LA REVANCHE POLITIQUE DE KHALIFA ABABACAR SALL
Depuis sa sortie de prison, certains croyaient à sa mort politique. En leader politique averti, il a su bâtir une forte coalition qui a obtenu d’excellents résultats aussi bien à Dakar que sur l’étendue du territoire nationale
L’ex-maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, semble avoir pris sa revanche aux élections locales de ce dimanche 23 janvier 2022. Combattu, traîné dans la boue et emprisonné dans l’affaire dite de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, Khalifa Sall était resté stoïque, tout en subissant une torture presque psychologique de ses adversaires politiques de la mouvance présidentielle. Depuis sa sortie de prison, certains croyaient à sa mort politique. En leader politique averti, il a su bâtir une forte coalition, « Yewwi Askan Wi », qui a obtenu d’excellents résultats aussi bien à Dakar que sur l’étendue du territoire national.
Khalifa Ababacar Sall, ex-maire de Dakar, est véritablement un homme béni. Epris de justice tout en faisant preuve d’une remarquable patience, il continue d’étonner et de surprendre les observateurs de la scène politique. Avant sa nomination à la mairie de la Ville, Khalifa Sall, alors très proche de l’ancien secrétaire général du Parti Socialiste, Ousmane Tanor Dieng, a vécu l’enfer dans sa propre formation politique. Ayant occupé des postes de responsabilité dans ledit parti, il a été par la suite combattu et poussé vers la sortie. Après une forte résistance à l’interne, il s’est résolu à prendre son destin en main. Il quitte les Verts avec quelques-uns de ses hommes pour poursuivre son chemin politique. Aux élections locales de 2009, Khalifa Sall surprend son monde et se retrouve à la tête de la mairie de la capitale. Après un premier mandat, il réédite l’exploit après avoir mis en place une très grande coalition appelée Taxawou Dakar. Avec cette redoutable machine de guerre, il fait élire la plupart des candidats qu’il a investis dans les 19 communes de Dakar. Ce succès affole le président Macky Sall, arrivé au pouvoir en 2012, qui voient en Khalifa Sall un redoutable obstacle à sa réélection en 2019. Il fallait donc l’éliminer. Pour cela, la machine judiciaire est mise en branle. L’affaire dite de la caisse d’avance de la mairie de Dakar est instrumentalisée pour éliminer un adversaire sur une pente ascendante. La suite, tout le monde la connaît.
Tentatives de liquidation politique de Khalifa Sall
Condamné à cinq ans de prison puis gracié, il est sorti plus déterminé que jamais de ces épreuves en retrouvant la scène politique. Conscient des enjeux politiques, Khalifa Sall a eu le flair d’enrôler plusieurs leaders de l’opposition radicale autour d’une grande coalition. Après plusieurs rencontres avec des leaders, la coalition « Yewwi Askan Wi » est née. Elle regroupe des leaders comme Ousmane Sonko de Pastef, Barthélémy Dias, maire de Mermoz Sacré-Cœur, le Pur (Parti de l’Unité et du Rassemblement) de Moustapha Sy et d’autres personnalités politiques. Une fois la machine activée avec la multiplication des rencontres pour l’établissement des listes et le positionnement des leaders, une nouvelle donne se présente. La Justice convoque Barthélémy Dias dont le dossier portant sur le meurtre du défunt nervi Ndiaga Diouf était en appel. Ce que les membres de la coalition considèrent comme une provocation. Khalifa Sall y voit une volonté manifeste de ses adversaires pour barrer la route et empêcher la campagne de Barthélémy aux élections locales à venir. Livrant une réponse politique, Khalifa Sall avait même menacé de ses foudres les tenants du pouvoir et leurs alliés tout en leur promettant une surprise désagréable au soir du 23 janvier 2022. Depuis lors, l’ex-maire de Dakar n’a cessé d’user de son expérience politique pour aider ses jeunes alliés à contourner les pièges et autres embûches du président Macky Sall et de son régime. Très présent dans l’ensemble des activités politiques de « Yewwi Askan Wi », il insistait toujours sur le respect des principes du combat. De fait, il a beaucoup contribué au succès de la résistance de Barth et de ses camarades.
Investiture tumultueuse de Barthélémy Dias et mutisme de Khalifa Sall
Lors de l’investiture des candidats de Yewwi Askan Wi à la mairie de Dakar, Khalifa Sall avait fait preuve, du moins en apparence, d’une équidistance entre Barthélémy Dias et Soham El Wardini qui l’a remplacé à la mairie de Dakar. L’investiture du maire de Mermoz-Sacrée Cœur actée par cette coalition, Soham El Wardini, laissée en rade, s’est sentie trahie. Et a décidé de poser sa candidature.
