LA POLICE DE L'UE DÉPLOYÉE CONTRE LES MANIFESTATIONS
Une enquête conjointe d'Al Jazeera et de la fondation porCausa révèle que le gouvernement de Macky Sall a fait appel à une unité spéciale de contre-terrorisme équipée et formée avec le financement de l'Union européenne, pour réprimer l'opposition
Une unité d'élite sénégalaise formée, équipée et financée par l'Union européenne, devait initialement lutter contre la criminalité transfrontalière. Pourtant, selon une enquête d'Al Jazeera, elle a été utilisée pour réprimer un mouvement populaire.
Depuis 2021, le procès du leader d'opposition populaire et controversé Ousmane Sonko a mené à des manifestations à travers le Sénégal, pays d'Afrique de l'Ouest, lors desquelles des dizaines de personnes ont été tuées. L'enquête menée conjointement par Al Jazeera et la fondation porCausa révèle que le gouvernement sénégalais a fait appel à une unité spéciale de contre-terrorisme, le Groupe d'Action Rapide de Surveillance et d'Intervention (GAR-SI), créé, équipé et formé avec le financement de l'Union européenne, pour réprimer violemment ces manifestations pro-démocratie.
Dans une vidéo décrite par Al Jazeera, on voit des membres des forces de sécurité dans le même type de véhicules blindés que l'UE a acheté pour le GAR-SI Sénégal tirer du gaz lacrymogène sur une caravane de manifestation organisée par Sonko en mai dernier. L'incident s'est produit dans le village de Mampatim, à environ 50 km de Kolda, dans la région de Casamance.
"Ces unités semblent être utilisées pour réprimer les droits humains plutôt que de lutter contre le terrorisme ou de surveiller la frontière", déclare Ousmane Diallo, chercheur à la division Afrique de l'Ouest et Centrale d'Amnesty International. "C'est une allégation grave alors que la gendarmerie sénégalaise est impliquée dans la répression des droits humains et du droit de manifester pacifiquement depuis 2021".
Financé à hauteur de 75 millions d'euros par le Fonds Fiduciaire d'Urgence de l'Union européenne pour l'Afrique, le projet régional GAR-SI Sahel, mis en œuvre entre 2016 et 2023, visait à créer des unités GAR-SI dans plusieurs pays de la région dont le Sénégal, "condition préalable à leur développement socio-économique durable".
L'unité sénégalaise de 300 hommes, créée en 2017 et coûtant plus de 7 millions d'euros, devait initialement lutter contre les incursions de groupes armés et la criminalité transfrontalière depuis la ville de Kidira, à la frontière malienne. Pourtant, selon un ancien responsable policier sénégalais cité par Al Jazeera, elle a bien été déployée lors des manifestations pro-démocratie au Sénégal.
Des sources espagnoles et sénégalaises familières du projet confirment qu'une seconde phase de 4,5 millions d'euros a ensuite été mise en place, créant une seconde unité GAR-SI Sénégal. Les ressources initialement allouées à la lutte contre la criminalité ont ainsi été de facto intégrées aux commandements territoriaux sénégalais et utilisées pour réprimer les manifestations.