L’ASSEMBLÉE DIT NIET À DIOMAYE
Les débats précédant le rejet du projet de suppression du HCCT et du CESE ont mis en lumière des divergences profondes sur des questions sensibles telles que la gestion des fonds politiques et l'approche de l'État envers l'homosexualité
L’Assemblée nationale a rejeté hier, lundi 2 septembre, le projet de réforme constitutionnelle portant suppression du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) et du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Soumis au vote après de débats largement dominés par la question de la suppression des fonds politiques, de la déclaration de politique générale et la pénalisation de l’homosexualité, le texte a obtenu 83 voix contre et 80 pour, 02 voix ont été nulles.
L’Assemblée nationale refuse d’entériner la suppression du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) et du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Réunis en session plénière en vue de l’examen du projet de loi constitutionnelle portant suppression de ces deux institutions, les députés ont rejeté par 83 voix contre, 80 pour et 02 voix nulles, ce texte défendu par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Soumis au vote, après plusieurs tours d’horloge de débats portant sur plusieurs questions dont la suppression des fonds communs, des fonds politiques logés à la présidence de la République et à la Primature, mais sur la criminalisation de l’homosexualité, ce texte n’a pas donc obtenu la majorité des 90 voix requis. Lors des débats qui ont précédé ce vote historique, les députés de la majorité parlementaire Benno bokk yakaar ont évoqué plusieurs griefs pour justifier leur position. Ils ont notamment déploré la manière dont l’Assemblée nationale a été saisie par l’exécutif.
En effet, selon certains d’entre eux, l’Assemblée nationale, y compris son président, a appris cette réforme sur les réseaux sociaux au même moment que les Sénégalais, à travers le communiqué de la présidence de la République en date du 26 août dernier. Une démarche qui, selon eux, « tranche tant dans sa forme que dans son contenu, ainsi que ses motivations profondes avec l’élégance républicaine et l’impératif du respect mutuel entre les institutions ». Loin de s’en tenir là, ils ont également fait remarquer que la présentation de ce texte devait être précédée par la tenue de la déclaration de politique générale du Premier ministre. Mieux, ils ont souligné que, compte tenu du fait que cette réforme relève d’une promesse de campagne électorale, le Chef de l’État aurait dû y inclure la suppression des fonds communs, des fonds politiques logés à la présidence de la République et à la Primature, mais aussi la criminalisation de l’homosexualité qui étaient également des promesses de campagne électorale.
« La soumission de ce texte atteste de la légalité et la légitimité de cette législature à recevoir la Dpg du PM. Au lieu de s’acquitter de cet exercice républicain, l’exécutif nous sert ce projet de loi fallacieux sur la suppression de ces deux institutions que la majorité va rejeter en toute responsabilité. » a martelé Ibrahima Baba Sall. « L’exécutif ne devrait pas seulement viser la suppression de ces deux institutions mais les fonds politiques que le Premier ministre, Ousmane Sonko, qualifiait de haram (illicite) quand il était dans l’opposition. Ensuite, on a vu Ousmane Sonko dérouler le tapis rouge à Jean Luc Mélenchon, fervent défenseur de la cause Lgbt alors que Pastef a toujours accusé à tort le président Macky Sall de vouloir légitimer l’homosexualité. », a renchéri son collègue Karim Séne. Abondant dans le même sens, Nicolas Ndiaye par ailleurs Secrétaire général de la Ligue démocratique (Ld) a fait remarquer que « Pastef et son régime cherchent tout simplement, à travers ce texte, à mettre notre coalition en mal avec le peuple en disant qu’ils voudraient réduire les dépenses publiques mais que c’est nous qui ne voulons puisque » car « ils savent très bien qu’ils n’auront pas la majorité ». Poursuivant son propos, il a invité ses collègues à refuser de céder à ce chantage en votant contre ce texte. Pour sa part, Abdoulaye Wilane a accusé les nouvelles autorités d’être dans la manipulation et la ruse. « En démocratie, le pouvoir implique la responsabilité mais depuis qu’ils sont à la tête de la République, ceux qui nous dirigent sont dans la manipulation et la ruse. En tant que député socialiste, j’invite tous mes collègues à suivre la commission des lois en rejetant ce texte ». « Réviser la Constitution est un acte plus grave que la déclaration de politique générale », a indiqué Seydou Diouf de BBY avant de faire remarquer que l’existence du Hcct et du Cese n’a pas empêché le gouvernement sous Macky Sall de construire des hôpitaux, des universités. « Je l’ai dit et je le répète, je suis contre le populisme. Combien de lycées, d’écoles et d’autres infrastructures ont été construites par le budget de la République du Sénégal ? », a-t-il martelé. Prenant la parole en dernier, Abdou Mbow a annoncé qu’il va dès demain (ndlr-aujourd’hui), avec son groupe parlementaire déposer une motion de censure pour faire tomber le Premier ministre afin de provoquer l’ouverture d’une deuxième session extraordinaire.
