LA PRÉSIDENTIELLE PASSÉE AU CRIBLE PAR LA SOCIÉTÉ CIVILE
Dans sa déclaration préliminaire, la mission d'observation électorale relève les points positifs et formule des recommandations pour renforcer la transparence et l'inclusivité des prochaines échéances
SenePlus publie ci-dessous, la déclaration du Collectif des Organisations de la Société civile pour les élections relatif au bilan du scrutin du 24 mars 2024 au terme duquel Bassirou Diomaye Faye a été élu à la tête du Sénégal.
"Conformément à son mandat, le Collectif des Organisations de la Société Civile pour les Elections (COSCE), a déployé une Mission d'Observation Électorale (MOE) de long terme depuis mars 2023 et de court terme pour l'évaluation du processus électoral.
Conduite par le Professeur Babacar GUEYE, Président du COSCE, cette mission est composée d'une équipe de coordination opérationnelle du COSCE basée à Dakar, de 5 coordonnateurs de zones, 46 observateurs de long-terme (OLTs) déployés sur les 46 départements du pays et de 1000 observateurs de court-terme (OCTs) qui ont complété la MOE le jour du scrutin dont 500 mobiles et 500 été déployés selon un échantillonnage aléatoire statistiquement représentatif des bureaux de vote. Le COSCE a disposé de données fiables et statistiquement représentatives à l'échelle nationale sur le déroulement des opérations de vote. A travers cet échantillon, la MOE est aussi en mesure de vérifier les taux de participation moyennant des marges d'erreurs minimes et de se prononcer sur la cohérence des résultats officiels.
Observations de la phase préélectorale
Le scrutin présidentiel du 24 Mars 2024 a eu lieu dans un contexte politique particulièrement tendu marqué par une rupture du dialogue entre acteurs politiques et la méfiance, voire la défiance à l'égard des institutions impliquées dans la conduite du processus électoral. Si le dialogue national de juillet 2023 initié par le président de la République a permis de réhabiliter certains acteurs politiques, il en a exclu d'autres affectant ainsi l'inclusivité du processus électoral.
Le Code électoral fixe les conditions d'enrôlement des électeurs sur le fichier électoral. En direction de l'élection présidentielle, la révision des listes s'est déroulée du jeudi 06 avril 2023 au Samedi 06 mai 2023 sur l'ensemble du territoire national. La Mission du COSCE note la courte durée de la période accordée à la révision exceptionnelle des listes électorales ce qui a abouti à un faible enrôlement des électeurs. La mission note que cette période limitée avait un impact disproportionné sur l'inclusion des populations marginalisées dans le processus électoral, en particulier les jeunes et les personnes vivant dans les zones rurales, ainsi que les femmes et les électeurs handicapés. La mise à disposition du registre électoral pour un audit de la société civile peut ainsi contribuer à fournir une évaluation indépendante de la qualité du fichier.
La Mission a également constaté que le taux de retrait des cartes d'électeurs a été très moyen. Il résulterait du peu de moyens mobilisés pour la sensibilisation des électeurs aussi bien de la DGE et des organisations de la société. L'incertitude sur la tenue de l'élection y aura également contribué pour beaucoup. Jusqu'à ce jour, les autorités électorales continuent à occulter l'information quant aux nombres de cartes distribuées par région et par département.
La Mission note que le système du parrainage a été maintenu bien que par un arrêt en date du 28 avril 2021 la Cour de justice de la CEDEAO avait ordonné sa suppression en ce qu'il constituait un véritable obstacle à la liberté et au secret de l'exercice du droit de vote et une atteinte sérieuse au droit de participer aux élections en tant que candidat. La Mission a également constaté que le parrainage a été fortement contesté par des candidats à la candidature. Elle regrette les conditions dans lesquelles s'est déroulé le contrôle des listes de parrains.
