DANS L'ENFER DU VISA CANADIEN
Les Premiers ministres Justin Trudeau et François Legault visitent incognito, l'ambassade du Canada à Dakar
Nous sommes le mercredi 29 août 2018. Il fait une canicule à Dakar, capitale du Sénégal. Incapable durant des jours de trouver sur le site indiqué par le Service des visas canadiens, les formulaires indispensables pour toute demande de visa d’entrée au Canada, nous y arrivons enfin, en croyant avoir trouvé le bon fichier. Les formulaires remplis, nous partons au « Centre de Réception des Demandes de Visa » situé au quartier des « Almadies ». Dépôt aussitôt rejeté, puisque les formulaires téléchargés sur le site officiel sont obsolètes, nous dit-on ! Que faire alors ? Réponse: - Cherchez et téléchargez le bon fichier ! - Il fut impossible de trouver sur le site indiqué les nouveaux formulaires ! Renseignement pris, le gardien sénégalais préposé à la sécurité nous indiqua une adresse, à deux jets de pierre du bâtiment, où se trouvait une équipe qualifiée pour nous télécharger sans risque le bon formulaire et de nous le remplir avec l’expérience requise. Sans tarder, nous partîmes consulter cette équipe. Il y avait du monde qui attendait en ce mercredi du 29 août 2018. Nous fîmes la queue, mal assis dans une petite baraque torride ou seul un ventilateur pendait juste au dessus de la tête du monsieur qui officiait ! Les visiteurs, eux, étaient laissés à la merci d’une chaleur effroyable ! Quitte à attendre et à souffrir, nous attendîmes sagement notre tour. Au bout d’une heure d’attente, on nous tira de l’ordinateur des formulaires bien remplis. Au vu des documents délivrés, nous nous rendîmes compte qu’il était quasi impossible de trouver et de remplir tout seul autant de paperasses indigestes ! Les questions auxquelles il fallait répondre défiaient tout entendement. Non seulement toute votre vie intime était fouillée dans les moindres détails mais celles de vos géniteurs également, mêmes morts. C’était la règle. Le Canada impose des formulaires sans issue, sortis d’un esprit soupçonneux et agressif ! Nous remerciâmes les jeunes sénégalais qui avaient fait de cette petite et misérable baraque leur bureau où trônaient deux ordinateurs et une imprimante asthmatique Le prix à payer pour le service rendu s’élevait en monnaie locale à 10.000 FCFA, 15,38 euros, 10,24 dollars. Ce travail qui consistait à vous remplir votre dossier de demande de visa, à deux pas du Centre des visas canadiens, était une belle trouvaille ! Tant mieux, s’il aidait de jeunes sénégalais à gagner leur vie, en espérant qu’il n y avait pas un diable de malin Sénégalais ou d’expatrié Blanc se remplissant les poches, « derrière eux », selon la vilaine formule !
Restait à aller verser à la banque - la BICIS-, à deux pas de là, la somme de 41.500 FCFA, 63 euros, un peu plus de 42,52 dollars. C’est coûteux ! Reçu de versement dans le compte de l’Ambassade du Canada en main, retour au Centre des visas. Fouille à l’entrée. Téléphone mobile «confisqué». Enfin, accès dans le saint des saints. Les agents Sénégalais qui nous reçoivent sont fort aimables. Nous ne voyons aucun expatrié canadien. Partout des Sénégalais face à des Sénégalais. C’est bien joué ! S’il faut s’engueuler, on s’engueulera entre nègres ! Nos formulaires furent scrupuleusement vérifiés. Le dossier était recevable. -Vous avez des photos avec vous ? - Oui, les voici - . Vérification faite, elles n’étaient pas conformes. – Il faut aller vous faire re-photographier, car vos clichés ne sont pas bons ! – Parfait Monsieur, nous nous exécutons! - Nous repassâmes 45 minutes plus tard, remettre les bonnes photos. L’aimable préposé Sénégalais à la vérification de conformité du dossier de demande de visa canadien, nous demanda d’aller nous asseoir et d’attendre. Cinq minutes après, une aimable dame nous fit signe pour venir la rejoindre. Elle tapota sur le clavier de son ordinateur. Puis elle nous demanda de payer en monnaie locale 1500 FCFA, 2,30 euros, 1,53 dollars. - Madame, nous avons déjà payé 42,52 dollars pour frais de visa. Cela ne suffit-il pas ? - Non, répondit-elle, mais la biométrie aussi se paie. - Nous payons ! Elle ne nous remit pas, par contre, un reçu auquel, en principe, nous avions droit. Ensuite, elle nous indiqua gentiment un monsieur -enfin un expatrié canadien- et nous demanda d’aller se présenter à lui. Ce que nous fîmes. Sérieux et solennel comme un garde républicain, il nous dit: - Lisez ceci pour prendre connaissance de vos droits -! Nous lisons le fascicule plastifié. Pour lui montrer à notre tour que nous étions bien sérieux, nous prîmes le temps de tout lire. Nous sentions sa surprise, pour le temps que nous prenions de lire le document dans son intégralité. Sans être dupes, nous savions que sur 50 demandeurs de visa à qui ce document était !1 remis, à peine quarante neuf ne prenaient pas le temps de le lire intégralement. Nous lui retournâmes son fascicule, avec un sourire en cadeau. Il nous invita aimablement à prendre nos empreintes digitales des dix doigts, si notre mémoire est bonne. Nous eûmes même peur qu’il nous demandât onze doigts. Il nous plaça devant un objectif et prit des photos. Fin de parcours d’une matinée d’enfer avec l’administration canadienne à Dakar !
