plus rien à payer afin de reconquérir sa capacité d’endettement", ceci parce que des impôts nouveaux ou un endettement nouveau sans annulation préalable s’avèreront insoutenables. Il avait à l’esprit le véhicule en discussion dans certains cercles qui permettrait, à l’image du mécanisme européen de stabilité, de racheter la dette africaine pour la restructurer en une dette à très long terme à taux nul. Ceci pour permettre aux bénéficiaires de créer des espaces nouveaux d’endettement car dit-il « l’Afrique a besoin d’emprunter massivement pour financer l’investissement productif et son industrialisation ».
Nous avons argumenté que ce mécanisme ne devrait pas être applicable au Sénégal pour les raisons que le ministre des Finances a évoqué dans sa propre tribune. En effet, le Sénégal ayant une dette soutenable, aucun créancier privé ne vendrait la dette sénégalaise pour réinvestir dans cette même dette puisque le Sénégal est solvable, à moins que certains parmi nos autorités veuillent nous convaincre du contraire. Ce mécanisme serait utile pour certains pays africains à la porte du défaut de paiement mais pas le Sénégal qui ne devrait même pas se porter volontaire pour un moratoire puisqu’un moratoire veut également dire ne plus pouvoir emprunter aux mêmes créanciers. Les créanciers nouveaux pourraient cependant être ceux adeptes d’un capitalisme d’Etat qui se rapprochent davantage des convictions socialistes et socialisantes véritables du président Macky Sall. Nous l’avons argumenté dans notre tribune intitulée « Macky Sall a choisi : Socialisme et Capital Etranger » à la veille de la présidentielle de 2019. Il cherche ainsi peut être à ne plus dépendre des marchés plus regardants.
Cependant, dans le magazine inaugural Tam Tam de l’Emergence sous le leadership du ministre en Charge du PSE, il est attribué les propos suivant à Boun Adballah Dionne qui cette fois mentionne le sujet tabou, la monnaie (la quatrième voie, après celles de l’impôt, de la dette, et de son annulation). Il nous dit : « Notre aptitude de riposte face à des chocs étant prioritairement budgétaire, fortement contrainte par des règles très restrictives en matière d’endettement et de déficit, doivent changer. Le politique devant dorénavant déterminer l’économique et non l’inverse. Il en sera de même au plan de l’autre versant du budget. Notre politique monétaire et financière devra être plus audacieuse et plus accommodante, même si elle est mise en œuvre par une banque centrale commune et indépendante, pour s’articuler davantage aux politiques budgétaires expansionnistes entreprises par les pays ouest-africains pour faire face à la crise.. Certes, nos stratégies d’émergence continueront à tirer profit de l’aide publique au développement et du marché financier international, bien qu’émettre aujourd’hui des eurobonds sur le marché international va devenir ne plus en plus un exercice à haut risque pour nos trésors publics. Il est ainsi attendu une endogénéisation accrue de nos politiques de financement à travers un recours plus systématique aux ressources du système bancaire et financier domestique. Il est aussi attendu davantage d’espace pour le secteur de l’industrie, donc notre secteur privé national dans nos stratégies d’émergence. C’est à ce double prix que le PSE d’après va porter de manière durable le champion ouest-africain de la reprise post-Covid que le président de la République ambitionne ».
Nous lui disons que cette dernière position n’est possible qu’avec un ECO flexible et pour ce faire il ne faut pas ratifier l’accord de garantie proposée par la France. A défaut, nous répéterons l’histoire. Les politiques proposées dans les deux positions ne produiront pas de résultats car nous les avons toutes expérimentées. Senghor a emprunté, Diouf a essayé de payer, on lui a pardonné une partie et une autre partie à Wade. Wade a emprunté, Macky a encore plus emprunté sans les résultats annoncés que sont la transformation structurelle, une croissance durable, et la révolution agricole. La gestion 2012-2019 a fini avec des arriérés payés par le FMI grâce au Covid-19, un endettement extérieur excessif, et une croissance en décélération avant Covid-19, et qui n’espérait se relever que grâce au pétrole et au gaz dont l’exploitation est reportée grâce aussi au Covid-19 qui révélera la vérité. Comme nous l’avons argumenté dans nos tribunes intitulées « Annulation de Dettes Non, Souveraineté Monétaire Oui » et «Afrique : Acteur Marginal Réveil Forcé », il faut rester fidèle à vos convictions libérales proclamées ou nous clarifier votre changement de cap car les critères de convergence après la riposte contracyclique devront demeurer pour laisser de la place au leadership du secteur privé.
Le ministre de l’Economie quant à lui nous dit « qu’il est évident que s’il y a une leçon à retenir de cette crise, c’est qu’il faut d’abord compter sur soi-même. Il faut qu’on accélère la correction de certaines tendances de notre économie, notamment notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur en produisant davantage et en consommant nos produits et construire des bases solides pour exporter…En plus de ses investissements propres, l’Etat nouera des partenariats avec le privé et mettra en place des mécanismes pour un meilleur accès des entreprises au financement ». Nous lui disons que les mécanismes mis en place pour riposter contre les effets sur le financement de l’économie sont, comme ce qui s’est fait aux Etats-Unis et ailleurs, des mécanismes quasi-budgétaires et temporaires pour apporter la garantie conjoncturelle de l’Etat.
Les mécanismes permanents que sont le FONGIP et le FONSIS n’ont pas donné les résultats escomptés car ce sur quoi il faut davantage travailler c’est l’inclusion financière des sénégalais dans une monnaie compétitive qui nous donnera l’exutoire du taux de change au cas où les interventions de l’état accommodées par la banque centrale devaient échouer. Il faudra également des mesures qui ne sont pas d’ordre financier mais d’amélioration de la liberté économique car il est tout simplement difficile pour nos PMEs du secteur informel de réussir. L’aide attendue n’est pas pour les lobbys affairistes dépendant de l’Etat pour des marchés. Nous l’avons argumenté dans notre tribune intitulée « SENEXIT : Libéralisme Patriotique ou Socialisme? ». Il nous faut changer de paradigme et créer notre propre libéralisme car il n’y a pas d’autre voie vers le progrès. Tous les pays qui ont réussi ont adapté ce libéralisme à leur contexte, y compris la Chine et nous ne sommes pas obligés de perdre le temps qu’elle a perdu.
Nous appelons nos autorités et les sénégalais à s’approprier le slogan « Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp » et de construire un Sénégal de Liberté, de Démocratie, et de Responsabilité. Ce Sénégal n’est pas compatible avec le discours actuel de notre leadership qui est en réalité multiple selon l’interlocuteur. Il faut une unicité de commandement. Nous avons toutes les cartes en main, alors construisons notre avenir en comptant principalement sur nous-mêmes pour nous départir d’une mentalité d’assisté que notre situation d’aujourd’hui ne justifie pas. Pour ce faire, il nous faut arrêter de soutenir nos leaders même dans l’erreur et de leur attribuer des qualités de visionnaires ou de leadership qu’ils n’ont pas nécessairement. Ils ne sont pas des Dieux.
Les propos exprimés dans cette tribune référencée ne sont pas nuancés comme le voudraient certains de mes amis. Ils sont des convictions fortes réfutables d’un « homme ouvert » et patriote. Il serait bien que le président Macky Sall nous définisse lui-même son Libéralisme Social et nous explique comment le réaliser économiquement pour le Sénégal.
Librement.