MACKY SALL, DU TRIOMPHE À L’ÉGAREMENT
L’élection de Macky Sall à la tête du Sénégal en mars 2012 n’avait ressemblé à aucune autre emais personne ne le perdit aussi facilement que la dernière année de son second mandat
Avec Macky Sall, la gestion libérale du pouvoir allait prendre un autre souffle. Premier ministre et directeur de campagne pour la réélection de Abdoulaye Wade en 2007, Macky Sall fut le vainqueur de la deuxième alternance à la tête du Sénégal : un autre espoir après la fin des 12 années de règne mouvementé du « Pape du Sopi ». Quoiqu’incarnant, à ses débuts, un nouveau style politique, celui d’un président « moral », transparent, sobre, Macky Sall n’incarna pas la rupture tant attendue. Le mode clientéliste de gestion du pouvoir poussa son parti à tout truster sur fond de patrimonialisation et de privatisation accélérées de l’appareil d’Etat. Le référendum de 2016 consacre la réalité du pouvoir par laquelle Macky Sall « vampirise » autant les institutions constitutionnelles que le processus de sélection des candidats à la présidentielle. On assiste de fait, à la reconstitution d’un Etat superpuissant flottant au-dessus de la société dans laquelle la parole libre devient suspecte. Le point d’orgue en sera le « mortal kombat » entre Macky Sall et Ousmane Sonko, une opposition frontale et « meurtrière » qui livre, à terme, le pouvoir au cinquième président du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
L’élection de Macky Sall à la tête du Sénégal en mars 2012 n’avait ressemblé à aucune autre et ne s’était réduite à aucune précédente. Cette année-là, il gagne très vite le soutien des foules, mais personne ne le perdit aussi facilement que la dernière année de son second mandat. Si l’élection relève d’un mécanisme institutionnel et d’un rituel démocratique bien rodé, il n’en demeure pas moins que celle de 2012, s’est inscrite dans le sillage d’une famille politique (les Libéraux) qui a dominé les années 2000. Ce n’est pas un hasard si le tiercé gagnant sorti de la course au premier tour appartient à cette famille : Abdoulaye Wade, Macky Sall, Idrissa Seck. Le trio partage les mêmes caractéristiques : volontaire, téméraire avec une détermination d’airain. De ces trois hommes, Macky Sall a été celui qui a le plus poussé chacun de ces trois traits. D’eux, on ne saurait pas retenir que les incompatibilités de caractères après que leurs tempéraments se sont accordés, dans une harmonie qu’ils ont célébrée maintes fois, publiquement. Pour l'un comme pour les autres, il y eut toujours ce but qu'il leur a fallu apprivoiser, et que le commun des mortels ne saurait envisager sans trembler : le palais de la République. La deuxième alternance qu’a connue le pays procède d’un vote démocratique, sur un mode référendaire (pour ou contre Abdoulaye Wade). Au lancement de la campagne électorale de 2012, Wade avait-il conscience que s'ouvrait devant lui, sur une pente de 21 jours de campagne, l'ubac de son quinquennat ? Idrissa Seck lui, a été incapable de voir dans le regard des autres, autre chose que son propre reflet. Devenu réfractaire à Wade, il a osé se gausser du « monarque républicain ». Et publiquement ! Avec l'insolence en guise d'insoumission. Quant à Macky Sall, il a profité d’une image qui prenait les couleurs d’une aurore naïve. Il est arrivé en se pressant… lentement tout en gagnant du terrain, sans avoir l’air d’y toucher, convainquant les sceptiques, les hésitants, les grincheux.
