MÊME PAS MAL
Quand Trump coupe les vivres de l'aide américaine, notre Premier ministre y voit une victoire du souverainisme. Sa recette de l'autonomie nationale ? Envoyer la main-d'œuvre sénégalaise en Espagne et au Qatar
Décidément, on n’a pas fini de s’ennuyer avec les porteurs du «Projet». D’abord, au chapitre du carnet rose, la bonne nouvelle que le Sénégal attend depuis soixante-cinq ans : enfin, le Palais présidentiel accueille un nourrisson dont les cris ramèneront un peu d’humanité derrière les tentures solennelles du pied-à-terre de l’Avenue Senghor.
Son actuel locataire, qui a désormais mieux à faire que de nettoyer les avenues repoussantes, vient de poser son balai en mettant fin à la campagne de propreté lancée dès le début de son mandat.
La République peut au moins se rassurer : les couacs au sommet de l’Etat sont repoussés aux calendes grecques… Le président de la République, dans sa suprême sagesse et un surcroît de reconnaissance éperdue envers son ex-mentor devenu son employé, aurait fait de la mère du Premier ministre la marraine de sa fille.
Sortez les mouchoirs…
Quant à ceux qui se féliciteraient d’avance d’une guéguerre sans merci entre les deux palais de la République, j’imagine d’ici leur déception… C’est dans ce genre de conflit sous les lambris de la République, que l’économie de la zizanie bat des records de prospérité.
Imaginez un peu, avec les «fonds politiques» des deux camps, les fortunes qui passent sous le nez des charlatans, intrigants, conseillers occultes et médiateurs en tous genres… Les missions grassement payées dans les recoins du pays, où la civilisation n’ose toujours pas s’aventurer et où règne la fruste superstition, les troupeaux de bêtes à cornes à immoler, les bassines de bouillie de mil, les tonneaux de lait caillé, les conteneurs de colas striées…
Rien que le budget de la bataille mystique pourrait forcer les Douanes et les Impôts à réviser à la hausse les objectifs pour 2025. On n’en arrivera pas à ces extrémités : une nouvelle naissance vient de sauver le pays.
Passons aux nouvelles qui fâchent : Farba Ngom, le tonitruant «griot de Macky Sall», est dans le viseur des nouveaux maîtres du pays. Il serait trop riche pour être honnête manifestement. On aurait pisté pas moins de cent vingt-cinq milliards de nos misérables Cfa qui auraient transité par chez lui. Problème : on ne sait pas encore d’où ça vient, ni où ça va, encore moins à quoi ça a servi. Mais les «indices concordants» suffisent largement pour lever son immunité parlementaire et le conduire à l’abattoir…
Il sera toujours temps, en cas d’erreur judiciaire, d’exprimer des regrets sincères, faire voter des amnisties et prêcher le pardon dans les cœurs musulmans.
Farba Ngom ne risque pas de s’ennuyer sur la paille humide de son cachot : Amadou Ba, l’ancien prof de Sonko, devenu par la suite ministre des Finances, des Affaires étrangères, Premier ministre et présidentiable, risque de l’y rejoindre incessamment, en compagnie de Birima Mangara, qui fut dans une autre vie, ministre du Budget.
Ce qu’on leur reproche ?
Apparemment, pour Amadou Ba, s’il n’a pas eu la mauvaise idée de coller des mauvaises notes à son ancien étudiant de l’Ena, le délit pourrait être constitué par une peau trop lisse et une silhouette un peu grassouillette dans un pays où majoritairement ça crève la dalle. C’est éminemment suspect…
On ne peut en dire autant de Birima Mangara, mais ça ne doit pas être loin de sa bonne mine qui afficherait un air trop rassasié pour être irréprochable.
En attendant que Sa Bonhomie Macky Sall, en villégiature prolongée au Maroc, auquel l’on tente de coller désespérément près de quatre-vingts homicides, ait la bonne idée de ramener sa frimousse épanouie pour prendre le pouls de l’électorat. C’est à la coupée de l’avion que des policiers harnachés le cueilleraient pour le conduire vers une destination inconnue.
Les icônes du régime sanguinaire précédent n’y retrouveront pas le sourcilleux Moustapha Diakhaté qui vient de purger sa peine et se remet aussitôt au taquet : moins d’une semaine après son élargissement, il est face à la presse pour remettre ça…
Tout ça ne ressuscitera pas l’ancien ministre des Finances, Amadou Moustapha Bâ, mort dans des circonstances que ses proches n’ont pas envie d’évoquer. Les chiffres «falsifiés» de notre économie, selon l’actuel Premier ministre, n’y seraient pas étrangers. Ben, ceux de l’Agence nationale des statistiques, s’ils étaient sortis plus tôt, auraient épargné à notre pays bien des émotions inutiles.
Le pire est que ça ne fait même plus mal.
De l’autre côté de l’Atlantique, c’est devenu «la loi à l’ouest du Pecos». Donald Trump, qui ne semble pas blaguer avec l’argent du contribuable américain, décide donc de suspendre l’aide au développement quelque temps. Il va prendre le temps de farfouiller dans la comptabilité de la négraille, tout comme dans leurs certificats de bonne vie et mœurs. Il annonce déjà la couleur à propos de nos voisins de l’Aes : il ne fréquente pas des «voyous» qui ont braqué des républiques comme on braquerait une banque dans le Far-West.
Grand bien lui fasse !
Notre «meilleur Premier ministre de tous les temps» qui prêche le souverainisme, applaudit pratiquement des deux mains à cette mesure qui confirme ce qu’il nous répète depuis dix ans : il ne faut compter que sur nos propres forces. La preuve, son gouvernement exporte les muscles locaux en Espagne et au Qatar…
C’est dans ce même esprit qu’il prend sur lui il y a quelque temps, de porter la réplique à Emmanuel Macron, le président français, sur la question du retrait des troupes françaises du Sénégal. C’est vrai, il empiète sur les domaines réservés du président de la République, la diplomatie et les questions militaires. Mais puisque le président est un taiseux qui ne sort que rarement de sa réserve, et que tout le monde prie pour que le gros calibre qui nous sert de chef de la diplomatie l’ouvre le moins possible, notre omniprésent Premier ministre prend sur lui pour aller au charbon. Son sens patriotique du sacrifice est touchant.
Et puis, comme le disent les 54 % des électeurs, «Diomaye môy Sonko»…