«LA TRANSHUMANCE N’A JAMAIS PAYE EN POLITIQUE»
De l’avis du professeur en Science politique à l’Ugb, Amadou Kah, le Sénégal fait face à que l’on appelle « blanchiment de légitimité», d’autant plus que ceux qui ont été sanctionnés par le peuple se font recycler par le régime en place
À moins d’un an de l’élection présidentielle au Sénégal, la pratique de la transhumance politique semble atteindre des propensions, à la limite, inquiétantes. De l’avis du professeur en Science politique à l’Ugb, Amadou Kah, le Sénégal fait face à que l’on appelle « blanchiment de légitimité», d’autant plus que ceux qui ont été sanctionnés par le peuple se font recycler par le régime en place. Toutefois, le professeur soutient, sans ambages, que cette pratique n’a jamais été payante par leurs auteurs, tout comme pour ceux qui l’encouragent.
Pourquoi le Président Macky Sall a-t-il recours à des opposants ou transhumants pour s’assurer la victoire, lors de la présidentielle de 2019 ?
Par rapport à la transhumance, à la pêche aux transhumants, il faudrait les appeler des… ingrats. Parce que ce sont des gens qui ont trahi le peuple, qui ont été sanctionnés par le peuple et qui veulent aujourd’hui retourner leur veste. Quand on a un bilan positif, on n’a pas besoin d’aller à la pêche de ces gens qui ont été rejetés par le peuple. C’est parce que quelque part, le président de la République a eu une lecture assez lucide de ce qu’il pèse réellement sur le pays puisque beaucoup d’observateurs considèrent que c’est un président qui a été élu par defaut. Si l’on tient en compte le nombre de suffrages, de voix qui lui ont permis de devenir président, l’on se rend compte qu’il n’a pas une légitimité en chiffre total convaincant, parfait, confortable, susceptible de lui permettre d’avoir un deuxième mandat. Et cela, d’autant plus que comme on peut le constater, son bilan est loin d’être positif puisqu’il a trahi les principes, les convictions, les valeurs, la morale pour lesquelles on l’avait élu. Et malgré tout, cette élection a posé beaucoup de problèmes. Je vous rappelle qu’il y a un des candidats qui ne devait pas se présenter à ces élections, en l’occurrence Maitre Abdoulaye Wade, et malgré tout il a obtenu 600 000 voix au premier tour, cette année-là, et au second tour 1 900 000 voix avec 48% de taux d’abstention chez les électeurs, en d’autres termes 1 Sénégalais sur 2 n’a pas voté. Ce qui signifie que nos gouvernements que l’on dit démocratiques sont loin de l’être parce que la légitimité des chiffres est loin de satisfaire à l’exigence démocratique, de ce que l’on pourrait appeler la démocratie parfaite au sens noble du terme. Parce que l’on se rend compte que nous avons des présidents qui ont été élus avec un taux d’abstention énorme. Et aujourd’hui, après sa lecture plus logique de la situation, Macky Sall sait qu’avoir un second mandat sera extrêmement difficile et de l,à il ne lui reste que la trahison du vote des Sénégalais qui consiste aller rechercher et repêcher des gens qui ont été sanctionnés par le peuple. Et ces gens-là qui ne représentent absolument rien, parce qu’on le sait, le taux d’adhésion des partis politiques au Sénégal est extrêmement faible. Ce n’est pas avec ces gens-là qui ne représentent rien et qui appartenaient au régime libéral qu’on cherche à réhabiliter en trahissant au passage notre pays, le Sénégal. C’est faire preuve d’irrespect, c’est faire preuve d’inélégance républicaine, c’est faire preuve de trahison par rapport à la démocratie. Et c’est la raison pour laquelle je vous dis qu’aujourd’hui, nous sommes face à ce que l’on appelle blanchiment de légitimité, trucage de légitimité. Parce que ces gens-là que l’on cherche à légitimer ne pèseront certainement pas dans le vote des Sénégalais mais certains diront que c’est de bonne guerre.