Les choix de Macky Sall
En 2008, beaucoup de ses camarades de parti et de Sénégalais, ne lui reconnaissaient une épaisseur encore moins une intelligence politique, lorsqu’il se coupait d’Abdoulaye Wade et du Pds. Sa carrière politique commence au lycée, quand il fréquente les maoïstes. Etudiant, il « milite » dans le mouvement marxiste-léniniste duquel il s’éloigne, adhère au Pds et vote Abdoulaye Wade aux élections présidentielles de 1983 et 1988. La même année, il est le secrétaire général de la Convention régionale du parti à Fatick, son lieu de naissance. Son ascension s’esquisse dans le Pds et dans l’administration en 2000. Cette année-là, il est nommé directeur général de Petrosen, la société des Pétroles du Sénégal où il occupait le poste de chef de la division Banque de données. Sa carrière se poursuit dans les différents gouvernements de Wade : ministre de l’Energie et des Mines, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales (chargé de l’organisation des élections), Premier ministre et directeur de campagne pour la réélection de Wade en 2007, Président de l’Assemblée nationale. Son apprentissage des leçons politiques s’affermit, il acquiert de plus en plus d’expériences et tisse ses réseaux de clientèles politiques, économiques, religieux, dans et en dehors du pays. Il aiguise ses armes sans se faire remarquer dans les agitations fratricides qui minent et secouent dangereusement le PDS, qui le place loin derrière, dans la lignée des héritiers que sont Idrissa Seck et Karim Wade. Abdoulaye Wade en fait le principal instrument mis en action pour faire passer à la trappe, Idrissa Seck. Il s’attelle à la tâche sans état d’âme. Il accompagne la montée en puissance de Karim Wade, le fils du président dans l’appareil d’Etat et tolère ses manœuvres qui visent la création de la Génération du concret. Mais ses gages et ses accompagnements n’empêchent pas sa descente aux enfers, et la guérilla menée contre lui par Wade et par ses camarades de parti. En 2007, après les élections législatives, il devient Président sous surveillance de l’Assemblée nationale, rétif au projet de « dévolution monarchique » du pouvoir de Wade au fils Karim. Il entre ouvertement en dissidence en convoquant ce dernier devant le Parlement pour répondre de la gestion décriée de l’Agence Nationale de la Conférence Islamique (Anoci). Abdoulaye Wade invite alors ses députés à voter une loi réduisant le mandat du président et du bureau de l’Assemblée nationale de cinq à une année.
En 2008, il fait face au harcèlement politique des proches partisans et des représentants de la frange la plus belliqueuse et arrogante du Pds, qui lui reprochent ses velléités d’autonomie politique ou économique (il est convoqué et auditionné à la police pour cause de blanchiment d’argent). On lui transmet un message non équivoque : s’aligner ou se faire écraser. En lui faisant vivre ces affres, Wade et le Pds venaient de dégoupiller une grenade qui leur explosera dans les mains. En réponse à ce traitement, Macky Sall démissionne du Pds et se défait de tous ses mandats électifs. Il réussit ainsi à faire voler en éclat cette image de débonnaire qu’il renvoyait. Il n’était pas nouveau. Il devenait neuf. Il adopte une stratégie qui déborde du cadre de la succession pour celle de la conquête. Elle lui offre une démarche gagnante. Il a fallu de l’habilité, de la détermination et une grande dose de baraka. L’Alliance pour la République (Apr) qu’il crée en 2008 se démarque du Pds et des principaux partis de l’opposition (Ps, Pit, Ld, Reewmi…).
En sa qualité de Président, il prépare sa revanche, la rage au ventre, mais il n’inquiète personne. Il sillonne le pays pour présenter son offre politique basée sur une « nouveauté » : la rupture dont lui-même est un symbole, et laisse Dakar aux activités politiques des principaux leaders des autres partis. Les points les plus saillants de son discours et de son agenda politiques ont été :
- Les marabouts sont des citoyens comme les autres ;
- La patrie avant le parti ;
- La lutte contre la corruption ;
- Le rejet catégorique de la transhumance ;
- La réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans.
- La suppression du Sénat ;
- Le rétablissement du mandat du bureau de l’assemblée de 1 à 5 ans.
- La déflation institutionnelle et administrative.
En quittant la Place de la Nation, son « mergadou » sous l’aisselle, les cris d’orfraie fusent, mais sur lui, tout semble glisser. Il devient omniprésent sur le terrain, poursuit sa tâche de laboureur sans relâche. Coup de poker insensé.
Face à l’omniprésence brouillonne des partisans de Abdoulaye Wade, il avance d’un pas tranquille enveloppé d’une certaine rondeur. Un de ses ex intimes, dans une confession m’a révélé : « je l’ai observé pendant plusieurs années. Je ne sais pas qui il est ». Ceux qui ont tenté de le percer donnent l’impression de s’enfoncer dans un labyrinthe. Il fait un pied de nez à tous ceux qui l’avaient sous-estimé. Il n’assiste pas à la grand’messe des Assises nationales et n’occupe pas les premiers rangs des manifestations organisées par l’opposition et la société civile.