La décision du chef de l'État d'abroger le décret du 29 novembre 2023, portant convocation du collège électoral pour l'élection présidentielle du 25 février 2024 a exacerbé les tensions politico-sociales préexistantes, qui se sont traduites par l'organisation de marches de protestations à travers l'ensemble du territoire et la survenance de violentes répressions ayant entraîné la mort de quatre citoyens sénégalais.
A la suite de l'annulation par le Conseil Constitutionnel du décret pris par le Président de la République le 3 février 2024, le décret n°2024-690 du 6 Mars 2024 est venu fixer la date du scrutin présidentiel au 24 mars 2024.
Déroulement des opérations de vote
Le COSCE rappelle qu'un communiqué de mi-journée a été publié le 24 mars pour faire le point sur l'ouverture des bureaux de vote qui s'est dans l'ensemble bien passée malgré quelques incidents relevés.
3.1- Déroulement des opérations de vote
Dans 98% des bureaux de vote, les agents électoraux ont systématiquement demandé aux électrices et électeurs de présenter leur carte d'identité biométrique à puce CEDEAO
Dans 91% des bureaux de vote, les membres du bureau de vote ont vérifié que les doigts de chaque électrice et électeur n'avaient pas de tâche d'encre avant qu'il ne prenne les bulletins de vote. Par ailleurs, dans 9% des bureaux de vote, les électeurs ont vérifié les doigts de certains électrices et électeurs, mais pas d'autres. Les agents ont procédé à la vérification systématique de la présence des noms des électrices ou électeurs sur la liste d'émargement dans 99% des bureaux de vote.
Le droit de vote pour les électeurs munis d'un ordre de mission a été systématiquement appliqué dans 98% des bureaux de vote.
Dans 31% des BV, un certain nombre d'électrices ou électeurs se sont vu refuser le droit de vote à cause de l'absence de leurs noms sur la liste d'émargement du bureau de vote bien que le lieu et bureau de vote en question figuraient sur leur carte d'électeur. Dans certains cas, ces électeurs ont été dirigés vers d'autres personnes ou sources d'informations présentes sur le lieu de vote pour vérifier leur présence sur la liste électorale et les orienter vers un autre bureau ou centre de vote.
L'émargement ou l'apposition de l'empreinte des électeurs sur les listes d'émargement a été effective dans 97% des bureaux.
L'assistance aux électeurs à mobilité réduite ou vivant avec un handicap a été effective dans 85% des BV. Des électeurs en situation de handicap temporaire ou permanent non-inscrits dans un bureau de vote ont été autorisés à voter après vérification de leur carte d'électeur dans 27% des BV. Il convient de préciser que ces cas ne se sont pas été présentés dans 73% des bureaux de vote.
Aucun cas de violence ou d'intimidation n'a été observé dans 99% des lieux de vote EM. Quelques altercations entre électeurs ont été rapportées dans la file d'attente sans incidence majeure.
Le vote n'a pas été suspendu au cours de la journée dans 99% des bureaux de vote.
D'autres observateurs électoraux ont visité les bureaux de vote dans 58% des lieux de vote.
Clôture du vote
Le scrutin a été clôturé avant 18h15 dans 96% des bureaux de vote. 3% des bureaux ont fermé entre 18h15 et 19h. Des électeurs étaient présents dans la file d'attente et ont été autorisés à voter dans 37% des bureaux de vote. Il convient de préciser qu'il n'y avait pas d'électeurs présents dans la file d'attente à 18h dans 63% des bureaux de vote.
Dépouillement
Les membres du bureau de vote étaient tous présents dans le bureau de vote lors de la pause opérée pour la coupure du jeûne dans 62% des bureaux de vote. Aucune pause n'a été observée pour la coupure du jeûne dans 38% des bureaux de vote.
Les bracelets des urnes ont été vérifiés avant le décompte des votes dans 99% des bureaux de vote. Des personnes non habilitées n'étaient pas présentes dans les bureaux de vote lors du dépouillement. Aucun cas de corruption, de violence ou d'intimidation n'a été observé pendant dans le dépouillement dans les bureaux de vote.