De leur côté, estimant qu’ils avaient pris l’engagement lors de la campagne électorale des législatives de 2022 de supprimer ces deux « institutions budgétivores socialement rejetées et politiquement inutiles», les députés issus de l’inter coalition Yewwi askan wi-Wallu Sénégal ont fait bloc commun autour de ce texte. Car, selon eux, ces deux institutions n’ont jamais produit un avis sur lequel le Chef de l’Etat s’est appuyé pour engager une réforme majeure en vue d’améliorer les conditions socio-économiques des populations. « Nous sommes très à l’aise sur ce texte portant sur la suppression de ces deux institutions qui figurait sur notre programme de campagne », a indiqué Bara Guèye avant de lancer à l’endroit de ses collègues de la majorité parlementaire. « Vous n’avez pas le droit de refuser au président Diomaye ce que les enfants du président Wade n’avaient pas refusé au président Macky Sall en 2012 ». Prenant la parole un peu avant, Lamine Thiam, président du groupe parlementaire Wallu a indiqué que son groupe parlementaire votera ce projet pour rester cohérent avec sa position. « Le débat de ce soir est éminemment politique et non économique puisque ces institutions ont été créées par un régime qui a été balayé par le peuple », dira-t-il. « Une coalition qui a passé tout son mandat à emprisonner ses opposants n’a pas le droit de parler d’élégance. Si le président Diomaye voulait faire de la politique politicienne, il allait signer un décret mettant fin aux mandats du président Abdoulaye Daouda Diallo au Cese et Aminata Mbengue Ndiaye à la tête du Hcct puisqu’ils ont été nommés par décret à la tête de ces institutions », renchérit son collègue chef de file du groupe Yewwi Askan wi, Ayib Daffé.
Auparavant, c’est Cheikh Abdou Mbacké Bara Dolly qui a été le premier à ouvrir les hostilités en faisant remarquer à ses collègues de Benno : « Sachez que vos jours sont comptés. D’ailleurs, j’en profite pour demander à Monsieur le ministre de la Justice de dire au chef de l’Etat de procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale le 12 septembre et de mettre tous ces gens en prison pour leur implication dans tout ce qui s’est passé, ces dernières années au Sénégal ». Abondant dans le même sens, Sanou Ndione de la plateforme Taxawu Sénégal a invité leurs collègues de Benno à ne pas ramer contre la volonté du peuple sénégalais qui s’est largement prononcé pour la suppression de ces deux institutions en votant pour le président Diomaye. « Ce sont les Sénégalais qui ont choisi le président de la République pour définir et exécuter la politique de la Nation à travers son gouvernement et non l’Assemblée nationale dont la mission est de voter les lois et contrôler l’action du gouvernement. Nous devons voter ce texte et laisser les Sénégalais apprécier à l’heure du bilan. Soyez grands. 12 ans durant, vous avez fait tout ce que vous voulez et personne n’a rien dit. Il ne faut pas que l’Assemblée nationale commette une deuxième erreur après le refus du débat d’orientation budgétaire ».
Prenant la parole, Pape Djibril Fall tout en annonçant qu’il va voter pour cette suppression, a prôné la stabilisation des institutions républicaines. « Il est temps de stabiliser définitivement nos institutions. Le président Diomaye ne doit pas supprimer pour supprimer », a-t-il fait remarquer tout en invitant ses collègues de Yewwi à dire la vérité aux Sénégalais et au président de la République parce que ce n’est pas avec le budget qui sera économisé de la suppression de ces institutions qu’on pourra régler les problèmes des Sénégalais.