Face à la coalition de l’opposition Benno Siggil Sénégal, qui ne parvient pas à s’accorder sur une candidature unique (Moustapha Niasse- Tanor Dieng), Macky Sall creuse son sillon et cultive la différence, dans la critique tout en retenue des autres candidats. Au soir du 26 février 2012, jour du premier tour de l’élection présidentielle, il se place derrière Abdoulaye Wade, devance Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng, mais surtout Idrissa Seck. Macky Sall peut commencer à préparer le second tour de l’élection présidentielle. Il bénéficie de l’engagement des candidats de l’opposition à soutenir le mieux placé parmi eux. Il commence à tisser sa toile, s’écartant de manière stratégique de certains éléments de son agenda du premier tour. Il adopte, à partir de ce moment une position d’héritier de Wade, que sa dissidence avait masquée. Il revient sur sa proclamation de la qualité de citoyen ordinaire des marabouts et sur son rejet des conclusions de Assises nationales qu’il embrasse désormais « avec réserve » dit-on. Le jeu de yoyo entre l’agenda politique du premier tour qui affiche l’autonomie vis-à-vis des appareils politiques et des associations de la société civile et promeut la rupture et celui du second tour qui s’aménage des espaces de compromis et des alliances avec certaines forces politiques et de la société civile annonce une gouvernance heurtée, sinon très opportuniste. L’héritier de Wade se dépouille déjà des oripeaux du candidat de la rupture.
L’EXERCICE DU POUVOIR
Au début de son mandat, il s’emploie à incarner un nouveau style politique, celui d’un président moral, transparent, sobre. Sa volonté d’afficher la rupture lui fait déclarer son patrimoine, engager une politique de réduction du train de vie de l’Etat en restreignant le premier gouvernement à 25 ministres. Il engage des audits réclamés à cor et à cris par les populations, sur les dignitaires de l’ancien régime, ressuscite la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite, crée l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), n’intercède pas en faveur de Serigne Béthio Thioune emprisonné pour complicité de meurtre de deux de ses disciples.
Suite au réaménagement gouvernemental d’octobre 2012, il supprime le ministère chargé des élections et rend au ministère de l’Intérieur, toutes ses prérogatives dans l’organisation des élections. Il dissout le Sénat pour cause de réaffectation de son budget à la gestion des inondations de l’hivernage 2012. Ce qui lui ôte, par ailleurs la possibilité de caser ses partisans et autres alliés qui n’avaient pas trouvé de place dans le gouvernement ou à l’Assemblée nationale. Mais tout cela ne l’a pas empêché d’être pris dans le jeu des alliances politiques et n’a pas permis, on le verra plus tard de « réparer l’image de la politique ». Les élections législatives qui se tiennent trois mois après la présidentielle ne passionnent pas franchement les Sénégalais car seuls 37% des inscrits ont voté.
La coalition Benno Bokk Yakaar sort vainqueur. Dès le soir de sa victoire au deuxième tour de la présidentielle de 2012, Macky Sall, se révèle dans l’exercice du pouvoir, marqué par un seul souci, sa réélection pour un deuxième mandat. Son parti, l’APR n’est pas structurée. Le PDS, malgré son affaiblissement reste une force avec laquelle il faut compter. Les différents autres groupes qui se manifestent dans son entourage, y compris familial, revendiquent des agendas différents sinon opposés et en compétition. La rupture se fait attendre. Le mode clientéliste de gestion de pouvoir n’a pas disparu.
La nomination abusive de ministres-conseillers et l’élargissement du gouvernement, comme les audits engagés et qui tardent à aboutir sont de plus en plus dénoncés. Le parti prend le pas sur la patrie. L’APR truste toutes les positions de directions dans l’administration et les sociétés publiques et parapubliques. Les sinécures et le pillage des ressources financières dénoncés par les organes de contrôle sont sans effet, si ce n’est lui-même qui déclare « avoir mis le coude sur certains dossiers ».
Par petites touches, Macky Sall reconduit le modèle dont il a toujours revendiqué le démantèlement : il mène une politique de la fragmentation qui a des conséquences sur l’espace public, en particulier sur les partis politiques, remettant en cause, dans le même temps des stratégies de coalitions. S’installe par conséquent, une crise de leadership au sein du Parti socialiste, du PIT, de l’AFP et de la LD. Pour les réfractaires, une cavalerie administrative et judiciaire qui piétine tout sur son chemin est lancée et l’opposition est menacée d’être « réduite à sa plus simple expression ».
