BA-DIONNE, LA GUERRE DE SUCCESSION
La bataille pour le leadership de l'APR est déclarée. En affrontant son challenger Dionne, Amadou Ba joue bien plus que sa candidature à la présidentielle : c'est le leadership du parti majoritaire qui se joue dans cette confrontation fratricide
Si les candidatures de Mahammad Boun Abdallah Dionne et d’Amadou Ba sont validées par le Conseil constitutionnel, les deux Premiers ministres - l’ancien et l’actuel - vont se livrer une bataille épique avec comme premier enjeu le contrôle du parti présidentiel... Un parti que Macky Sall entend toutefois conserver envers et contre tout !
Une liste de vingt et un candidats a été publiée par le Conseil constitutionnel après l’exercice de contrôle des dossiers de parrainages. Mais il va falloir attendre demain samedi 20 janvier, date de publication de la liste définitive des candidats pour connaître les happy few qui vont concourir officiellement pour succéder au président Macky Sall. Au cas où tous les 21 prétendants figurant sur cette liste provisoire seraient reconduits, l’élection présidentielle mettrait aux prises, grosso modo, d’une part les « antisystème » faisant partie globalement de l’opposition et, d’autre part, les candidats du « système » gravitant autour de la mouvance présidentielle. Mais derrière cette confrontation entre ces deux camps, se cache une autre lutte épique entre l’actuel Premier ministre et son prédécesseur. Ce qui rend ce combat encore plus âpre c’est qu’entre ces deux poids lourds de la majorité il y a un contentieux à régler qui a démarré depuis que le chef de l’État a porté son choix sur l’actuel chef du gouvernement Amadou Ba comme candidat de la grande coalition BBY alors que Boun Abdallah Dionne voulait précisément être ce dauphin qui défendrait les couleurs de la coalition Benno Bokk Yaakar à l’élection présidentielle du mois prochain. Devant les multiples prétendants dont aucun n’a voulu s’effacer au profit des autres, Macky Sall a dû trancher dans le vif. Et c’est Amadou Ba qui a été désigné finalement. Les trois autres principaux candidats à la candidature ont refusé de se plier à sa décision. Mais parmi eux, celui dont la confrontation électorale contre Amadou Ba est la plus attendue c’est sans aucun doute son prédécesseur à la Primature Boun Abdallah Dionne. Retour sur leurs chances et faiblesses...
Amadou Ba : le candidat du président...
Le choix porté sur lui n’a pas constitué une grande surprise vu sa montée fulgurante dans la sphère étatique sanctionnée par la plus haute fonction de l’administration à savoir celle de Premier ministre. Auparavant, il a occupé tour à tour les fonctions de directeur général des Impôts et Domaines, de ministre des Finances puis celui des Affaires étrangères. Reconnu comme étant un grand commis de l’État ayant une parfaite maîtrise des grands dossiers, Amadou Ba est un homme respecté qui s’est forgé une personnalité partout où il est passé. Ce qui lui vaut respect et considération de ses pairs qui l’ont plébiscité comme étant quelqu’un plein de qualités aussi bien dans le travail que dans ses relations humaines. Consensuel, se refusant aux attaques personnelles, n’insultant jamais, respectant ses adversaires, à la limite timide, rassurant aussi bien à l’intérieur de l’APR que les partis alliés, notamment le Ps et l’Afp, respecté par les milieux financiers internationaux qui l’ont adoubé, Amadou Ba a convaincu le chef de l’État qu’il était l’homme de la situation. Assuré du soutien des populations des Parcelles Assainies, son fief, il s’implique fortement dans l’arène politique et parvient même au forceps à remporter la victoire lors des législatives de 2017 à Dakar. Depuis, il est devenu une des valeurs sûres au sein de l’APR et parmi les plus proches collaborateurs du président de la République. C’est fort de tous ces avantages qu’il a été finalement choisi comme celui devant porter la candidature de la mouvance présidentielle pour l’élection de février prochain. Depuis il enchaîne des visites de proximité auprès des personnes aussi bien religieuses que traditionnelles pour solliciter leurs soutiens, organise des meetings et procède à des inaugurations d’infrastructures pour être plus proche des populations et s’enquérir de leurs préoccupations. L’autre avantage dont il dispose sera la mise à sa disposition de la puissante machine électorale de Benno Bokk Yaakar mais aussi de l’appareil d’État, notamment l’administration territoriale. Mais son principal atout, c’est surtout l’implication personnelle du président de la République. Lequel lui sera d’un grand apport de par son expérience, ses moyens et son influence.
