LA DIFFICILE MUE DU PASTEF
La formation qui a porté Bassirou Diomaye Faye à la présidence fait face à un défi majeur : transformer une force contestataire en parti de gouvernement. Une équation complexe qui met à l'épreuve le leadership d'Ousmane Sonko
(SenePlus) - Le parti au pouvoir, le Pastef, apparaît traversé par des tensions qui révèlent la difficile transition d'une force contestataire vers un parti de gouvernement. Cette formation politique, qui a conquis le pouvoir dans la ferveur militante, doit aujourd'hui composer avec les exigences de l'action publique.
L'épisode récent de la nomination d'Aoua Bocar Ly au Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA) est symptomatique des défis auxquels fait face le Pastef. Comme le rappelle Jeune Afrique, les militants se sont immédiatement mobilisés sur les réseaux sociaux, exhumant d'anciennes déclarations hostiles de l'intéressée envers le parti sous l'ère Macky Sall. Face à cette fronde, Ousmane Sonko a dû intervenir personnellement, rappelant que "le temps de l'État n'est pas celui des militants."
Cette vigilance militante s'était déjà manifestée lors de la nomination de Samba Ndiaye à la tête d'une agence nationale. Le président Bassirou Diomaye Faye avait alors dû justifier publiquement ce choix en expliquant : "Nous avons annoncé des appels à candidature et nous ne nous bornons pas aux gens qui font partie de Pastef. [...] Les Sénégalais nous ont fait confiance grâce à notre Projet, et ce Projet inclut tous les Sénégalais."
Le magazine révèle que le Pastef traverse une période de transformation profonde. Le parti continue de fonctionner avec un bureau politique provisoire, sans charte ni règlement intérieur. Le poste de secrétaire général, qu'occupait Bassirou Diomaye Faye avant son arrestation en avril 2022, est aujourd'hui assuré par intérim par le député Ayib Daffé.
Ansoumana Sambou, membre du secrétariat national à la Communication, reconnaît ces "tâtonnements" mais les justifie : "Dès notre arrivée au pouvoir, nous avons réfléchi à la manière de gouverner et de continuer à animer le parti, tout en observant une certaine neutralité vis-à-vis des affaires publiques."
Selon Jeune Afrique, le Pastef s'appuie sur une "armée de l'ombre" impressionnante : plus d'un millier de cadres, chercheurs et professeurs d'université qui continuent de produire notes conceptuelles et recommandations pour le chef de l'État. Cette expertise technique contraste avec l'image d'un parti uniquement contestataire.
La figure d'Ousmane Sonko reste centrale dans l'organisation. Premier ministre et chef du parti, il conserve une influence considérable, comme le souligne Ansoumana Sambou : "Le Projet pourra se dérouler tant que personne ne remettra en question la place de leader d'Ousmane Sonko." Cette situation soulève des questions sur la dynamique du duo exécutif, même si un conseiller présidentiel cité par le magazine assure qu'Ousmane Sonko "ne sera jamais un fusible ou un laquais du président."
JA met en lumière une particularité remarquable du Pastef : son mode de financement. Les campagnes électorales sont directement financées par les militants, particulièrement ceux de la diaspora. Les rassemblements sont devenus payants, avec des tarifs allant "de 1 000 à 1 million de F CFA pour assister au dernier méga-meeting d'Ousmane Sonko à la Dakar Arena."
Un cadre du parti cité par Jeune Afrique résume l'ambition de transformation : "Le Sénégal a eu une tradition de parti-État [...] Sous les régimes précédents, l'État avait fusionné avec le parti, dont il ne représentait qu'un appendice et un moyen de subsistance. Nous estimons au contraire que c'est au parti de servir l'État."
Cette ambition se heurte cependant à la réalité du terrain. Mamadou Oumar Sall, militant depuis 2018, rappelle le rôle de vigilance des sympathisants : "Notre leader n'est pas un demi-dieu qui décide de tout. [...] C'est à nous de dénoncer tout manquement aux principes du parti ; c'est aussi ça le rôle de la jeunesse patriotique."
Le Pastef se trouve ainsi à la croisée des chemins, devant concilier son héritage militant avec les exigences de la gouvernance, tout en préservant ses idéaux de transformation politique et sociale.