Les différences de traitement sont manifestes, selon que l’on membre du parti ou non, un droit qui n’est pas égal pour tous, parfois teinté d’humiliation, parfois de violence. Sans dire les pressions exercées sur les concernés par la politique dite de la « traque des biens mal acquis » il consacre publiquement la transhumance lors d’un conseil ministériel à Kaffrine en 2015 : « Un homme politique ne doit pas être rancunier, revanchard. Pourquoi ne devrais-je pas recevoir des gens du Pds ou d’un autre parti qui veulent intégrer l’Apr ? Je n’ai aucun problème à les recevoir ! La transhumance est un terme péjoratif qui ne devrait jamais être utilisé en politique parce qu’elle est réservée au bétail qui quitte des prairies moins fournies pour aller vers des prairies plus fournies. Selon les saisons, le bétail a besoin de se mouvoir. C’est vrai que c’est par analogie que les gens ont taxé les perdants qui vont vers les vainqueurs. Ça peut se concevoir mais le terme n’est pas acceptable. Nous avons tous la liberté d’aller et de venir, c’est la Constitution qui nous le garantit.
Ensuite, les acteurs politiques au Sénégal ne sont pas nombreux. Nous avons à peu près 5 millions d’électeurs sur 13 millions de Sénégalais ». Ce à quoi un observateur avait soufflé avec dépit : “Il a pour lui l’argent, la calculatrice, le coffre-fort et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que la honte.” Peu à peu, il détricote la politique de passation des marchés. L’inclusion ou l’exclusion des prébendes aux ressources publiques deviennent dès lors, l’unique enjeu des activités politiques. On assiste à un contournement, voire un détournement des appareils de l’Etat mais elle correspond à des prises de position par rapport à ce dernier qui est concomitant à la reconstitution d’un Etat superpuissant flottant au-dessus de la société dans laquelle la parole libre devient suspecte. Il met fin aux fonctions officielles de quiconque se déclare contre son 3ème mandat. Sans en revendiquer l’héritage, il se vêt des habits de Abdoulaye Wade, relativement aux infrastructures, qu’on affichera à la fin de son mandat, sur le tableau des réalisations, que c’est l’élément le plus visible de son « bilan matériel ». Ce qui n’est pas faux. Face à l’indiscipline et au chantage au vote-sanction, le pays connait une inflation institutionnelle et administrative. La mise en place du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) est un exemple parmi d’autres, tandis que la patrimonialisation et la privatisation accélérées de l’appareil d’Etat suivent leurs cours. Aujourd’hui, il se dit que le patrimoine bâti de l’Etat, se réduit à une vingtaine de biens.
Première dame
Dans une « chronique de l’improviste » en date d’octobre 2016, le statut de l’épouse est posé. « Le texte de Monsieur Mody Niang publié (…) dans la presse pose clairement le cas du statut de ce qu’il est convenu d’appeler Première dame de la République. (…) En son temps. Madame Colette Senghor s’est distinguée par une discrétion, un mutisme, si ce n’était une mutité. Durant les années 1980-1990, (…) au plan politique (politicien), une campagne de désenghorisation est lancée. Elle n’a pas seulement pour objet, de trouver une nouvelle honnêteté à Abdou Diouf. Son épouse est également dans la propagande qui fit entendre à tous les Sénégalais que le Palais venait d’être occupé par (presque) d’authentiques Sénégalais (…) Après une décennie de silence, Madame Diouf opère sa mue, prononce un discours, est aux premiers rangs des fidèles lors de la visite du Pape Jean Paul II, sort de sous le couvert de la Fédération nationale de l’action sociale (Fnass).
L’histoire retient qu’en pleine période de préparatifs du 20ème anniversaire de cette fédération, Abdou Diouf trouve un prétexte pour le faire reporter. Deux mois après, la Fondation de son épouse était créée. Madame Diouf s’affirme alors comme actrice de la vie publique, notamment avec sa fondation Solidarité-Partage. A l’époque déjà, et plus encore après la chute du Président Diouf, des voix se sont élevées pour dire l’opacité qui entourait l’objet, son fonctionnement et sa gestion et ont rebaptisé la « Fondation Solidarité, Partage… du gâteau ». Les années 2000 seront celles de la Sénégalaise décomplexée, qui revendique sa part de légitimité dans la construction nationale, comme Viviane Wade réclame sa sienne dans le Sopi. (…). Exaltée par la victoire de son époux, elle sort du Palais, va faire son marché, participe à une marche pour protester contre les violences faites aux femmes, interpelle des soldats en partance pour le Congo en les mettant en garde contre les risques que des vendanges non protégées pourraient causer des récoltes sidéennes et précipite dans la nuit d’un tombeau, la Fondation de Madame Diouf. Elle crée l’«Association Education-Santé », fait construire un hôpital à Ninéfécha, administré par le ministère des Forces Armées.