Mais en dépit de tous ces atouts, l’actuel chef de l’actuel gouvernement traîne tout de même de réelles faiblesses. D’abord au sein de son propre parti où le consensus autour de sa personne est loin d’être une réalité. Sa désignation quoique décidée par le chef de l’État lui-même, a suscité beaucoup de contestations et crée des dissidences. Ce sont les trois autres prétendants malheureux à la candidature de la coalition qui ont lancé les hostilités en premier par leurs refus de se plier au choix du Chef. D’autres et pas des moindres et pas des moindres les ont suivis non pas en claquant la porte mais en remettant en cause la capacité de Amadou Ba à pouvoir assurer la victoire à la présidentielle. Plus inquiétant est la sortie du ministre très proche de la famille présidentielle, en l’occurrence Mame Mbaye Niang, qui dit savoir à qui veut l’entendre qu’il ne va pas prêt soutenir la candidature du chef du gouvernement. D’autres moins courageux et tapis dans l’ombre s’éloignent de plus en plus du terrain politique, ne mouillent plus le maillot et sont devenus aphones bien qu’étant des militants de toute première heure du parti présidentiel. Leur silence est tellement pesant que d’aucuns soupçonnent un «coup d’Etat» à l’interne qui serait préparé contre Amadou Ba au motif qu’il serait un militant de la 25ème heure. Ces mécontents tapis dans l’ombre soutiendraient celui qu’ils considèrent comme leur candidat de cœur pour avoir cheminé avec lui depuis les années de braise. Des allégations difficiles à nier si on se fie aux silences très troublants de grands responsables politiques comme Abdoulaye Dawda Diallo président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) mais aussi du ministre Abdoulaye Diop pour ne citer que ces deux. Qu’en est-il justement du chef de l’État lui-même? En tout cas, des pontes de la majorité présidentielle interrogés et préférant garder l’anonymat font savoir que le choix porté sur l’actuel chef du gouvernement est loin de faire l’unanimité et que, dans les jours à venir, on pourrait assister à une cascade de démissions pour faire allégeance au candidat qu’ils pensent avoir le meilleur profil pour conserver le pouvoir dans l’escarcelle de Benno.
Boun Abdallah Dionne : un outsider loin d’avoir dit son dernier mot...
Autant la désignation de Amadou Ba n’a pas constitué une grande surprise, autant la décision du chef de l’État de ne pas choisir Mahammad Boun Abdallah Dionne interroge. Ce parce que non seulement aucun des candidats à la candidature ne remplissait plus que lui les critères pour porter la candidature de la coalition Benno Bokk Yaakar mais encore parce que Dionne avait l’avantage d’être son plus proche collaborateur bien avant même la prise du pouvoir en 2012. Reconnu comme étant l’homme de confiance du chef de l’État et parmi ceux qui lui sont le plus fidèles — ne se surnommait il pas le « Baye Fall » ou le « double bouton du Président » ? —, c’est donc logiquement que Boun Abdallah Dionne a battu le record de longévité à la haute fonction de Premier ministre soit une durée de cinq ans. Une éternité sous le magistère du président Macky Sall ! Ces atouts cumulés avec son expérience acquise dans les organismes internationaux, le secteur privé ainsi que dans les sphères de l’État pouvaient et devaient jouer à son avantage pour le choix final. Son plus grand succès auprès du chef de l’État est sans doute d’avoir conduit de main de maître la mise en oeuvre du fameux PSE (Plan Sénégal Emergents), l’unique référentiel de politiques publiques de son mentor. Ce sa ns compter son passage au poste très stratégique de ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la République, preuve de la confiance que lui accordait Macky Sall. C’est donc un candidat doté d’une grande expérience au plus haut niveau de l’administration, maîtrisant parfaitement les grands dossiers de l’Etat, méthodique et dévoué au travail. Son principal avantage, et non des moindres, réside dans le fait que, durant tout son long parcours au sein de l’État, Boun n’a jamais été cité dans des histoires de mauvaise gestion des deniers publics ni dans le moindre scandale de moeurs. Au plan politique, même s’il est vrai qu’on ne lui reconnaît pas une base solide, il n’en demeure pas moins vrai qu’il peut s’appuyer sur le soutien de ses nombreux camarades de parti avec qui il a longtemps cheminé au sein de l’APR et dont on dit qu’ils pourraient lui faire allégeance pour aller à la conquête du pouvoir en février prochain. Il a eu en effet à conduire plusieurs campagnes électorales victorieuses du candidat Macky Sall, la dernière en date étant la présidentielle de 2019. Last but notre least, Boun Abdallah Dionne est aussi un excellent orateur, un brillant débatteur, un polémiste redoutable qui a l’art de captiver et de séduire son public. Il en a donné la preuve en 2017 alors qu’il était tête de liste de BBY aux législatives. Surtout, contrairement à son grand rival Amadou Ba, Boun Abdallah Dionne dit ne pas vouloir être le candidat de la continuité. Au contraire, il a promis, une fois élu, d’apporter des changements profonds dans la vie du pays à partir d’un programme bien conçu qu’il compte dérouler pour faire décoller notre pays.
Toutefois, son chemin vers le palais peut s’avérer périlleux en ce sens qu’il devra aller à l’assaut de la présidentielle sans l’appareil politique de Benno Bokk Yaakar. Un appareil qui, on l’a dit, sera à la disposition d’Amadou Ba. A ce premier (et gros) handicap va se greffer celui lié au fait qu’il est perçu comme un homme du système pour son long compagnonnage avec le régime du président Macky Sall. Aussi, comme les autres candidats issus de la mouvance présidentielle, certains le voient comme un pion agissant sous la commande du chef de l’État en vue d’une possible recomposition de sa famille politique en cas de second tour. Une accusation d’autant plus plausible plus que Boun Abdallah Dionne n’a daigné quitter le navire aperiste qu’après que le chef de l’État a jeté son dévolu sur son rival Amadou Ba. L’autre obstacle qui pourrait se dresser sur son chemin est l’absence de poids lourds autour de sa personne. Des poids lourds disposant d’une forte assise politique s’entend. Mais, sachant que beaucoup de surprises peuvent apparaître les jours à venir, il est encore trop tôt pour le critiquer sur ce point. Quoiqu’il en soit, entre Amadou Ba et Mahammad Boun Abdallah Dionne, ça risque de saigner au cours des semaines à venir !