«NOUS NE SOMMES PAS DES POLITICIENS…»
Palabres avec… Pape Amadou Fall du groupe Pape et Cheikh
Pape et Cheikh sont des artistes reconnus au Sénégal. Ils ont la particularité d’avoir toujours fait parler d’eux au moment des élections. Nous avons rencontré le lead vocal et autre membre du duo Pape Amadou Fall pour parler des sujets brulants de l’heure et de leurs projets.
Pape, pouvez- vous nous parler de la dernière actualité de votre groupe ?
Nous avons tenu à animer une grande soirée dédiée à nos fans au soir du 24 décembre dernier. Une manière de leur manifester toute notre gratitude en leur souhaitant de passer une bonne fête de Noël en notre compagnie. Sinon, comme d’habitude, en cette veille de fin d’année, nous sommes très chargés et nous nous produisons presque tous les soirs.
Pourquoi avez-vous choisi de rendre cet hommage à vos fans, cette année précisément ?
Je pense que c’est tout à fait naturel. Cela fait partie de nos habitudes. Nous cultivons la proximité avec notre public. Nous ne sommes pas dans ces histoires de Fans clubs. Nous partageons vraiment tout avec ces personnes que nous considérons comme des amis car ils ont toujours été fidèles à Pape et Cheikh. Nous partageons toujours d’intenses moments de communion et cela dure depuis nos débuts. C’est vraiment pour magnifier cette solide relation quasi familiale que nous avons décidé de leur dédier une date symbolique dans l’année. Ça pourrait être un autre mois que celui de décembre, mais pour cette année, cela s’est produit avec ce jour plein de symboles. C’est vraiment une manière de leur rendre un vibrant hommage. « Danioulen di Sargal. » Pour nous, notre public est la vraie star et il doit être fêté à tous les instants. C’est vraiment grâce à eux que nous en sommes là. Il y a aussi la sortie d’un maxi de trois titres… En réalité, il s‘agit de trois titres que nous avons vraiment l’habitude de partager avec notre public. Durant tout le processus de création, jusqu’à sa sortie sous forme de CD, nous avons presque tout partagé avec nos inconditionnels. A l’heure actuelle, nous sommes en train de plancher sur la mise en clip d’un des trois titres. Avec le temps, nous avons remarqué que les gens continuent de nous suivre et qu’ils nous écoutent toujours. Il est évident que de nos jours, les albums ne se vendent plus mais nous avons juste tenu à marquer notre présence et à faire plaisir à nos nombreux amis. Pour cette sortie il n’est pas du tout question de revendre des CD, nous avons plutôt décidé de presser des centaines d’exemplaires pour les offrir gracieusement à notre charmant public. C’est pour cette principale raison que nous avons décidé de le sortir en cette période de fin d’année propice à offrir des cadeaux. «Le charme de la création et tout le mystère qui entourait la musique s’est rompu avec l’avènement des NTIC» La musique Folk avait réussi à s’imposer au Sénégal de par la qualité des textes et de la musique. Mais force est de reconnaitre qu’elle a perdu du terrain.
Comment l’expliquez- vous ?
Effectivement ! Mais force également est de reconnaitre que c’est la musique sénégalaise dans sa totalité qui traverse une période de turbulences. Naguère, à l’occasion des sorties officielles de cassettes, c’était la grande ruée et la bousculade à Sandaga. Après cela, il y a eu la période moins faste des CD. Par la suite, il y a eu les téléchargements. Et depuis, c’est une morosité ambiante car nos œuvres sont partagées partout à travers le monde avant même leur sortie. Il y a aussi le fait qu’il n’existe plus de frontières ou de barrières dans la musique. Il y a des artistes qui sont au bout du monde. Ils m’envoient des instrumentaux et je chante dessus sans pour autant les voir ou les connaitre. C’est un monde où la vitesse prime sur tout. Forcément, cela rejaillit négativement sur la musique. Le charme de la création et tout le mystère qui l’entourait se sont justement rompus avec l’avènement des NTIC. Le monde a évolué rapidement et il faut essayer de suivre la mouvance pour ne pas se laisser larguer. Actuellement, sortir des albums équivaut quelque part à continuer à enrichir les pirates qui en sont les seuls bénéficiaires. Malheureusement, malgré tout le tintamarre, nous sommes tous impuissants devant l’impunité des pirates. La seule alternative qui nous reste consiste à continuer à nous produire régulièrement et à fidéliser notre public. Après plus de 20 ans de présence sur la scène musicale, on ne vous a jamais vu fêter cela.
A quand un grand événement pour commémorer cette longévité ?
Là, je dois dire que cette question vient de me donner une idée. Je crois que cela fait exactement 22 ans que le groupe est sur la sellette. Comme je disais tantôt, nous sommes très proches de notre public et de nos amis. C’est pour cela que nous avons entamé des discussions avec certains de nos amis comme le journaliste Alassane Samba Diop qui nous ont conseillé de participer à la production d’un film documentaire sur la marche du groupe. En plus de deux décennies de pratique, nous avons quand même un petit vécu qui peut être porté à la connaissance de tous nos amis.
A ce propos, ou en êtes-vous avec l’organisation du Festival de Folk ?