Le ministère de la Santé de l’époque avait mis à sa disposition un personnel médical. Ce qui avait fait dire à un opposant de son présidentiel époux, non sans raison d’ailleurs : « En réalité c’est un président bis ». Maître Wade avait, quant à lui qualifié son épouse de « sa première opposition » (…). Quant à Marième Faye Sall, elle est décrite comme étant « cette femme qui s’était engagée sur le terrain politique aux côtés de son époux, participant à la mobilisation des électeurs, en pantalon jean et un T shirt à l’effigie du candidat, une casquette vissée sur la tête » Le couple qu’elle forme avec l’actuel président de la République, constitué de deux êtres nés après l’indépendance du pays, nous renvoie sa différence avec la vieille classe politique et son engagement « naturel » avec la rupture. Dès l’accession de son époux à la Présidence de la République, le ton est donné : elle, Sénégalaise bon teint, de père et mère, n’est pas venue d’ailleurs. Cette fois-ci (…), pas d’étrangère. Mais très vite, elle fait l’objet, à tort ou à raison d’alarme dynastique, entre faits de Première Dame, bon plaisir et esprit de cour. Sur son blog, il est inscrit : Marième Faye Sall, Première Dame du Sénégal- Blog officiel, mettant en exergue un lien privé qui donne un privilège public.
La Fondation elle-même, n’a ni site, ni blog. Ou s’ils existent, ils ne sont pas référencés. Quand ce n’est pas la société de Loterie nationale sénégalaise qui offre des ambulances à la « Fondation Servir le Sénégal » qu’elle a mise en place, «elle bénéficie de nombreux soutiens matériels et fi nanciers de mécènes qui cherchent peut-être le retour de l’ascenseur », selon Monsieur Baba Tandian, (…). Toutes ces Premières dames ont quelques points communs. A un moment ou à un autre du ou des mandats de leurs présidentiels époux, elles ont arbitré des querelles politiques, en faisant prévaloir leurs préférences e/ou leur détestation. Seule leur façon de faire est différente. Et c’est là où se situe le nœud du problème. Pas élues, (les électeurs votent pour un candidat et non pour un couple), elles ont plongé (hormis Madame Senghor), avec leur fondation ou association dans des domaines sociaux qui ne sont en rien liés à leurs trajectoires personnelles, mais dont une dynamique a pris forme en les faisant passer de l’effacement à une visibilité accrue grâce à leurs actions humanitaires ou sociales, leur octroyant un rôle politique manifeste.
L’objectif de leurs fondations, leur mot d’ordre est d’identifier les groupes vulnérables, de diminuer les souffrances, de dérouler une politique compassionnelle, s’arrimant ainsi dans cette niche sociale d’un Etat en ruine et d’une privatisation de la redistribution sociale. C’est là que se sont affirmées et continuent de l’être, les activités les plus symboliques et les plus politiques. Le départ du pouvoir du Président battu s’accompagne généralement d’une vague de rejet de l’épouse, qui juste avant l’élection perdue avaient subjugué par leur charme, leur générosité, leur simplicité. Dérivé du « First Lady » américain, le terme Première dame devient l’équivalent qui qualifie l’épouse du candidat sorti vainqueur de cette élection présidentielle, Macky Sall. (…). Cette évolution a contribué à façonner les frontières des sphère publique et domestique que chevauche le pouvoir politique, au point où des voix se sont élevées pour qu’une fonction politique officielle leur soit attribuée. Mais officielle ou pas pourra-t-on un jour dissoudre les humeurs d’une première dame dans une solution constitutionnelle ? ».
