QUAND LE FOOT ET LES RÉSEAUX SOCIAUX CACHENT UNE XÉNOPHOBIE RAMPANTE
La popularisation de la parole xénophobe qui indexe le Peul Fouta ou l’autre comme responsable de son malheur, ce mépris des Peuls Fouta ou « Ndring » relèvent d’une mécanique d’extrême droitisation de la société sénégalaise
Elle est loin l’époque où les tribunes débordaient d’une saine rivalité lors des matches entre les Lions et le Syli national de Guinée. Loin, cette ère, quelque peu bon enfant, où même un derby entre le grand Hafia Football Club de Conakry et le Jaraaf de Dakar, quoique transpirant les petites querelles idéologiques entre Senghor et Sékou Touré, était avant tout une fête fraternelle du football ouest-africain.
C’est vrai qu’entre temps, il y a les réseaux sociaux, son côté trivial et bestial, l’amplification digitale de la rivalité et le fait que des imbéciles, qui n’osaient pas s’exprimer en public, ont désormais une liberté totale et des moyens de communication à leur disposition, véhiculant le mépris voire la haine entre les supporters des deux pays frères.
La défaite inattendue du Sénégal face à la Côte d’Ivoire en 8èmes de finale de la CAN 2023 a déclenché une série de réactions exacerbées de la part des Camerounais, de Congolais et du voisin guinéen. Comme du reste l’ont fait les aficionados sénégalais lors des victoires de la bande à Sadio Mané contre le Syli et les Lions indomptables. Mais apparemment pour certains Dakarois, des Guinéens sont « ingrats » de chambrer les Sénégalais, ce peuple de la « Téranga » accueillant des « millions de Guinéens ».
Parmi les perles avancées sur les réseaux sociaux, certains reprochent aux Guinéens d’avoir « jubilé (sic) lors de la défaite du Sénégal contre la Côte d’Ivoire ». « Ce sont des choses qu’aucun étranger n’ose faire nulle part dans le monde », s’est avancé un éclairé du web.
« Les Guinéens raflent maintenant tout ce qu’il y a des terrains ou de maisons à vendre en banlieue dakaroise. Dans moins de dix ans, ils constitueront un tiers de la population du Sénégal », note également ce « démographe » des quartiers, insistant sur cette future « bombe démographique ».
Pétition pour exiger une carte de séjour aux Guinéens au Sénégal
« Nous n’avons rien en commun avec la Guinée et sincèrement je ne veux rien avoir en commun avec ces gens-là », fait remarquer un autre inculte à la critique facile. D’autres iront même plus loin en prônant le boycott du Guinéen, avec comme « première étape, d’arrêter d’acheter dans les boutiques de ces minables ». Ce sont-là certains des sortilèges lus sur Seneweb.
Cette phraséologie de tous les excès reproduit finalement un discours du désordre, une version tropicalisée de la soi-disant théorie du « grand remplacement », avec une population « sénégalaise » de souche menacée par les Peuls originaires de la Guinée Conakry. « Faites un tour dans les hôpitaux notamment à Abass Ndao, vous verrez que 95% des accouchements, ce sont des Guinéennes », fait remarquer ce « Zemmour » de la Gueule Tapée qui se fait courageusement appeler « Boy Dakar » sur les réseaux sociaux.
Et dans ce combat pour véhiculer cette idéologie si chère à Renaud Camus, certains illuminés du web, de sinistres personnages et « influenceurs du dimanche » en réalité, ont ainsi lancé une pétition pour le vote d’une loi dont l’objectif hautement salvateur est d’exiger la carte de séjour aux seuls Guinéens. Au mépris des textes de la CEDEAO.
Cette pétition d’une abjection sans nom est le dernier acte d’une xénophobie rampante au pays de Senghor. Le Peul-Fouta bashing ne cesse de prospérer ces dernières années, de fleurir comme une mauvaise herbe domestiquée par ces nouveaux chantres du chaos, héritiers de cette inculture tout en paille et en flammes notée lors des tragiques événements sénégalo-mauritaniens de 1989. Et parfois à des niveaux insoupçonnés.