Un ticket abondamment codé et chiffré nous fut remis. On nous dit: - Monsieur, vous attendrez d’être joint sur votre adresse électronique pour venir récupérer votre passeport -. Nous sommes le 12 septembre 2018. Depuis le 29 août, notre demande de visa avait été introduite et toujours pas une convocation depuis 14 jours. Notre départ approchait. Depuis le Québec, les organisateurs nous joignaient chaque jour pour s’enquérir de l’état de notre demande de visa, car plus le temps passait, plus le billet d’avion devenait plus coûteux et les dates fluctuantes. Nous leur avons alors indiqué que nous renoncions au voyage, car un visa ne valait pas tant de peine et qu’un ami, sur place, irait nous représenter à la cérémonie de remise du Prix que le Québec nous décernait par le Festival international de poésie de Trois-Rivières ! Nous avons été tant de fois au Canada, que nous pouvions, cette fois-ci, ne pas y retourner ! Jusqu’ici, la seule réponse par courriel du Service des visas Canadien demeurait une réponse automatique, invariablement formulée: [Si l’information est disponible sur nos sites OU que l’étude de votre demande se déroule dans les délais, nous ne répondrons pas à votre demande].On ne pouvait pas être plus clair, plus distant ! En somme tout était verrouillé. Même en urgence, vous ne pouviez ni voir, ni interroger, ni parler à personne. Voilà le circuit du visa canadien dans toute sa froideur, sa stupéfiante inhumanité ! Il serait intéressant de savoir ce qui se passe dans les consulats de nos « parents » Européens ! Tout n’y serait pas non plus rose !
Il y a urgence que Messieurs les Premiers ministres Trudeau et Legault mettent en place une commission de révision totale des procédures glaciales et meurtrières de demande de visa imposée aux ressortissants africains. Le devoir du Canada-Québec serait plutôt de bâtir une politique de proximité et d’ouverture intelligente, pour sauvegarder son image. Aucune politique d’immigration, quelles que soient ses contraintes, ses mesures de protection et de sécurité économique, ne devrait nous éloigner d’une approche humaniste et civilisée !
Très soucieux du retard de la délivrance de notre visa, nous sommes allés directement à l’Ambassade du Canada, située près de l’Assemblée nationale du Sénégal. Nous expliquâmes notre malheur. Réponse des agents Sénégalais à l’accueil: - Allez sans tarder voir auprès du Service Annexe non loin d’ici. Vous leur expliquerez votre situation. - Arrivé à destination, nous attendîmes dehors, en plein soleil, sans abri, près de 45mn. Nous accédâmes enfin à l’intérieur de l’Annexe. Derrière, croulant sous des enveloppes, un admirable agent Sénégalais nous écouta longuement. Puis, il nous affirma que malgré le long temps d’attente, notre date de voyage était encore couvert par le temps requis pour délivrer le visa. Nous accusons le coup. Il était difficile de lever la voix devant l’élégance et la politesse de ce Monsieur !
