POUR QUE LE PROJET NE DÉVORE PAS SES ENFANTS
Aujourd'hui, Ousmane Sonko est à marée haute. Il doit prendre le flot tant qu'il est favorable ou tout ce qu'il a risqué sera perdu. Avec le temps tout coule, tout s'écoule, même la popularité politique d'un leader comme lui
D'après la mythologie grecque, Cronos (assimilé à Saturne) a été averti que l'un de ses propres enfants le détrônerait de la même façon qu'il avait, lui-même, détrôné et tué son père. Ainsi, il les avalait un par un, au fur et à mesure qu'ils naissaient. Partant de cette mythologie, le révolutionnaire français Pierre Vergniaud soutient : «La révolution est comme Saturne : elle dévore ses enfants». La jeunesse sénégalaise a montré ces dernières années son audace, son courage, sa témérité et sa résilience face aux brimades d'un «système» qui déclinait. Maintenant qu'elle a obtenu gain de cause après la victoire éclatante au premier tour de la coalition «Diomaye Président», à l'issue d'un scrutin qui restera sans aucun doute dans les annales de la vie politique du Sénégal, cette jeunesse devra faire sa mue. Véhicule indispensable pour le développement du pays, le Sénégal a besoin de la voir franchir un autre palier pour mettre à contribution son génie, son savoirfaire, son patriotisme efficace et efficient. Sa lucidité. Pour cela, elle a besoin d'entendre un discours, tout sauf complaisant mais qui va l'aider à se faire violence. Il faut même aller plus loin, d'après le poète Amadou Lamine Sall : cette jeunesse d'aujourd'hui, il faut l'affronter car elle est l'avenir de ce pays. La question est : qui pour le faire ? La réponse sonne aujourd'hui comme une évidence : Ousmane Sonko.
Sa popularité et sa légitimité politique au sein de cette jeunesse sont incontestables. Il est adulé et écouté par cette frange de la population. C'est le guide suprême. Toutefois, loin d'être pour lui une sinécure, cette célébrité est, ou doit être un sacerdoce pour l'actuel Premier ministre du Sénégal.
De ce fait, il doit profiter de la « grâce» de cette jeunesse pendue à ses lèvres mais colérique, impatient et parfois même lunatique, pour transformer ce « Grand amour» en force de changement des paradigmes économiques. Sonko doit oser «affronter cette jeunesse», lui dire la vérité malgré sa relation fusionnelle et idyllique avec elle. Ousmane Sonko doit dire sans langue de bois à cette jeunesse que les goulots qui étranglent l'émergence du Sénégal ne sont pas les étrangers comme on l'entend de plus en plus dans certains discours dangereux voire haineux de pseudos nationalistes, mais dans l'utilisation insuffisante et inefficace de la jeunesse. Le Sénégal n'a pas besoin de racisme et de repli identitaire, mais a besoin de «réquisitionner» cette force juvénile pour faire des bonds en avant. Et la survie du Projet est à ce prix-là. Et Ousmane Sonko doit soutenir, encourager et vulgariser cette grande querelle, la seule qui vaille.
Il y a une marée dans les affaires des hommes, nous dit Shakespeare. Prise dans son flux, elle porte au succès. Mais si l'on manque sa chance, le grand voyage de la vie s'échoue misérablement sur le sable. Aujourd'hui, Ousmane Sonko est à marée haute. Il doit prendre le flot tant qu'il est favorable ou tout ce qu'il a risqué sera perdu. Avec le temps tout coule, tout s'écoule, même la popularité politique d'un leader comme lui.