Mais, il ne faut pas oublier que le maire de la Médina, Bamba Fall, a été indéboulonnable dans sa commune…
Attention, l’électorat varie. Les gens qui ont choisi Bamba Fall, c’était pour des raisons évidentes puisqu’il se réclamait socialiste et qu’il défendait une idéologie. Puisqu’il était opposé au pouvoir, les gens de sa localité ont eu confiance en lui. A partir du moment où il va valider son immigration vers les couleurs marron et beige, est-ce que les électeurs qu’il avait de la Médina ne vont pas changer l’image positive qu’ils avaient de lui ? Parce qu’à un moment, les gens sont loin d’être des personnes absurdes. Ils réfléchissent, ils ont une certaine maturité, ils peuvent se dire que cette personne-là est obnubilée par autre chose que la volonté de servir son peuple et que peut-être aujourd’hui, il va retrouver le camp d’en face. Rappelez-vous aujourd’hui combien y a-t-il eu de ministres qui s’étaient opposés à lui, à la Médina, et pourtant ils ont été battus. Donc, ce n’est pas le fait d’appartenir à une majorité qui est au gouvernement qui peut permettre de gagner des élections. Beaucoup de membres du gouvernement se sont opposés à Bamba Fall et cela ne l’a pas empêché de sortir victorieux de cette bataille. Rien ne nous dit qu’aujourd’hui, les électeurs de la Medina vont renouveler leur confiance. Il y a quelque chose qui est détestable en politique et que les gens n’admettent plus, ce qui les pousse d’ailleurs à une certaine forme d’indifférence politique et qui les pousse à l’abstentionnisme, c’est parce que quelque part ils voient que les gens ne respectent pas le suffrage des Sénégalais parce qu’ils sont obnubilés par le chiffrage. Ils sont à la quête du chiffrage, ils sont dans la quête du second suffrage et au passage, ils ne respectent pas cette légitimité que leur confère le peuple. Et je pense que quelque part, ce sont des opérations qui ne sont pas payantes. On a eu des exemples au Sénégal sous Abdou Diouf. Sous Abdoulaye Wade, ça a eu des proportions inquiétantes. Cela n’a pas empêché les Sénégalais de sanctionner Le président Abdoulaye Wade. Je pense qu’aujourd’hui au Sénégal, le taux d’adhésion des partis politiques est extrêmement faible. Si vous rassemblez l’ensemble des militants des partis politiques, ça ne fait même pas 1 million. On a plus de 6 millions d’électeurs qui n’appartiennent pas à ces partis politiques. Parmi ces 6 millions il y a 50% qui ne votent pas. Et ce sont ces gens-là qui vont faire la différence. Ce n’est pas en procédant à ces magouilles électorales, ces magouilles de légitimité et de transhumance extra qu’ils vont changer la donne. Je pense que c’est un exercice qui est perdu d’avance, je ne pense pas que les Sénégalais vont accepter ce diktat que l’on déteste en politique et qui les éloigne souvent de la politique.
La transhumance est-elle gage de gain électoral ?
La transhumance n’a jamais payé en politique. Beaucoup d’hommes politiques ont trahi en un moment donné leur conviction et ont migré vers le pouvoir. Cela n’a pas été une démarche fructueuse. Quelque part, cela a même éloigné les électeurs de ces gens-là. Aujourd’hui, s’ils avaient un quelconque poids politique, Abdoulaye Wade n’aurait jamais perdu le pouvoir. La Pds a implosé en mille morceaux, ce ne sont pas ces gens-là qui ne sont plus au pouvoir aujourd’hui, qui n’ont plus leurs moyens politiques qui vont supporter quelqu’un en espérant gagner. Cela n’aura aucune conséquence. Ce n’est qu’une illusion, une mauvaise lecture de la situation, une mauvaise lecture de la situation électorale qu’on a aujourd’hui dans ce pays et on s’enferme dans ce type de pratique. Et chaque fois qu’on pose cet acte-là, on éloigne même les électeurs de son clan. Parce que le peuple qui a voté pour Macky Sal en 2012, ce peuple-là ne se retrouvait parmi ces gens qui étaient au pouvoir. Comme ils ont une mauvaise lecture et qu’ils pensent qu’ils vont gagner les élections par le biais des partis politiques, ils apprécient mal la situation. On ne gagne pas les élections surtout présidentielles au Sénégal en se contentant seulement d’un appareil politique partisan. Il faut compter sur la société civile, sur ces Sénégalais qui sont chez eux, qui n’appartiennent à aucun parti politique et qui restent avec leurs parents et amis pour essayer de changer la donne. Aujourd’hui, je pense qu’il y a une dynamique de sensibilisation qui va être opérée et qui surprendrait activement les Sénégalais sur la nécessité de sensibiliser à ne plus faire confiance à ces politicards, à ces clans politiques qui ont défiguré la démocratie au Sénégal, qui ont défiguré la démocratie et qui ont dépouillé l’Etat de ses caractéristiques fondamentales. Il faut juste prier pour la bonne chance parce que je ne pense pas que cela puisse être une opération gagnant-gagnant.