Nous sommes le samedi 22 septembre 2018. Sur notre téléphone mobile vient de s’afficher un message que nous attendons depuis «un siècle»: - Votre passeport a été transmis du bureau des visas canadiens le 20 septembre 2018, au Centre de Réception des demandes de Visa Canadien. - Le lundi 24 septembre, 14h, nous nous présentons auprès dudit Centre. Nous trouvons du monde. Des ventilateurs brassaient l’air chaud sous une tente clémente. Nous nous présentons à notre tour au guichet pour la remise, enfin, de notre passeport. – Monsieur, votre passeport n’est pas encore arrivé dans nos services. - Nous faillîmes nous évanouir ! Alors, contenant poliment notre rage, nous tendîmes le contenu du message officiel qui nous convoquait à venir retirer notre passeport. – Oui, Monsieur, mais il n y a rien ici.- Que faire alors ? Réponse: « Retournez au 226 de la rue Émile Zola, au centre ville d’où vous venez, et voyez avec l’Annexe de l’Ambassade du Canada si votre passeport n’y est pas. Ici, il n y a rien, malgré le message que vous avez reçu. » Ne sachant plus à quel « Service Canadien» nous vouer, nous repartîmes vers le centre ville de Dakar. Arrivé au n° 226, nous rendîmes compte aux vigiles postés devant la porte de notre déconvenue. -Patientez, nous allons nous renseigner.- Nous restâmes dehors, sous la chaleur. Trente minutes passèrent. Le vigile sortit enfin et aimablement nous murmura: - Monsieur, ils ont vérifié, mais votre passeport n’est pas ici. Ils ne doivent pas vous dire que votre passeport est ici alors que le Service dit qu’il l’a bien envoyé chez eux-. Nous tombions des nues ! Comment pouvait-on travailler dans un tel désordre dans les Services d’une Ambassade et pour le pays qu’ils représentaient ? Et pas un expatrié canadien, un chef ou petit ! 2 chef, à qui parler. Tous cloitrés et barricadés dans leur bureau, au frais ! Comment s’adresser à des vigiles ? Quoi leur expliquer, en plus qu’on les voyait craintifs, ces pauvres que l’on pourrait virer pour la moindre faute ? Nous décidâmes de résister et de ne pas quitter les lieux, tant que nous n’avions pas une réponse de ce qu’était devenu notre passeport !
Au bout d’une interminable attente et des échanges de coup de téléphone « entre le Canada des Almadies et le Canada de la rue Émile Zola », pour le dire de cette manière, on nous fit savoir que le passeport avait été enfin retrouvé au Centre de l’Organisation internationale des Migrations, le Centre d’où j’étais parti. Soumis à 26 jours de procédures, de labyrinthes, d’impasses, de silence, de frustrations et de dépit, c’était la fin d’un parcours d’enfer invraisemblable digne d’une série noire ! Nous sommes sortis en pièces détachées de cette demande de visa canadien, pour le dire ainsi et moins fort. Nous étions si étonnés, si secoués, si surpris par tant de cloisonnement, de tâtonnements et d’amateurisme d’un si grand et beau pays !
Nous aimons le Canada. Nous chérissons du fond du coeur le Québec. Nous y comptons partout des amis chéris. Nous avons une très grande admiration pour ce que les poètes et hommes de culture du Canada-Québec, ont apporté au monde! Ce pays là ne peut pas continuer à donner ce visage triste et sidérant à travers ses représentations à l’étranger chargées de la délivrance de visas. Nous n’avons rien contre ces pauvres fonctionnaires expatriés canadiens qui ne font, finalement, que le boulot qui leur est dicté. D’ailleurs, on ne les voit jamais, on ne les entend jamais. Ce sont des anonymes enfermés dans leur bureau, devant leur machine, et qui rentrent tranquillement à la maison le soir. Leur niveau de culture africaine et leur niveau intégration ? Jugeons avec imprudence, qu’ils devraient être sans doute beaucoup trop faibles pour le plus grand nombre, presque inexistants, pour leur en vouloir. Et puis, la vérité, est que ce sont bien « les en-haut de en-haut » à Ottawa et Montréal, qui, politiquement, décident ! Cette façon d’administrer doit changer !
Les Africains, et c’est un peu dans leur culture, se sont donnés et le bonheur et le risque d’essaimer de par le monde, de voyager, d’aller connaître et pénétrer les autres cultures et civilisations, en sachant que toutes les cultures sont belles et qu’elles sont à respecter. Ils ont fait sien ce que Senghor aimait répéter: « Quand deux peuples se rencontrent, ils se combattent souvent, mais ils se métissent toujours ». Et puis, le grand homme de culture Jean d’Ormesson n’avait-il pas écrit de manière provocatrice ceci: « Nous sommes tous des Africains modifiés par le temps » ? Et nous ajoutons, nous, avec un sourire figé: il est temps que l’Afrique soit modifiée par ce temps qui a modifié tous les autres. L’Afrique des abominables dirigeants politiques, s’entend !
