OÙ VA L’ART AFRICAIN ? DÉFÉTICHISEZ LES RESTITUTIONS
Certes, l’Occident a un devoir de restitution. Mais là n’est pas la question. La question est : qu’avons-nous fait de la grande œuvre d’art là devant nous ? Je parle de ces vies qui meurent au quotidien
Quiconque parle aujourd’hui d’objets d’art africain s’entend dire : « Restituez notre patrimoine volé ! » Tel est le mot d’ordre. Mais que signifie cette injonction ? Qui parle ? À qui s’adresse-t-il ? Par ‘restitution’, l’on entend le retour des objets d’art africain. Ce retour est compris comme une renaissance : l’Afrique doit redevenir son propre centre ; et cela commence par le rapatriement de ses objets ‘volés’ durant la colonisation. Le destinataire du message c’est l’Occident. Celui-ci aurait, dans ses musées publics ou privés, des millions d’objets africains, dont il serait le propriétaire illégitime. Mais il n’y a pas que cela. Au-delà des objets, c’est l’âme de tout un continent qui serait prisonnière de l’Occident. Plus que de vulgaires artéfacts, c’est le principe même de l’existence d’un peuple qui serait captif. Restituer, dans ce contexte, signifierait réanimer les Africains !
Vous l’aurez compris, ce que l’on peut désormais appeler « la palabre des objets d’art africains » n’est pas une mince affaire. C’est la survie de l’Afrique qui serait en jeu. Arrêtons-nous sur cette conclusion. Oublions, pour l’instant, l’Occident. Oublions ses mensonges à répétition, sa mauvaise foi, son irresponsabilité face à ses défaites d’hier. Revenons vers nous-mêmes, et posons-nous la question : à supposer que nous avions une âme, l’avons-nous perdu ? Et si oui, aurait-elle été volée par l’Occident ? Serait-elle partie nuitamment dans ses bagages, dans ces morceaux de bois, ces amulettes, ces étoffes ? Que signifient ces objets, et comment comprendre l’injonction en vogue à nous les rendre ? De quoi s’agit-il dans cette affaire ?
Certains disent que l’âme d’un peuple se trouve dans son art et sa culture. Mais non ! L’âme d’un peuple, si elle existe, est dans la sueur de son front, dans l’air qu’il respire et les actes simples qu’il pose au quotidien, mais qui façonnent l’Histoire. L’âme ne vit pas dans des bois morts, mais dans des rencontres, quand on se met au travail, quand on s’accueille et se respecte, quand on reconnaît la valeur de chaque vie et de chaque intelligence par-delà les querelles identitaires. Telle est l’âme véritable, qui exige d’abord d’être restituée, sans quoi ni l’art ni la culture n’ont de sens. Qu’est-ce que l’art ou la culture, si ce n’est l’humain lui-même, ce vivant qui respire, se lève chaque matin, affronte l’épreuve du jour, et bâtit avec ses semblables, à partir des bribes de l’existence, un monde habitable ?
Certes, l’Occident a un devoir de restitution. Mais là n’est pas la question. La question est : qu’avons-nous fait de la grande œuvre d’art là devant nous ? Je parle de ces vies qui meurent au quotidien, celles qui gisent dans nos prisons, à qui l’on confisque la parole, que l’on expose chaque jour, ici et là, au mépris absolu et à l’abandon. La vie n’est-elle pas l’âme immortelle de tout art et de toute culture ? N’allons donc pas dire aux Africains : « votre âme se trouve ailleurs, dans un musée en Europe ! » Soignons d’abord ces vies qui trépassent sous nos yeux. Tel est, il me semble, le commencement et la fin de toute restitution.