L’ASSEMBLÉE NATIONALE EN SURCHAUFFE
Le débat sur la suppression du HCCT et du CESE a atteint son paroxysme jeudi. Dans une atmosphère électrique, les députés pro-gouvernement ont défendu une mesure "nécessaire", tandis que l'opposition a dénoncé un "coup de force institutionnel"
L’Assemblée nationale a lancé hier, lors de l’ouverture de sa deuxième session extraordinaire de l’année 2024, le processus devant déboucher sur l’examen du projet de loi portant dissolution du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) et du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE).
L’Assemblée nationale a ouvert sa deuxième session extraordinaire de l’année 2024 convoquée par le président de la République conformément à l’article 63 de la Constitution. Ce processus devra aboutir à l’examen du projet de loi portant dissolution de deux institutions : le Conseil économique social et environnemental (CESE) et le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT).
Après avoir annoncé l’ouverture de cette session extraordinaire, convoquée par le chef de l’État par décret, Amadou Mame Diop, le président de l’Assemblée nationale, a indiqué que les présidents des groupes parlementaires allaient se réunir « immédiatement » pour déterminer la suite de la procédure. Lors de l’ouverture de la session extraordinaire, hier, 98 députés étaient présents. En principe, ils devront s’entendre sur les dates de l’examen du projet de loi en commission technique et en séance plénière. Cette réforme constitutionnelle, qui supprime ces deux organes consultatifs jugés « budgétivores » et « inutiles », s’inscrit dans le cadre d’une transformation de la gouvernance publique et de la rationalisation des dépenses, selon le président de la République en Conseil des ministres, mercredi dernier. « Cette proposition s’inscrit dans le cadre du renforcement des réformes constitutionnelles, de l’amélioration continue du processus de prise de décision des pouvoirs publics, et de la rationalisation systématique des charges de l’État, différents piliers de la doctrine de transformation de la gouvernance publique, voulue à travers la mise en œuvre accélérée du programme de gouvernance dénommé : le Projet », a expliqué à cette occasion le chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye.
Selon Amadou Ba, député de la minorité Yewwi Askan Wi (YAW), c’est une promesse électorale qui est en train d’être honorée. « La suppression du HCCT et du CESE est normale dans la mesure où cela était inscrit dans le programme du président de la République lors de la campagne électorale. Ce n’est pas une stratégie, ni une tactique, mais un engagement que nous avions promis aux Sénégalais », explique-t-il. Amadou Bâ estime qu’il est essentiel que les 15 milliards alloués à ces deux institutions soient réaffectés à d’autres programmes dans le cadre de la future loi des finances. Le député rappelle que de nombreuses institutions ont été dissoutes sans bruit parce qu’elles relevaient d’un décret, notamment la Commission pour le Dialogue des Territoires. « Ces deux institutions nécessitent, étant donné qu’elles sont inscrites dans la Constitution, une révision constitutionnelle pour être supprimées. Nous n’avons pas vu, dans le projet de révision constitutionnelle, une volonté de création d’une nouvelle institution pour les remplacer », ajoute-t-il comme pour répondre à des détracteurs qui estiment que d’autres institutions pourraient être créées à la place de celles qui vont être supprimées.
Des opposants dénoncent la manœuvre du président de la République
Comme on pouvait s’y douter, la dissolution du CESE et du HCCT ne fait pas l’unanimité parmi les députés de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY, ancienne majorité présidentielle). Lesquels sont confrontés à un dilemme, une équation alambiquée et difficile à résoudre. Pour résoudre cette situation complexe posée par les nouveaux maîtres du pays, la majorité parlementaire avait réuni ses députés mardi pour mieux préparer le « suicide » politique auquel, selon eux, le Président Faye les invite. Si certains voient à travers ce projet de loi un traquenard tendu par l’exécutif, d’autres considèrent que cette dissolution est une question de survie politique. En effet, que ce texte soit voté ou non, le Président Diomaye pourra, tôt ou tard, dissoudre l’Assemblée nationale pour consolider son pouvoir. « C’est un piège qu’ils nous (Ndlr, les gens du pouvoir) ont tendu. Si nous refusons de voter, ils vont essayer de retourner l’opinion contre nous en affirmant que nous ne sommes motivés que par des intérêts personnels », rappelle un député de Benno sous couvert de l’anonymat. « Nous ne sommes pas nés pour être députés. Personnellement, quel que soit le projet que Diomaye Faye présente à l’Assemblée nationale, je voterai contre. Soit on fait de la politique, soit on en fait pas. Sonko ne nous a jamais rien pardonné. Par conséquent, nous devons créer un contre-pouvoir avec notre majorité », fulmine une députée de l’APR.