Nous, nous avons appris à connaitre le Canada-Québec, c’est à dire ce qui distingue cette confédération à l’étranger et de par le monde, surtout notre cher Québec. Cette confédération a connu des hommes politiques historiques comme le papa de l’actuel Premier ministre du Canada: le charmant et futé « Trudeau junior ». Comme ses merveilleux artistes inoubliables que le Sénégal a accueillis, dont Marie Denise Pelletier et Éric Lapointe, au-delà de la diva Céline Dion que nous espérons voir un soir au pays de Wassis Diop, Youssou Ndour, Baba Maal et l’apaisant Ismaël Lô. Nous n’oublierons pas d’omettre cette suavité du parler québécois avec cet accent chantonnant qui vous brosse la gorge, l’audace et la créativité de ses vibrants poètes qui ont donné à cette belle femme qu’est la langue française, des enfants de l’oxygène. Nous n’évoquerons pas ici la Francophonie, cette fille si belle et si malade, cette fille où nous avons si mal ! Cette confédération du Canada-Québec qui abrite tant de fils valeureux, Jean-Louis Roy et Gaston Bellemare sont à citer, n’a pas le droit de ressembler à cette froide misère culturelle et humaine découverte dans sa glaciale administration des visas !
Nous avons beaucoup hésité à écrire et à publier ce reportage. Mais nous le faisons pour ces milliers de demandeurs de visas en Afrique qui n’ont pas de voix. Nous le faisons pour le respect et l’affection que nous avons pour le Canada et le Québec. Il est difficile de se taire quand des murs se lèvent et que personne ne veut les voir. Nous n’avons cherché à blesser personne, à nuire à personne. Nous cherchons à construire des ponts. Nous cherchons des coeurs où habiter. Nous sommes des chercheurs d’espérance. Espérons que nous ne sommes pas venus frapper à des portes closes qui ne s’ouvriront jamais. Un proverbe africain nous dit « que l’on ne peut pas raser la tête de quelqu’un, en son absence ». Voilà pourquoi les deux Premiers ministres du Canada et du Québec ont été invités à nous accompagner dans cette recherche de visa. !
Dans les pays supposés développés, on entend toujours dire qu’il n’y a même plus d’eau à boire en Afrique. Qu’il n’y a que la misère à boire. Et voilà que nous découvrons par nous-mêmes que ses pays supposés riches du Nord ont une misère plus terrifiante encore à boire que l’Afrique ! Les enfants de l’Afrique qui la quittent ne la quittent pas parce qu’elle est pauvre -elle est trop féconde pour être pauvre- mais parce qu’elle est plombée par ses dirigeants politiques qui dévalorisent son image et la mettent à genoux avec le soutien de l’Occident qui y trouve son compte ! Le Canada-Québec ne peut plus se permettre de nourrir un système bloqué sur lui-même. Il est grand temps d’agir, de réformer, d’humaniser sans perdre de sa sécurité et de son indépendance. Le Canada-Québec a une histoire, puis il a créé une histoire. Il doit créer un nouvel humanisme et non se « tribaliser » ! Nous savons tous que cette confédération est née, dans son histoire, d’un prodigieux métissage. Il y a des millénaires, d’abord des Amérindiens, les 1ères nations comme on les nomme aujourd’hui. Puis vinrent des Français, des Britanniques, des vikings, des Normands, des Basques, des Portugais, des Vénitiens. C’est bien cette multiculturalité qui a fondé le « pays de Canada » !
Gardez cette richesse, Messieurs Justin Trudeau et François Legault, car la chance et le miracle vous sont donnés de diriger de beaux, très beaux peuples ! Détachez votre part de continent de cette fosse commune nauséabonde qui, pour l’instant, vous entoure, en attendant le retour d’une Amérique, d’une grande Amérique éternelle et toujours admirable quand elle se souvient et qu’elle redevient ellemême !
C’est une amie, une grande poétesse de chez vous, Nicole Brossard, qui écrivait ceci de joli et de si vrai: « Le futur a des yeux de femme ». Oui, pour nous le Canada-Québec a des yeux de femme ! De grâce, ne les crevez pas !