Marième Faye Sall a toujours nié la place centrale qu’elle a occupée dans la gouvernance de son époux. Malgré ses déclarations, elle a pesé de plus en plus lourd et son rôle s’est élargi au fil du temps. « Si nous sommes ministres, Matar Ba et moi, nous le devons à Marième Faye » avait lâché Mbagnick Ndiaye, nouvellement promu au ministère de la Culture. Elle a intéressé, elle a intrigué, elle a choqué ou impressionné, boulet pour les uns, atout charme pour les autres. Quelques mois avant la présidentielle de 2024, sa fondation est officiellement dissoute. Le couple Sall, aujourd’hui installé au Maroc, a laissé la place à un tout nouveau président de la République du Sénégal, élu et… polygame. Mais je m’égare…
Découvertes gisements de gaz et de pétrole
En 2014 surviennent les premières découvertes en hydrocarbures dans le pays. D’abord le gisement de Sangomar, qui promettait des revenus à hauteur de 24 milliards USD ensuite ceux de GTA en partage avec la Mauritanie, dont les retombées étaient évaluées à environ 15 milliards USD. Puis survient le scandale Petrotim avec le sulfureux homme d’affaires Frank Timis. Quand bien même le fin mot de cette histoire n’est toujours pas connu, le gouvernement a rendu public tous les contrats sur le pétrole et le gaz conformément à l’adhésion du Sénégal à l’ITIE. Outre les sociétés américaines et britanniques, Total jadis prudent arrive en 2017. Le major français paraphe un contrat avec l’État et se voit octroyer le bloc Rufisque Offshore profond, soulevant une grosse polémique ayant abouti au limogeage ou à la démission de Thierno Alassane Sall. Entretemps le retard de la production s’accumule. Les premiers barils qui devaient être chargés en 2022 puis en 2023 devront attendre au plus tôt, le troisième trimestre 2024.
Rapports avec l’opposition
Il n’y a pas de succès politique sans l’échec des concurrents ou des adversaires et surtout de ceux qui avaient été des amis ou mieux des « frères ». D’anciennes pratiques sont reconduites : l’utilisation politique de la CREI, à la condamnation de Karim Wade et de celle de Khalifa Sall, la défenestration de Nafi Ngom Keita de l’OFNAC qui s’est rendue coupable de se plaindre de ne pas avoir été reçue pour transmettre les rapports de son organisation. Karim Wade sera la première tête de turc de Macky Sall, dans la « traque des biens mal acquis » conduite par la Crei en mars 2013. Il disposait d’un mois pour justifier sa fortune que l’Etat estimait à 600 milliards de F Cfa. Le délai arrivé, il est écroué et condamné après deux ans, en mars 2015 à 6 ans de prison et à une amende de plus de 135 milliards. Le procès fut une véritable traversée du miroir qui finit par coiffer un prévenu impopulaire d’une couronne de martyr et de prisonnier politique victime d’un acharnement judiciaire.
Libéré en catimini en juin 2016, suite à une grâce présidentielle (alors qu’il réclamait un nouveau procès), il s’envole, avec l’obligation de ne plus venir à Dakar, en compagnie du procureur général du Qatar, envoyé par l’Emir en direction de Doha. Ce qui présageait une situation politique invalidante de sa participation à l’élection présidentielle à venir. En mars 2016, un référendum constitutionnel est organisé, comportant 15 points dont la participation de candidats indépendants à tous les types d’élections, la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens, la restauration du quinquennat pour le mandat présidentiel, l’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale quatre points allaient s’avérer capitaux à veille de la présidentielle de 2014 : la soumission au Conseil constitutionnel des lois organiques pour contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation , l’augmentation du nombre des membres du même conseil, la désignation par le président de l’Assemblée nationale de deux de ses sept membres, l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel pour donner des avis et connaitre des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’appel,
L'intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine, la laïcité le caractère indivisible, démocratique et décentralisé de l'État, au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du Président de la République. Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar, appelle à voter massivement non. Quelques mois après, en 2017, il est accusé de détournement de ce qu’on a appelé « la caisse d’avance », pour une valeur de 1,8 milliard. Il est condamné à cinq ans de prison et incarcéré, après avoir été révoqué de sa fonction de maire. Auparavant, son immunité parlementaire a été levée.
En mode fast track, il devient ni électeur, ni éligible. Ces partisans et avocats ont très vite dénoncé cette décision contre l’un des principaux opposants de Macky Sall qui devait briguer un second mandat en 2019. Karim Wade et Khalifa Sall ont été les victimes d’opérations de moralisation de la vie politique sénégalaise qui dissimulait mal des sentiments moins nobles relevant davantage du règlement de compte.
