SÉPARATION DES POUVOIRS OU SÉPARATION À L’AMIABLE
La déclaration de politique générale risque d’être reportée aux calendes grecques. Se présenter devant 165 députés dont 24 seulement vous sont totalement favorables serait un acte de folie.
La déclaration de politique générale risque d’être reportée aux calendes grecques. Se présenter devant 165 députés dont 24 seulement vous sont totalement favorables serait un acte de folie. Il faut attendre de disposer de son assemblée, de préférence une chambre d’enregistrement pour aller décliner sa feuille de route. Personnalité atypique n’ayant de compte à rendre qu’au peuple selon ses dires, les députés n’étant plus que les représentants des partis et coalitions, le chef du gouvernement n’a aucun intérêt à franchir le Rubicon ni à se jeter dans la gueule du loup. Il est vrai que la tradition républicaine bien établie serait interrompue encore que son prédécesseur n’a jamais fait de déclaration de politique générale et le débat démocratique étouffé dans l’œuf, mais la configuration baroque de l’hémicycle est un vrai casse-tête. Ainsi, de cette petite brèche ouverte sur le règlement intérieur qui aurait été déréglé suite à la suppression du poste de Premier ministre en 2019, on s’engouffre allégrement sans gêne et sans peur du qu’en-dira-t-on. Sans prendre non plus en compte la Constitution, la mère des règlements qui intime l’ordre de se présenter devant les honorables députés en son article 55. Il n’y a donc pas mille manières de qualifier la contorsion. Il s’agirait bien d’une dérobade. Quand on n’est pas prêt, on n’est pas prêt.
Les calculs passent avant les scrupules. Mais ne perdons pas de vue aussi qu’entre-temps, l’élection du 24 mars transformée en référendum a quelque peu rendu obsolète et caduque cette législature. Elle n’a plus beaucoup de sens. Avant une probable et incontournable dissolution, la sagesse voudrait que l’Assemblée se bornât à voter les budgets. Même le contrôle par ses soins de l’exécutif devient problématique. La séparation des pouvoirs rappelle la possibilité d’une séparation à l’amiable. En un mot comme en cent, tout observateur aura compris que la rupture dans les pratiques est encore une chimère. Par contre, la continuité avec la politique n’est pas un rêve mais une réalité dans le sens de realpolitik, cette chose étrange qui met en compétition l’habileté et le cynisme.
Payer moins ou manger mieux
On ne sait pas trop s’il s’est montré habile ou s’il s’est précipité mais le gouvernement a opéré quelques baisses sur des denrées alimentaires ainsi que le ciment. Il faut manger pour vivre et avoir un toit au-dessus de la tête pour une vie digne. On ne dira pas que l’effort est mince ou qu’il s’agit d’une bagatelle quand on a soi-même la possibilité de s’offrir quotidiennement de la viennoiserie en plus des baguettes. Il faut considérer l’initiative gouvernementale comme une attention et une compassion pour les couches vulnérables au seuil de l’extrême pauvreté. C’est être pétri de bienveillance que de voir le verre à moitié plein. Justement, dans cette volonté de casser les prix, le pain a fait paniquer les acteurs. Il est clair que les meuniers ne se sont pas livrés à des menées subversives mais ils ont fauté en se méprisant sur la charge presque affective de ce produit prisé des Sénégalais. Il faut en disposer matin et soir pour éviter le bazar. Toute idée de privation est impopulaire et inacceptable pour quelque pouvoir que ce soit. Même dans son pays de provenance, ce résidu de la colonisation est un objet de vénération. Quand Étienne Lantier criait «du pain du pain, ce serait beau si on en avait tous les jours», la baguette n’était pas encore entrée dans les mœurs sénégalaises. La Rome impériale en avait compris l’importance avec ce slogan opportuniste «du pain et des jeux» pour s’épargner toute sédition. Les entreprises locales de minoterie ne doivent pas être jetées en pâture. La politique de l’offre qui est un précepte chez les affairistes est un fait économique. «Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain», avait prédit un Chancelier Allemand. Sa formule n’a pris aucune ride. Les capitaines d’industrie n’ont pas plus de rides au cœur que les autres mais doivent savoir que les profits n’ont de sens sans philanthropie. Humanistes ou pas, ils ont grand mérite et doivent être respectés pour leur goût du risque. Ils doivent d’ailleurs être nos préférés parce qu’ils luttent contre le chômage endémique. Le rôle de l’État est de rappeler à l’ordre mais aussi d’éviter le copié-collé en ayant des plans choc pour que le consommateur paie peut-être moins et mange mieux surtout. La sécurité sanitaire des aliments est le meilleur moyen de lutter contre la maladie et les coûts faramineux pour se soigner. D’habitude, on fait des alternances pour voir de la grande politique mais on est vite déçu par un même et perpétuel concours de banalités.