L'AVIS SECRET QUI A FAIT PLIER MACKY SALL
Le Conseil constitutionnel a résisté aux pressions des partisans d'un 3e mandat. Son président Mamadou Badio Camara révèle l'existence d'une demande d'avis officielle. Le verdict négatif aurait pesé lourd dans le renoncement de l'ancien chef d'État
(SenePlus) - Dans un témoignage sans précédent livré début octobre lors de l'édition 2024 de la Nuit du Droit au Conseil constitutionnel français, Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel sénégalais, a levé le voile sur la question du troisième mandat de l'ancien président Macky Sall.
Pour la première fois depuis la fin de cette crise politique majeure, il a confirmé que son institution avait été officiellement saisie pour avis sur la possibilité d'un troisième mandat. "L'avis a été donné très rapidement, très vite, sur l'impossibilité de briguer un troisième mandat", a révélé M. Camara, s'appuyant sur la disposition constitutionnelle issue de la révision de 2016.
Cette révision, initiée paradoxalement par Macky Sall lui-même, stipulait clairement que le président "ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs". Ayant exercé un premier mandat de 2012 à 2019, puis un second de 2019 à 2024, la situation semblait juridiquement sans ambiguïté.
Le magistrat a également évoqué les "fortes pressions" exercées sur le Conseil constitutionnel durant cette période critique. "Il y a eu beaucoup de tensions. Il y a eu beaucoup de pressions", a-t-il reconnu, tout en précisant que ces pressions étaient "peut-être un peu normales" dans le contexte d'une élection présidentielle où "les enjeux sont très importants et les politiques peuvent être féroces avec tout ce qui peut contredire ou contrecarrer leur projet".
Malgré ces pressions, M. Camara affirme que son institution est restée fidèle à sa mission constitutionnelle : "On a fait l'effort d'exercer notre métier de la manière la plus conforme à la Constitution du Sénégal et aux lois électorales du Sénégal."
Cette révélation apporte un éclairage nouveau sur la décision de Macky Sall qui, après des mois de suspense et de tension politique, avait finalement annoncé en juillet 2023 qu'il ne briguerait pas un troisième mandat. Selon les propos de M. Camara, l'avis négatif du Conseil constitutionnel "a peut-être influé sur la décision de renoncer à cette tentative de troisième mandat".
Au cours de son intervention, le président du Conseil constitutionnel a également analysé la singularité démocratique sénégalaise dans le contexte africain. Il a notamment évoqué l'héritage de "l'arbre à palabre", une tradition ancestrale de résolution des conflits par le dialogue et le consensus.
"On nous a dit que c'était un peu dans l'ADN du Sénégal", a expliqué M. Camara, décrivant cette pratique où les anciens se réunissaient pour discuter des problèmes de la communauté et trouver des solutions consensuelles, "acceptées à 100% par toutes les parties".
Interrogé sur la perception de la démocratie française au Sénégal, M. Camara a souligné l'influence considérable de la Constitution française de 1958 sur le système institutionnel sénégalais, tout en reconnaissant que toutes les démocraties peuvent traverser des périodes de turbulence.