Multiples fronts de la coalition « Yewwi Askan Wi »
Avec son professionnalisme et ses talents de diplomate, l’ex-maire de Dakar a pu gérer les humeurs des uns et des autres. Khalifa Sall, stratégique et méthodique dans sa démarche, a su calmer le jeu avec des solutions spécifiques. Sa perspicacité a permis d’aider la coalition « Yewwi Askan Wi » à se concentrer sur l’essentiel. C’est-à dire, aller à la conquête des masses en rangs serrés dans les différentes localités du pays. A l’arrivée, la stratégie de « Yewwi Askan Wi », largement inspirée par lui, a donné les bons résultats de dimanche dernier avec une victoire de la coalition dans plusieurs grandes villes… La reconquête de Dakar, surtout, peut être considérée comme une revanche par procuration de Khalifa Ababacar Sall contre Macky Sall et ses alliés, responsables de sa descente aux enfers.
MOMAR DIONGUE, ANALYSTE POLITIQUE : «Les Dakarois ont mené, par procuration, le combat de la revanche de Khalifa Sall»
La débâcle de la majorité présidentielle est souvent considérée comme étant une revanche de l’ex-maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, qui avait eu à conquérir Dakar en mars 2009 dans le cadre du « Front Siggil Sénégal». Mais, après un mandat, le pouvoir de Macky Sall a adopté l’Acte 3 de la décentralisation pour empêcher, en 2014, la réélection de Khalifa Sall à la ville de Dakar. Aujourd’hui, avec les résultats de ce vote, Khalifa Sall a bien pris sa revanche par rapport à tous ces maires qui étaient avec lui en 2014 et qui ont transhumé lors de sa traversée du désert. Une revanche, surtout, sur le pouvoir qui n’a jamais cessé de dresser des obstacles pour freiner ses ambitions politiques. Momar Diongue, journaliste-analyste politique, a braqué un regard sur les résultats sortis des élections locales de janvier 2022. Ces résultats placent l’opposition à la tête de la majeure partie des communes de Dakar et aussi dans d’autres parties du territoire national. « C’est vrai qu’on peut considérer ce qui est en train de se passer comme une revanche de Khalifa Sall. Il ne faudrait pas perdre de vue qu’en réalité, Khalifa Sall avait eu à conquérir Dakar en mars 2009 dans le cadre du « Front Siggil Sénégal». Ce front qui découlait des Assises nationales était assez particulier », rappelle l’analyste-politique, Momar Diongue.
Parcours du combattant politique, Khalifa Sall et son premier mandat de Maire de Dakar
Le journaliste politologue évoque l’année 2007 avec l’élection présidentielle où Abdoulaye Wade a été réélu au premier tour. Cette victoire, dit-il, a été contestée par l’opposition qui avait préféré boycotter les législatives devant avoir lieu quelques mois après. « L’opposition s’est alors retrouvée hors des institutions en n’ayant pas de représentants au niveau national. Les grandes figures de l’opposition à l’époque étaient Moustapha Niasse, feu Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Bathily et consorts. Ces ténors ont sillonné l’ensemble du pays et initié les Assises nationales. Ensuite, ils ont passé en revue les 40 ans du Parti socialiste, plus les sept ans de règne de la gouvernance d’Abdoulaye Wade. Avec propositions de solutions aux problèmes du pays, ils avaient réussi à rester ensemble pendant une année de 2008 à 2009 ». Momar Diongue renseigne que ces Assises nationales avaient produit la charte démocratique, une plateforme commune sur la base de laquelle les initiateurs s’étaient retrouvés dans le « Front Siggil Sénégal ». Khalifa Sall avait été choisi pour être candidat à la mairie de Dakar et Malick Gackou au conseil régional. Par la suite, ces leaders ont battu campagne ensemble pour déboulonner le Parti démocratique sénégalais qui contrôlait la mairie de Dakar à travers Pape Diop. Le journaliste précise que c’est de 2009 à 2014 que Khalifa Sall a eu son premier mandat de maire de Dakar. « En 2014, entre-temps, il y a eu la présidentielle de 2012 qui avait consacré la victoire du président Macky Sall. Mais, devant aller à la recherche d’un second mandat, en 2013, Mbaye Ndiaye du parti APR a dit à Khalifa Sall que s’il veut garder son rang de maire, il n’a qu’à rejoindre officiellement les rangs de l’APR. C’était le premier défi lancé à Khalifa Sall. L’ex-Maire avait refusé de céder à ce chantage », indique Momar Diongue.
