PLAIDOYER POUR UN NOUVEL ORDRE DE L’INFORMATION ET DE LA PRESSE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le débat en cours dépasse la seule question des arriérés d'impôts. Il interroge la pérennité d'un modèle de presse fragilisé et appelle à une refonte des rapports entre médias et personnel publique
38 milliards, c’est la somme que les services de la Direction Générale des Impôts et Domaine (DGID) réclament aux entreprises de presse en arriérés : 13 milliards pour dette fiscale et 25 milliards pour redevances dues à l’Agence de Régulation des Télécommunications et de la Poste (ARTP). Une trentaine d’entreprises de presse serait concernée.
Pour récupérer cette somme due, la DGID a procédé au blocage des comptes des entreprises débitrices. Alerté, le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (Cdeps), demande par la voix de son président M. Mamadou Ibra kane « un arrangement » pour permettre « la main levée sur les comptes bancaires des entreprises de presse… »
Un « arrangement » entre les entreprises de presse et le fisc est recevable car prévu par le Code des impôts et conforme à la pratique habituelle des services de recouvrement de l’impôt.
Il est prévu que ces derniers puissent convenir avec l’entreprise interpellée de modalités de paiement d’arriérés d’impôt selon un échéancier de paiement soutenable, sur la base de ses états financiers.
L’article 706 du Code général des Impôts (CGI), indique en effet que « le contribuable, en situation économique ou financière difficile, qui reconnaît le bien-fondé d’une imposition établie à son nom, peut introduire une demande de remise ou de modération de sa dette fiscale ».
Il suffit aux entreprises de presse concernées d’introduire auprès du ministère des Finances sous le couvert de la DGID, une demande de remise ou de modération de la dette fiscale et de main levée sur leurs comptes.
Mais ce n’est pas la première fois que les entreprises de presse sont interpellées par le fisc pour arriérés d’impôts et taxes. C’est arrivé sous le régime du président Abdoulaye Wade puis de M. Macky Sall.
Une solution pérenne est donc requise.
C’est d’ailleurs le plaidoyer que le président Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (Cdeps), porte : « Nous ne refusons pas de payer, et nous payons nos impôts. Par contre, ce que nous demandons, c’est que compte tenu de la spécificité du secteur, qu’il y ait une fiscalité adaptée comme en France et ici au Sénégal dans les secteurs de l’agriculture, du logement social, de la santé. »
De la viabilité de l’entreprise de presse au Sénégal
On devrait en effet considérer la récurrente crise fiscale et adresser la question de la viabilité de l’entreprise de presse au Sénégal. Que le législateur revoie les dispositions du Code de l’impôt relatives à l’entreprise de presse pour introduire une déduction spéciale de l’impôt comme on l’a fait récemment en France.
Dans le même temps, on devrait réviser la loi sur la publicité de 1983 (Loi N° 83.20 du 28 janvier 1983) afin de promouvoir et développer le secteur de la publicité, seul susceptible de financer les médias et d’assurer leur viabilité économique à long terme.
De même, une révision en profondeur du Fonds d’Appui à la Presse s’impose aussi bien dans sa gestion que dans son utilisation.
Il devrait être géré désormais pour plus de transparence, non plus par le ministère de l’Information et de la communication, mais par le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA).
Il devrait être affectée pour partie à des appuis indirects, formations spéciales et frais de séjour de couverture d’événements mondiaux incontournables par exemple notamment et pour partie comme caution auprès de la Banque Nationale de Développement pour le financement des projets d’équipement des entreprises.
Liquider le conflit politique récurrent entre l’Exécutif et les médias
Mais voici qu’en marge du contentieux sur les dettes fiscales, la presse, tout au moins une partie significative de celle-ci, s’attaque au nouveau régime, en ciblant particulièrement le Premier ministre Ousmane Sonko.
Une information fabriquée de toute pièce est reprise selon laquelle il est le seul responsable de l’affectation d’un officier supérieur de l’armée, sans aucun respect des procédures et protocoles habituels, juste pour régler un compte personnel.
Ses propos sur l’homosexualité sont relevés et mis en exergue pour indiquer que sa position sur la question a changée, histoire de semer le trouble au sein de ses soutiens qui y sont particulièrement sensibles.