Dans une lettre adressée aux députés, Abdou Fall, ancien ministre d’État, s’est prononcé sur le projet de loi portant suppression du CESE et du HCCT. M. Abdou Fall a tenu à être clair en affirmant ceci : « Qu’on me prouve que ces missions, parmi d’autres, du Conseil Économique, Social et Environnemental ne sont d’aucun intérêt pour ces dirigeants actuels, dont la plupart font leur baptême de feu dans la décision politique au niveau le plus élevé de notre État. » Selon lui, à ce moment précis, d’autres sujets de fond devraient mobiliser les élites et les citoyens de notre pays. « Le Président Bassirou Diomaye Faye en a décidé autrement en convoquant d’urgence le Parlement, juste pour la dissolution de deux institutions de la République, le Conseil Économique, Social et Environnemental et le Haut Conseil des Collectivités Territoriales », poursuit-il
Abba Mbaye, député de Taxawu Sénégal, s’est exprimé après l’ouverture de session extraordinaire hier. Selon lui, cet acte posé par le chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye, montre que le Sénégal n’est pas encore une grande démocratie. « Notre pays sera une vraie démocratie stable lorsque nous aurons des institutions crédibles et stables. Nous ne pouvons pas concevoir que chaque régime qui arrive au pouvoir essaie de mettre en place ses propres institutions. Nous avons vu le Sénat, le Haut Conseil... », détaille-t-il. Selon lui, il est temps de s’accorder sur le type d’institutions que notre pays souhaite avoir. « Le débat aujourd’hui, c’est de discuter sur le caractère des institutions que nous voulons. Les autorités ne peuvent pas proposer des textes pour supprimer des institutions sans pour autant nous dire ce qu’elles vont mettre en place. Elles veulent avoir la majorité pour pouvoir instaurer les institutions du Projet. Nous n’avons pas besoin de cela. Qu’elles arrêtent de nous parler des 15 milliards. La démocratie n’a pas de prix ! », s’exclame le député qui fut pourtant un allié de Pastef dans le cadre de la coalition Yewwi Askan Wi.
Un consensus avant la dissolution
Si la suppression des deux institutions place la majorité parlementaire (opposition) dans une situation inconfortable pour certains, d’autres dénoncent une décision précipitée, prise sans consensus préalable. Selon Doudou Wade, ancien président du groupe parlementaire libéral et démocratique (Parti Démocratique Sénégalais), les missions consultatives de ces deux institutions, en particulier en matière de développement social, sont importantes. « Si l’on met de côté la mission du HCCT, le CESE pourrait parfaitement assumer ses responsabilités. En revanche, éliminer le CESE laisserait le HCCT incapable de remplir cette mission », souligne-t-il, en ajoutant que 90 % des pays disposent d’un Conseil économique ou d’institutions similaires. « Et comme la majorité des pays en ont un, je préfère que nous en ayons aussi plutôt que de nous en priver », précise-t-il.
Le Parlement est dominé par la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) et ses 82 députés élus lors des législatives du 31 juillet 2022. Il est enfin à préciser qu’une majorité des 3/5 des suffrages exprimés (par les députés présents) est nécessaire pour amender la Constitution. Dans le cas où ils seraient tous présents, il faudrait 99 voix pour que le projet de loi portant dissolution du CESE et du HCCT soit adopté.