ET SI AMINATA TOURÉ AVAIT EU RAISON D’INITIER UNE LOI CONTRE LE NÉPOTISME ?
Mansour Faye, englué dans le scandale des fonds Covid, Aliou Sall, mouillé dans l'affaire Petrotim, et Adama Faye aujourd'hui accusé d'escroquerie foncière, illustrent l'implication problématique de la famille présidentielle dans la gestion de l'État
Durant son bref passage à l’Assemblée nationale comme député, Aminata Touré avait introduit une loi portant. Avec l’implication à outrance des familles des deux précédents présidents de la République dans des affaires de l’Etat ou des combines louches, voire divers trafics, l’on se demande si, effectivement, l’ancienne Première ministre n’avait pas raison de faire une telle proposition de loi. Les cas de Karim Wade poursuivi et condamné pour enrichissement illicite, Mansour Faye, englué dans le scandale des fonds Covid-19, Aliou Sall, mouillé jusqu’au cou dans dossier Petrotim, et maintenant Adama Faye accusé d’escroquerie foncière...sont des illustrations éloquentes de cette implication des familles des présidents de la République dans les affaires de la Nation.
En 2011, Macky Sall alors candidat à l’élection présidentielle avait promis aux Sénégalais, s’il accédait au pouvoir, d’éloigner sa famille et celle de son épouse de la gestion de l’Etat et aussi de la chose publique d’une manière générale. Ce, pour rompre d’avec les pratiques qui avaient cours sous le magistère du président Abdoulaye Wade dont le fils Karim Wade était devenu un véritable vice-président de la République. Voire un prince héritier ! Ayant été lui-même victime de la toute-puissance de l’alors « ministre du Ciel et de la Terre », il avait juré qu’une fois au pouvoir, il mettrait fin à cette façon de diriger qui mettait la famille présidentielle au centre des affaires de l’Etat. De fait, lorsqu’il a bénéficié des suffrages de ses compatriotes, il s’empressé de prôner une « gestion sobre et vertueuse ». Hélas, ce n’était qu’un slogan puisque, dès qu’il a eu en mains tous les leviers du pouvoir, il a fait pire que son prédécesseur. Ses douze années de règne ont été marquées par un népotisme sans précédent des nominations de son propre frère, de ses oncles, de ses nièces, de ses cousins mais aussi de ceux des membres de la famille de son épouse au gouvernement, à la tête de sociétés nationales, dans des ambassades, à des postes de hautes responsabilités etc. Mieux, d’autres proches de sa femme ont été promus à des fonctions très élevées ou placés dans des circuits leur permettant de s’enrichir beaucoup et rapidement. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que, depuis la chute du régime du président Macky Sall le 24 mars dernier, les noms de beaucoup de proches du couple présidentiel apparaissent dans les rapports des corps de contrôle. Cette situation remet à l’ordre du jour la pertinence de la proposition de loi de Mme Aminata Touré relative à l’interdiction de l’immixtion des parents de chefs d’État dans la gestion des affaires publiques. Le but étant non seulement d’avoir une gouvernance vertueuse mais aussi de préserver nos derniers publics.
Les régimes de Wade et de Macky Sall entachés de népotisme...
En matière de népotisme, difficile de faire mieux — ou pire ! — que nos deux présidents libéraux ! Pour le Pape du Sopi, son fils Karim Wade était au cœur des affaires jusqu’à se faire surnommer « ministre du Ciel et de la Terre ». Sa fille également s’était fortement impliquée dans l’organisation du FESMAN, un événement disposant d’un budget de dizaines de milliards de nos francs gérés de façon particulièrement nébuleuse. L’élève Macky Sall semble avoir battu son maître Abdoulaye Faye dans ce domaine. Son propre frère Aliou Sall a été cité dans un scandale relatif à l’octroi de gisements pétroliers au sulfureux homme d’affaires australo-roumain Frank Timis. Un reportage de la BBC l’avait accusé d’avoir perçu des centaines de milliards de francs de pots-de-vin. Il s’agissait de l’affaire l’affaire Petrotim. Après cela, le bienaimé Aliou Sall a été nommé directeur général de la CDC (Caisse des dépôts et consignations) qui est le bras armé financier de l’Etat avec ses dizaines de milliards de francs de dépôts à gérer. Son beau frère Mansour Faye a occupé les ministères les plus « juteux », ceux disposant des plus gros budgets et a géré les 1000 milliards du fonds Covid. Quant à Adama Faye, lui aussi frère de l’alors Première dame, il vient d’être placé en garde à vue par la gendarmerie pour escroquerie foncière. Aucun de ces beaux-frères, et encore moins son propre frère bien entendu, n’a fait l’objet de poursuites judiciaires tant que Macky Sall était au pouvoir. Mais n’avait-il pas dit qu’il y a des dossiers sur lesquels il avait mis le coude ? Par conséquent, tant qu’il exerçait la magistrature suprême de ce pays, ses proches n’avaient rien à craindre. La même mansuétude ou impunité s’étendait aux membres de son parti ou de la coalition présidentielle. A plusieurs reprises des rapports des corps de contrôle ont eu à épingler des pontes de son régime mais, au nom de leur proximité avec le couple présidentiel ou de leurs responsabilités politiques, ils n’ont jamais été inquiétés. Cette impunité pour leurs proches érigée en règle a grandement contribué à la perte du pouvoir par les présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall. Au vu du sort peu enviable réservé à ses prédécesseurs, sanctionnés pour les pratiques maffieuses de leurs familles, le président Bassirou Diomaye Faye se doit donc de rompre avec leurs pratiques pour ne pas subir le même sort qu’eux.
Pourquoi la Loi Aminata Touré doit être remise sur la table...
Ces différentes affaires remettent à l’ordre du jour le débat sur l’implication des membres de la famille du Président de la République dans la gestion de l’État. Durant son bref passage à l’Assemblée nationale, l’ex-Première ministre Mme Aminata Touré avait déposé un projet de loi sur la table de l’Assemblée nationale pour que cette pratique soit bannie une bonne fois pour toute dans notre pays. Dans l’exposé des motifs, elle expliquait vouloir prévenir des situations de conflits d’intérêts et lutter contre le népotisme au sommet de l’État pour empêcher le Président de la République de nommer ses proches aux fonctions clés. L’application d’une telle loi, d’après elle, limiterait l’exercice de fonctions et responsabilités dans les institutions de la République en rapport avec l’existence de liens familiaux. Pour expliquer la pertinence de sa proposition, elle avait mentionné dans l’exposé de ses motifs que le Sénégal étant l’un des pays précurseurs en matière de législation de la promotion de la bonne gouvernance en Afrique, avait adopté la loi relative à la répression de l’enrichissement illicite 22 ans avant celle des Nations-Unies contre la corruption, celle portant création de la cour des comptes, de l’OFNAC ainsi que la loi relative à la déclaration de patrimoine. Une proposition de loi qui n’avait pas abouti vu le climat tendu qui régnait entre l’initiatrice et les députés de la mouvance présidentielle qui lui en voulaient de s’être démarquée de leur groupe parlementaire. Maintenant que le Bassirou Diomaye Faye est président de la République et que Mme Aminata Touré est une figure de proue de la coalition l’ayant porté au pouvoir, cette proposition de loi pourrait sans doute être exhumée car elle participe au renforcement de la bonne gouvernance. Le renforcement de la bonne gouvernance, une des promesses phares, justement, de l’actuel chef de l’Etat et de son Premier ministre.