Il réagit avec colère et défiance : on crie haro sur l’intolérant, sur l’islamiste menaçant les bonnes mœurs démocratiques.
Apparemment, cette presse prend en charge le combat politique contre le régime du Pastef de l’opposition politique, pour faciliter la remise sur pied de celle-ci. A moins qu’elle ne cherche à provoquer littéralement le gouvernement Diomaye Faye /Ousmane Sonko, pour l’accuser ensuite d’atteinte à la liberté d’expression voire aux droits de l’homme.
Rêve-t-on plutôt de rétablir le « deal » qu’on avait avec le président Macky Sall qui avait coopté nombre de patrons de presse et crée de toutes pièces une presse « marron beige » au service de ses combats ?
Ce n’est évidemment ni de la mission ni de l’intérêt de la presse de prendre en charge le combat politique de l’opposition ou de se mettre au service du gouvernement. Elle devrait plutôt considérer que les entreprises de presse sont pour la plupart exsangues économiquement et que les journalistes en sont les premières victimes.
Elle devrait se préoccuper des voies et moyens pour remplir sa mission première : produire et diffuser quotidiennement l’information nécessaire au fonctionnement de la société et de la démocratie. Aussi est-il urgent d’établir des « rapports normaux » entre l’administration politique et la presse.
Pour un nouvel ordre de l’information et de la communication
Que les patrons de presse, car ce ne sont pas les journalistes qui sont en cause ici, considèrent qu’ils n’ont pas affaire ici à un quelconque Comité de transition monté par des colonels en rupture de ban, mais à un régime dont le président a été élu au premier tour d’une élection on ne peut plus démocratique. Que ceux d’entre eux qui ont partie liée avec l’ancien régime, soient inquiets à l’idée de devoir rendre compte et rendre gorge, cela se comprend.
Appelons-les pourtant à s’imposer ce « minimum de discrétion » (concernant par exemple les informations du secret défense), ce « minimum de sérieux » (pour ne pas publier des informations mensongères en connaissance de cause ou par défaut de vérification) et ce « sens des responsabilités » auquel appelait ce spécialiste de droit public français[1].
Appelons l’administration du président Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko à considérer que l’information est un bien commun fondamental qu’il faut sauvegarder vaille que vaille.
Oui, l’information est un bien commun dans le sens de la déclaration de l’UNESCO : elle contribue à la formation du citoyen et à son expression, à la dissémination du savoir, à l’expression de la culture, au bon fonctionnement des institutions et au renforcement de la démocratie.
Que l’administration du président Diomaye Faye se convainque que la presse dans sa majorité travaille effectivement à produire et à diffuser ce bien commun qu’est l’information qui est indispensable non pas seulement au succès du « Projet », mais à l’avènement de la nouvelle société à laquelle les Sénégalais aspirent.
Qu’elle se convainque que le droit des Sénégalais à une information plurielle et sans filtre, corollaire de la liberté de la presse, est indispensable à l’atteinte des objectifs de souveraineté nationale et d’émancipation sociale.
C’est pourquoi il revient à l’administration du président Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko de proposer à la presse et de mettre en œuvre un nouvel ordre de l’information et de la presse au Sénégal.
Ce nouvel ordre devra imposer les règles élémentaires qui régissent toutes les entreprises de presse partout à travers le monde : le respect de l’éthique professionnelle, la transparence concernant aussi bien les bailleurs et propriétaires, que la ligne éditoriale, les tirages et les parts d’audience.
Le respect aussi de la convention collective des journalistes et techniciens. Le paiement régulier des impôts et taxes. Ainsi que les cotisations sociales des employés.
Le nouvel ordre auquel nous appelons ici a pour objet de mettre en place un partenariat entre les entreprises de presse, l’administration publique, les organisations de la société civile spécialisées et les organisations professionnelles (notamment le Conseil pour l’Observation des Règles d’Ethique et de Déontologie dans les médias au Sénégal (CORED) pour le bien de la corporation toute entière. Et pour le renforcement de la démocratie.
[1] Jean Rivéro, (1910-2001)