Le deuxième mandat
A l’élection de 2019, Macky Sall en sort vainqueur dès le premier tour, devançant Idrissa Seck et Ousmane Sonko. Si Idrissa Seck a été étrangement muet après cette élection, Ousmane Sonko, n’a pas hésité à réserver ses critiques et railleries aux petits et grands cénacles, lapidant de lazzi Macky Sall en place publique, qu’il réduisait en dictateur et qu’il menaçait d’occire comme Samuel Doe. Ses contestations étaient permanentes et avaient trouvé écho parmi de grandes franges de la population, particulièrement chez les jeunes, toujours habile de prendre l'opinion à témoin, la ranger du côté de sa bonne foi apparente, de sa victimisation, sinon de son bon droit. Sa force, celle de son parti et de ses animateurs, a certainement résidé dans leur capacité à incarner une nouvelle figure de la politique qui replace, l’honnêteté, l’engagement, le patriotisme et la citoyenneté au cœur des récits et imaginaires d’une part importante de la jeunesse. S’il est sans doute encore trop tôt pour évaluer les effets profonds de ces manières de se dire et de se penser dans l’espace social elles semblent néanmoins renouveler, sans nécessairement les épuiser, les formes d’inscription de la jeunesse dans le champ politique et social depuis l’indépendance.
En janvier 2018, un massacre est perpétré dans la forêt de Bayotte en Casamance. Le gouvernement prend des décisions quant à l’exploitation (illicite) de bois. Le MFDC a été le premier suspect des médias et du gouvernement. Puis des soldats sénégalais ont été retenus en otage. Il n’en fallait pas plus, pour que Macky Sall, Chef suprême des Armées fasse bombarder les bases des rebelles et quand il déloge Yaya Jammeh, obligé de s’enfuir en Guinée équatoriale, cela tient plus du style de commando que d’une négociation diplomatique. L’épidémie de la Covid en février 2020 fait enregistrer une hécatombe sur le plan humain et met à nu, les fragilités système sanitaire et plus tard, au plan de la gestion des ressources financières qui avaient été affectées pour l’endiguer. Les restrictions qu’imposaient les risques sanitaires obligent les Sénégalais d’observer un couvre-feu, qui lui, un soir, n’a pas été respecté par Ousmane Sonko qui s’est vu accusé de viol par une jeune dame officiant dans le salon de beauté où il allait se faire masser pour calmer ses douleurs lombaires qu’il ressentait depuis sa tendre enfance. Un imbroglio s’ensuit. Tout le monde accuse tout le monde : viol, complot, subornation de témoins…
Sa convocation en mars 2021, au tribunal met le feu aux poudres. Ses partisans, convaincus que l’Etat de Macky Sall veut lui faire subir le même sort que celui de Karim Wade et de Khalifa Sall, parce que non formel investissent la rue et tentent de l’empêcher d’aller répondre au juge qui l’avait convoqué. La réplique des forces de l’ordre est ferme, la riposte l’est tout autant. Plus d’une soixantaine de morts que les deux camps font porter chacun à l’autre, des biens publics et privés pillés ou saccagés. Du côté de la présidence de la République, c’est le mutisme face au bilan de la violence. Macky Sall donne l’impression de compter sur la peur d’une situation chaotique et violente qui pourrait jouer dans l’essoufflement progressif des mobilisations. Il n’en a rien été.
En réaction, l’Etat prend des mesures drastiques contre un discours violent, et qualifie les manifestants et leurs chefs de terroristes, mus par des forces occultes. D’autant que les médias locaux et étrangers, les réseaux sociaux, contribuent à alimenter l’image d’un pays à feu et à sang. Les élections législatives organisées en janvier 2022, ont vu l’Assemblée nationale être configurée autrement que ce que les résultats des législatives avaient donné depuis l’indépendance : un presqu’équilibre entre le nombre de députés de la coalition de la majorité et celle de l’opposition.
A l’ouverture de cette 14ème législature, on assiste à une impression de déliquescence, un cirque dans lequel chaque acteur s’est efforcé d’enfoncer un clou de plus dans le cercueil de la démocratie. Il y a eu le spectacle offert par les nouveaux députés, les insultes, les suspensions de séances, la transformation des élus du peuple en acteurs tik tok, et une ceinture de gendarmes protégeant l’urne pour que le vote puisse se tenir. Cette opération se répètera plus tard. Le 1er juin 2023, le verdict tombe, du procès opposant Adji Sarr qui avait accusé Ousmane Sonko de viol : corruption de la jeunesse. Les manifestants réinvestissent la rue, la violence refait surface, des nervis sont utilisés de part et d’autre, les pillages reprennent. On compte des morts, dont les plus emblématiques sont deux filles brulées dans un véhicule de transport en commun.