CENA ont signé et reçu une copie du procès-verbal de résultats dans la quasi-totalité des bureaux.
Les enveloppes destinées à la Commission Départementale de Recensement des Votes (CRDV) ont été systématiquement scellées et remises aux agents assermentés dans les bureaux de vote. Les fiches de résultats ont été directement affichées dans 99% des bureaux de vote.
Incidents critiques
Quatre (4) observateurs du COSCE se sont vus refuser l'accès aux bureaux de vote à l'ouverture du scrutin malgré la présentation de leur titre d'accréditation, notamment à Dakar et Thiès. Ces cas ont été rapidement résolus en collaboration avec la DGE.
Le déplacement d'électeurs, notamment à l'école HLM 2 de Grand Yoff où des véhicules immatriculés d'autres régions du Sénégal sont arrivés avec plusieurs électeurs. Il a également été relevé que les représentants de candidats ne bénéficient pas d'accréditation permettant de les identifier ;
- A la suite du découpage administratif du nouveau département de Keur Massar, des électeurs se sont présentés au lieu de vote indiqué sur leur carte d'électeur dont le nom de l'ancien département figurait sur leur carte. Ces électeurs se sont vus refuser le droit de vote malgré la présence de leur nom sur la liste d'émargement.
- Quelques cas de délocalisation d'électeurs vers un nouveau bureau de vote, notamment à Diourbel, sans communication préalable de leur nouveau lieu de vote.
- A Thiès, lors du vote, un représentant de la CEDA a été pris en flagrant délit en introduisant clandestinement trois enveloppes dans l'urne au moment de son vote. L'incident a entraîné une interruption des opérations de vote pendant trente minutes. Les autorités ont rapidement réagi en procédant à des arrestations, dont celle de l'auteur présumé, qui a été placé en garde à vue pour enquête approfondie.
Estimations relatives à l'issue du scrutin
Au terme de la vérification des données statistiquement représentatives des bureaux de vote au niveau national, le COSCE peut faire une estimation du taux de participation des citoyens au scrutin de 61.6% avec une marge d'erreur de plus ou moins 0.8%.
Dans le même sillage, le COSCE peut se prononcer fermement, au vu des données collectées de son échantillon statistique, que l'issue de ce scrutin est soldée par un seul tour.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Le scrutin du 24 Mars 2024 s'est globalement déroulé dans un environnement apaisé. La Mission tient à cet égard à féliciter les autorités électorales et administratives pour l'organisation matérielle du scrutin, en dépit des dysfonctionnements. Elle félicite également les candidats, les populations, la presse, la société civile et les forces de défense et de sécurité pour le sens des responsabilités et la maturité dont ils ont fait preuve lors de ce scrutin. La Mission exhorte les parties prenantes à s'inscrire résolument dans cette dynamique de pacification de l'espace politique et électoral.
La Mission remercie les autorités et particulièrement les Organes de Gestion des Élections pour la disponibilité dont ils ont fait preuve, l'esprit d'écoute et la collaboration qui lui ont facilité son travail.
La Mission appelle les autorités électorales à publier les résultats du vote par bureau afin de renforcer la transparence des résultats du scrutin et ce, dans les délais requis.
Le COSCE salue la cohésion de la société civile tout au long du processus qui a contribué au renforcement de la transparence du processus électoral.
Dans le but d'améliorer la conduite du processus en vue des futures échéances électorales, la Mission formule, au regard de ces constats, les recommandations suivantes :
1) L'autorité en charge des élections
- Renforcer l'autonomie et l'indépendance des structures de gestion électorale notamment par l'institution d'une
Haute Autorité des Élections ;
- Clarifier les missions et attributions des différents organes de gestion électorale impliqués dans la préparation et l'organisation matérielle des élections de manière à garantir une meilleure articulation.