De plus en plus, la parole xénophobe se libère et même, parfois, se banalise sur certaines plateformes et réseaux sociaux. Les sites d’info et les réseaux sociaux sont finalement devenus un défouloir pour l’intolérance et la haine.
La tactique nauséeuse ou quand le Premier ministre est désigné Amadou Oury Ba
Une situation qui n’épargne même pas de hauts fonctionnaires et certains responsables de l’opposition, qui ne cessent d’appeler le candidat du pouvoir, Amadou Oury Ba ou Amadou Diouldé Ba. L’allusion est claire et la tactique nauséeuse. Dangereuse. Certaines franges « patriotes » ou « nationalistes » profitent d’ailleurs de cette séquence sportive ivoirienne pour tenter de diaboliser le Premier ministre. Comme le dit si bien un ami et frère sénégalo-guinéen, le match de foot et les incidents rapportés sont juste des prétextes qui exacerbent une intolérance à peine enfouie.
Par ailleurs, c’est comme si l’odeur du pétrole et du gaz récemment suscite un espoir de prospérité démesuré chez certains compatriotes qui pensent que les Peuls Fouta vont les envahir davantage si un autre peul prend le pouvoir.
En fait, l’habitude fait tomber dans une triste banalité cette xénophobie rampante. Au point de ne choquer personne. Surtout dans une société dans laquelle l’art de l’esquive fait recette.
A ce sujet, j’ai été choqué par le silence de justes quand un ancien parlementaire s’est avancé, un dimanche 31 mai 2021, dans un délire verbal qui justifie son ignorance derrière des airs savants. « Prenez aussi l’exemple des Guinéens, leur reviennent les petites boutiques de quartier alors qu’ils n’habitent pas ici. Au moindre accroc, ils vont rentrer chez eux », avait-il ânonné. En toute impunité.
Alors comment s’étonner de voir le nombre exponentiel de « likes » chez « Tons TikTok » ou de reprises lors de passages nauséabonds de l’infect Tahirou Sarr dans certains médias en ligne.
L’art de l’esquive
Au rythme où cette « bêtise humaine » gagne en viralité, l’urgence réclame ne plus brider notre capacité d’indignation, de s’ériger en toute responsabilité et en toute intelligence face à cette ignominie galopante dont les conséquences pourraient se révéler désastreuses. Car au lieu d’esquiver, rien de plus indispensable que de démasquer la xénophobie dans toutes ses formes. La tâche est d’autant moins aisée que, de nos jours et dans nos pays africains, personne n’ose s’afficher ouvertement xénophobe.
Dès lors, ce chancre ne défigure clairement aucun visage et, à la moindre trace du mal, des alibis innombrables sont à la disposition de chacun. Or, sous la surface polie et les convenances, nos sociétés de Saint Louis au Cap Skirring, et de Bakel à Dakar ne manquent pas de se multiplier les signes et les gestes de l’exclusion, ou d’entretenir préjugés d’où peut s’épanouir la tige vénéneuse de cette xénophobie anti peule.
La popularisation de la parole xénophobe qui indexe le Peul Fouta ou l’autre comme responsable de son malheur, la critique avec comme moteur la citoyenneté, ce mépris des Peuls Fouta ou « Ndring », comme certains les appellent parfois avec dédain, relèvent forcément d’une mécanique d’extrême droitisation de la société sénégalaise. S’en prendre aux Peuls Fouta, c’est oublier la sénégalité de millions d’entre eux sur des « supposés critères parfaitement aléatoires ». Ce qui constitue un grand danger pour l’unité nationale.
Plus largement, ces propos nauséabonds distillés ici et là sont finalement le fruit « d’une modernité qui nie notre culture et son histoire ». Tout simplement, et oubliant au passage que la « Téranga » est le socle de la nation sénégalaise.
Pour les Sénégalais d’origine guinéenne, ainsi que tous les sénégalais épris de paix, c’est un devoir de lutter contre ces discours haineux, qui constituent une menace sérieuse pour la paix et la cohésion sociale que nous chérissons tant. Car le pays de Senghor et Cheikh Anta Diop mérite un vivre-ensemble harmonieux et heureux, où la diversité s’exprimerait dans une belle intelligence sociale. Et sportive.
Zak Alfa Diallo est Journaliste, Suisse romande.