En réaction, l’Etat emprisonne à tout va. Manifestants ou soupçonnés tels. Les prisons sont surchargées de « terroristes et d’indépendantistes », plusieurs cadres du Pastef emprisonnés ou affublés d’un bracelet électronique, Ousmane Sonko est condamné par contumace, et le Pastef dissout. Plus tard, il sera emprisonné dans le même temps son éligibilité et son droit d’électeur. Macky Sall, évasif ou muet sur son éventuelle candidature à un 3ème mandat, fait réagir l’opposition à qui on peut tout reprocher sauf de manquer d’imagination dans les choix de création de collectifs, et ce, jusqu’à la veille de l’élection et que Macky Sall, après avoir déclaré sa non-candidature le 3 juillet 2024, s’est mis en tête de se raviser et développe des stratégies spécieuses pour faire reprendre le processus électoral. Pendant trois ans, des coalitions de l’opposition se sont succédé, bâties par les mêmes hommes et femmes, et souvent avec le socle discursif. Nous avons eu droit à toutes les compositions politiciennes d’hommes et de femmes qui sensiblement ont des parcours et des partis divergents mais savent faire front au nom d’intérêts propres.
Le tout entretenant un combat entre deux hommes. Ousmane Sonko en prison, se résout à faire de Bassirou Diomaye Faye, le candidat de Pastef et de la coalition qui le soutient, après avoir porté son choix sur Habib Sy, dont la candidature avait été validée par le Conseil Constitutionnel, suite au parrainage des élus. Cheikh Tidiane Dièye lui, passé le tamis des parrainages, dont la candidature elle aussi a été validée par le Conseil constitutionnel, renonce à sa candidature. Habib Sy en a fait de même.
Décisions refusées par le Conseil Constitutionnel. Du côté de la coalition au pouvoir, « le choix de raison » porté sur Amadou Bâ, fit naître des contestations reposant sur le fait « qu’il n’avait pas une légitimité historique ». Les protestataires opèrent une intensification et une radicalisation contre ce choix, soutenus par Macky Sall aveuglé par une haine qui ne veut pas dire son nom, qui leur souffle à l’oreille, parfait connaisseur des méandres de la politique politicienne, dans une cacophonie favorable à toutes sortes de manœuvres, fait ouvrir les portes de la prison à ces centaines de manifestants « pro Pastef », et suite à ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui, le «Protocole du Cap Manuel », choisit d’amnistier Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye qui recouvrent la liberté. Comme Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, les deux mandats de Macky Sall ont été traversés par Farba Ngom, son griot, dont on dit qu’il avait le pouvoir de faire ou défaire des carrières.
Député et maire, il est nommé secrétaire national de l’Apr, chargé de l’organisation et de la mobilisation. Sa richesse, il la doit à son travail et aux transactions immobilières qu’il opère depuis plus de 20 ans, dit-il. Gent d’arme oral pour Macky Sall, il a été pendant tout le temps à ses côtés, un personnage clivant. La campagne électorale se tient en 10 jours au lieu des 21 prévus par la loi. Macky Sall organise un dialogue boudé par les candidats validés. Dans une saute d’humeur, il lance, « mon départ, du pouvoir, c’est le 2 avril. J’en ai assez ».
Au soir du 24 février, Bassirou Diomaye Faye gagne l’élection, au premier tour, avec 54% des suffrages exprimés. Aucun recours n’a été porté. C’est dans cette conjoncture qu’il faut lire le futur du Sénégal. On dit que le premier mandat d'un Président de la République lui permet d'imprimer sa marque, et que le deuxième contribue à préparer sa place dans l'Histoire. Le nouveau pouvoir est-il capable de bâtir de nouvelles formes d’interventions politiques et d’alliances pour promouvoir la rupture promise depuis 2000 ? D’autant plus que cette génération est la plus à même de trouver un langage qui lui est propre, pour enfin cesser d’être une héritière. Au passage, certains observateurs, analystes, de la scène politique, écrivent ou disent qu'il faut cent jours pour réussir. Mais que ces cent jours ne se situent pas à la fin mais au début d’un quinquennat.