2) Le droit de vote
- Réviser les dispositions du code électoral de manière à abroger la déchéance électorale automatique ;
- Automatiser l'enrôlement des citoyens ayant atteint la majorité électorale et la radiation des électeurs décédés ;
Faciliter l'enrôlement des primo votants en leur permettant au-delà de la carte d'identité de s'inscrire avec l'extrait de naissance ou le récépissé de la carte d'identité ;
- Faciliter l'exercice du droit de vote des électeurs impactés par les découpages administratifs ;
- Informer et sensibiliser les électeurs pour l'identification des bureaux de vote localisés ;
- Veiller à ce que les listes d'émargement intègrent l'ensemble des électeurs inscrits et permettre aux électeurs omis sur les listes d'émargement d'accomplir le droit de vote ;
- Instituer le bulletin unique aux différents types de scrutin ;
3) La carte d'électeur
- Procéder au découplage de la carte nationale d'identité (CNI) et de la carte d'électeur, envisager la possibilité de voter sur présentation de la CNI tout en facilitant l'accès aux informations électorales ;
- Assurer la traçabilité des cartes d'électeur de manière à localiser celles qui ne sont pas distribuées ;
- Revoir les dispositions de l'article L.54 de manière à mettre en place les commissions administratives de distribution dès la disponibilité des cartes issues de la révision exceptionnelle des listes.
4) Le contrôle du fichier électoral
- Mettre à disposition le registre électoral pour un audit de la société civile contribuer à fournir une évaluation indépendante de la qualité du fichier et cibler les mesures de sensibilisation et inscription des électeurs pour les prochaines échéances.
Revoir le délai de mise à disposition de la liste des électeurs aux candidats de manière à faciliter la distribution auprès des plénipotentiaires (au moins 30 jours avant le scrutin, en même temps que la publication de la carte électorale).
5) La déclaration de candidature et le système de parrainage
- Instaurer un système d'enregistrement et de contrôle des parrainages avec plus de transparence et contrôle par les candidats et de la société civile non partisan et indépendant ;
- Mettre en place auprès de l'autorité de gestion des élections, une commission réception et d'enregistrement des parrainages qui délivre, après contrôle, une attestation de validation et prévoir la possibilité d'ouvrir un contentieux auprès du Conseil constitutionnel ;
- Engager une réflexion sur l'exclusivité de la nationalité du candidat à l'élection présidentielle, les conditions et modalités de production de l'acte de renoncement en cas de double nationalité ;
- Encadrer la campagne de collecte de parrainage pour éviter l'interdiction de réunion et de manifestation publiques sur le parrainage.
- Interdire le retrait de candidature après la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel ;
6) La promotion du dialogue
- Instaurer un dialogue permanent, inclusif, sincère et constructif autour du processus électoral et à la restauration de la confiance aux institutions et entre les acteurs du jeu politique ;
- Accompagner sur les organisations de la société civile dans leurs initiatives de consolidation de la paix notamment en période post électoral ;
- Renforcer l'unité et la cohésion de la société civile afin de consolider un leadership éclairé.
7) Le droit à l'information et l'éducation électorale
- Renforcer l'information, la formation et la sensibilisation de masses sur la citoyenneté et à l'éducation électorale et adapter les messages pour les personnes handicapées selon le handicap, élaborer et vulgariser le glossaire électoral des signes ;
- Faire une sensibilisation pour une liberté de la presse et la hausse leur fonds d'appui afin d'assurer un bon fonctionnement de la presse ;
- Sensibiliser l'État pour une régulation des réseaux sociaux en collaboration avec les professionnels de l'écosystème numérique dans le respect des normes sur la liberté d'expression.
- Sensibiliser l'État dans les sens de prioriser la réforme du cadre juridique et organisationnel régissant les médias d'État en vue de les transformer en de véritables médias de service public."
Liste des organisations :
- RESEAU SIGGIL JIGGEEN
- ONG 3D
- RADDHO
- LSDH
ONDH
URAC
AJED
OSIDEA
CERAG
HANDICAP FORM EDUC
OXY-JEUNES
PRÉSENCE CHRÉTIENNE
AFEX
LIPS
CDE