Il faut savoir s’adapter et suivre la marche du temps. Après avoir lancé ce bébé, nous avons été obligés d’observer une pause. Il faut faire un bilan et essayer de repartir sur de nouvelles bases car le contexte a changé. Cependant nous sommes toujours dans les dispositions à organiser ce festival qui avait connu un immense succès. Il faut également convenir que la demande existe toujours. «Si on nous paye convenablement, nous sommes disposés à travailler pour n‘importe quel postulant à la présidentielle»
Votre destin est intimement lié aux élections. De « Yataal Geew » en 2000 à « Gorgui Doliniou » en 2007, vous avez toujours été au cœur des élections. A l’approche de la présidentielle, quel appel lancez-vous aux populations ?
Comme d’habitude, nous ne pouvons pas nous empêcher de lancer un appel. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons décidé de sortir à nouveau le titre « Yateul Geew ». Nous sommes arrivés à un stade où nous n’avons pas le droit de ne pas dire notre avis. Cependant, il faut savoir que nous sommes conscients, qu’en tant que porteurs de voix qui sont vraiment écoutés, il faut savoir faire la part des choses et ne pas dire n’importe quoi. Cela n’enlève en rien au fait que nous soyons des professionnels. A ce propos, je voudrais être assez clair. Si on nous paye convenablement, nous sommes disposés à travailler pour n‘importe quel postulant à la présidentielle car c’est notre métier. Si le cachet nous convient, nous sommes disposés à travailler avec tout le monde.
Cela signifie- t-il que vous ne faites pas de politique ?
Pas du tout ! Nous ne pouvons pas la faire car nous sommes à équidistance de toutes les formations politiques. Nous sommes des musiciens professionnels. Ne regrettez-vous pas d’avoir soutenu Me Abdoulaye Wade ? Jamais ! Jamais ! Jamais de la vie ! (Il se répète) Au contraire, cela a été une belle victoire pour nous. A l’époque, nous avons osé le faire. Actuellement, tout le monde fait la même chose et affiche même son choix de soutenir un candidat. Cela a été une belle réussite pour nous. Je profite de cette occasion pour rappeler aux Sénégalais que nous n’avions rien inventé. Tout ce que nous avions dit reste et demeure indéniable. Nous avons juste constaté et mis en avant les réalisations d’un candidat. C’est juste le choix que nous nous étions imposés et ce sera toujours valable pour toute autre personne qui voudrait recourir à nos prestations pour ce même type de services. Nous allons toujours mettre en avant les réalisations et non chanter des louanges. Nous ne pouvons pas nous permettre de raconter des histoires car nous avons aussi des enfants et des femmes et cela ne doit pas les affecter. Ils sont des citoyens au même titre que nous et nous ne chantons que des choses vérifiables et indéniables. Pape et Cheikh, c’est toujours des textes engagés.
Est- ce que vous êtes toujours les auteurs ou écrit-on pour vous ?
A nos débuts, nous écrivions nos textes. Mais depuis un bon moment, la donne a changé. Soit nous coécrivons avec d’autres auteurs ou bien ces derniers écrivent totalement pour nous.
Quelles sont vos habituelles sources d’inspiration ?
La vie de tous les jours ou plus exactement « Aduna ». Nous sommes inspirés par notre vécu. Il peut arriver que l’on observe quelque chose qui est habituel ou récurrent et nous nous faisons un devoir d’échanger sur ce sujet et d’inviter à une introspection positive. Nous ne détenons pas le monopole de la vérité, mais nous essayons de jouer notre partition.
On constate également que vous êtes très préoccupés par la mort dans vos textes…
Effectivement ! Dernièrement on a bien chanté « Kouy Déé bayifi mébeute » (Chaque mort part avec un projet inachevé). C’est vrai que nous évoquons la mort, mais cela fait partie de la vie. Je peux vous dire que certains de nos fans n’aiment pas que l’on joue le titre « Lahou dina kheuy Beuss dikaléniou ». Ils sont souvent contrariés quand nous le jouons ou bien ils ne sont pas à l’aise. Il me semble que cela les gène quelque part. Nous ne sommes pas des censeurs ou des prêcheurs et nous ne détenons pas le monopole de la vérité. Nous voulons juste contribuer à rappeler certaines choses car la mort peut surprendre à tout moment. Nous avons tous perdu un jour ou un autre un proche. Nous voulons juste rappeler aux uns et aux autres l’imminence de la mort.
En 20 ans quels sont les moments qui vous ont le plus marqués ?
Je dirai sans hésiter que c’est le sucés du morceau « Yatal Gueew ». Il y a aussi l’impact du titre « Lahou Dina Kheuy Beuss Diakaléniou ». Nous avons compris que notre force réside en notre public. C’est pour cela que nous le portons sur un piédestal. Nous sommes conscients que c’est l’homme qui est la principale richesse. Nous sommes obligés de les vénérer et de les respecter. C’est grâce à eux que nous avons ce succès qui dure et perdure. Nous faisons tout pour ne pas les snober ou les ignorer. Nous avons toujours en tête que la seule et unique force d’un groupe reste et demeure son public.
Quel appel lancez-vous aux populations à la veille des élections ?
Nous n‘avons qu’un seul souhait ! Que la paix continue de régner au Sénégal. Il faut tout faire pour préserver la paix et la concorde nationale. Nous avons en commun ce pays que nous ne pouvons pas partager comme on le dit de manière triviale. Il faut toujours garder à l’esprit que la paix doit vraiment être préservée à tout prix. Que tout se passe dans le respect et le fairplay et qu’au lendemain des élections, que tout le pays se remettre au travail dans l’union des cœurs et des esprits.