MOHAMED MBOUGAR SARR, L'ÉMANCIPATION PAR LA LITTÉRATURE
Mettre en avant le symbole, dans la victoire éclatante de l’auteur sénégalais, récompensé par le prix Goncourt, est réducteur. Car Mohamed Mbougar Sarr a justement su s’affranchir des tentatives d’assignation culturelle
Que le prix Goncourt crée des remous et amène certains commentateurs à brasser du fiel, c’est plutôt commun. Les frères Jules et Edmond de Goncourt, qui le baptisèrent, n’ont d’ailleurs pas toujours fait dans la dentelle. C’est l’une des identités de la plus haute distinction de la galaxie littéraire française que d’avoir ses mythes, ses rumeurs et autres mesquineries. On peut fort bien s’en accommoder, c’est de l’ordre du folklore. On peut même en sourire.
Clichés exotisants
Qu’en revanche Didier Decoin, l’actuel président de l’académie Goncourt, se fende dans une interview de déclarations équivoques sur « l’hermétisme » supposé de « certaines phrases, certaines tournures » de son tout nouveau lauréat, Mohamed Mbougar Sarr, cela surprend pour le moins. Peu avare de clichés exotisants, il poursuit dans la même veine quand il explique que les mots de l’auteur lui évoquent une « statuette fétichiste » et clôt ses comparaisons par des allusions malvenues sur une syntaxe littéraire « un peu africaine ».
Ces déclarations, qui accompagnent le couronnement du prodige sénégalais, n’ont pas manqué d’interpeller, voire de choquer, certains commentateurs ayant repris, bien entendu, le refrain de cette petite chanson désagréable.
Comme un air convenu, le politique tend ainsi à engloutir la littérature. C’est toujours la plus grande des injustices. D’autant que le livre primé, précisément, explore ce rapport entre littérature, symboles et politique. Et qu’il anticipe et dénonce magistralement ces tentatives d’assignation qui relèvent du maternalisme.
Mettre en avant le symbole, dans cette victoire éclatante, est, il faut bien le dire, tentant. Mais c’est surtout réducteur, voire à rebours du texte de Mohamed Mbougar Sarr. Dans une France marquée par des crispations identitaires, un Noir, jeune, étranger, de province, méconnu, un siècle après René Maran, récipiendaire du plus prestigieux prix automnal, ça vous pose un Goncourt particulier – et qui, de l’avis des gens du milieu, se cherche une nouvelle virginité ! De là à en faire le primat, à prospérer comme lecture première et unique, à écraser la valeur intrinsèque du texte, à ressusciter les pires stéréotypes de nature à singulariser et parquer les littératures du Sud, il y a un monde. Dans un moment aussi fondateur, ce serait un terrible aveu de la survivance de vieux schèmes.