Acte 3 de la décentralisation, un piège contourné en 2014
Ainsi, il y a eu des élections en 2014. Et entre temps, l’acte 3 de la décentralisation, dont les soubassements étaient politiciens, a été adopté. Les motivations de cet acte 3 consistaient à empêcher à Khalifa Sall de faire campagne en tant que maire sortant de la ville de Dakar. « La principale réforme qui avait été introduite par l’acte 3, était que ceux qui prétendaient être candidats à la mairie de Dakar devaient gagner leurs propres circonscriptions. Khalifa Sall était à Grand- Yoff qui était la circonscription du Premier ministre d’alors, Aminata Touré. Ce que voulait Macky Sall, c’était de battre Khalifa Sall à Grand-Yoff afin de l’empêcher de rempiler » poursuit notre interlocuteur. A l’en croire, Khalifa Sall avait contourné ce piège en demandant aux autres maires des 19 communes d’arrondissement de se regrouper derrière lui pour battre campagne pour la ville de Dakar. C’est ce regroupement des maires qui avait donné naissance à « Taxawou Dakar ». C’est avec «Taxawou Dakar» que tous les maires qui lui étaient fidèles, étaient allés à l’époque à la conquête de Dakar pour un second mandat. Il y avait Alioune Ndoye, Banda Diop, Moussa Sy. « Tous ceux qui l’ont laissé aujourd’hui, étaient avec lui. Et, c’est avec eux qu’il avait battu campagne pour gagner les locales de 2014 à Dakar. Après, il y’a eu cette affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar qui lui a créé des déboires judiciaires. Ensuite, Macky Sall a travaillé à couper les liens entre Khalifa Sall et certains maires dont Jean-Baptiste Diouf de Grand-Dakar, Moussa Sy des Parcelles assainies, Alioune Ndoye du Plateau, Banda Diop de la Patte-d’oie. Ces derniers sont allés rejoindre la mouvance présidentielle », rappelle Momar Diongue.
Khalifa Sall et son équipe gagnante prennent leur revanche
Momar Diongue constate que Khalifa Sall, inéligible, a accompagné symboliquement et de manière honorifique la coalition « Yewwi Askan Wi » qui vient de gagner Dakar. Pour l’analyste, cela veut dire qu’il a bien pris sa revanche par rapport à tous ces maires qui étaient avec lui en 2014 et qui l’avaient abandonné par la suite. Alioune Ndoye, Banda Diop, Moussa Sy, Jean Baptiste Diouf entre autres. Et sa deuxième revanche, c’est sur le président Macky Sall, qui l’avait dépouillé de tous ses droits, qu’il l’a prise. « Aujourd’hui, son poulain Barthélémy Dias vient de conquérir la mairie de Dakar. Ça, c’est une belle revanche de Khalifa Sall vis-à-vis de toute sa trajectoire qu’il a connue et qui est parcheminée d’embûches. Le hasard a fait que Khalifa Sall se retrouve avec Malick Gackou dans « Yewwi Askan Wii. C’est comme si l’histoire se répétait », estime Momar Diongue.
Le combat de la revanche de Khalifa Sall mené par procuration
Selon l’ancien chef du desk politique du défunt hebdomadaire « Nouvel Horizon », de manière générale, les Sénégalais n’aiment pas qu’un pouvoir politique fort s’acharne sur un parti faible de l’opposition. Les Sénégalais avaient en 2008 considéré qu’il y avait une injustice contre Moustapha Niasse et Djibo Ka. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’e ces derniers avaient obtenu 20% de l’électorat du président Abdou Diouf. Abdoulaye Wade en 2007 a eu des problèmes avec Idrissa Seck et les Sénégalais lui ont accordé massivement leurs suffrages malgré la victoire de Wade au premier tour. Et c’est exactement ce qui s’est passé à Dakar avec ces élections locales du 23 janvier dernier. « Les Dakarois, ont mené par procuration, le combat de la revanche de Khalifa Sall à travers le vote pour Yewwi Askan Wi. Khalifa Sall, assez mûr politiquement et très respecté, doit jouer un meilleur rôle pour être l’élément fédérateur afin d’éviter la dispersion des forces pouvant naître des chocs d’ambitions », conclut l’analyste politique.