LE NÉOSOUVERAINISME AFRICAIN
Achille Mbembe critique l'incapacité de la France à comprendre le changement en Afrique. Il souligne une politique à deux faces menée sous la présidence de Macron, dont une dimension "nocturne" en contradiction avec le discours officiel
Dans un entretien exclusif accordé à l'hebdomadaire français Politis, Achille Mbembe, intellectuel camerounais renommé, prend position sur les récents coups d'État en Afrique, les considérant comme la fin d'un cycle historique marquant la fin de la "Françafrique". Selon lui, la France ne dispose plus des moyens nécessaires pour imposer sa volonté à ses anciennes colonies, laissant place à l'émergence de nouveaux acteurs et à l'aspiration des jeunes Africains à une véritable souveraineté.
Mbembe décrit un phénomène de "néosouverainisme" en Afrique qui renverse les rapports de force, où les conflits se déroulent principalement entre des Africains eux-mêmes. Les coups d'État seraient ainsi l'expression de ce basculement et de la volonté des jeunes générations de provoquer des changements.
L'intellectuel souligne également la fracture démographique béante entre les jeunes générations africaines et les élites dirigeantes. Il prédit une aggravation des conflits de genre sur le continent, avec une rébellion silencieuse des femmes, ainsi qu'un renforcement des luttes pour les moyens d'existence au sein des couches populaires africaines.
Mbembe pointe du doigt les classes dirigeantes cherchant avant tout à accumuler des rentes et à contrôler l'État et les zones de prédation économique, ainsi que leur arrimage croissant à la finance et aux intérêts économiques transnationaux.
L'intellectuel invite à analyser les "lames de fond" sociétales qui sous-tendent les événements en Afrique, au-delà de leur simple manifestation politique. Il estime que d'autres coups d'État resteront probables tant qu'il n'y aura pas de possibilités réelles de changement démocratique.
En ce qui concerne la politique africaine de la France, Mbembe affirme que le pays ne dispose plus des moyens nécessaires pour imposer sa volonté à ses anciennes colonies. Il critique l'incapacité de la France à comprendre et accompagner le changement en Afrique, et souligne une politique à deux faces menée sous la présidence de Macron, avec une dimension "nocturne" se déroulant dans l'ombre, en contradiction avec le discours officiel.
Selon l'intellectuel camerounais, il est temps pour la France d'abandonner sa vision sécuritaire et commerciale de l'Afrique pour "refonder" sa relation avec le continent, en prenant en compte le changement majeur en cours et en reconnaissant que l'avenir de l'Afrique est désormais aux mains des Africains.
Cet entretien avec Achille Mbembe soulève des questions cruciales sur l'avenir de l'Afrique et la redéfinition des relations entre la France et ses anciennes colonies. Il met en lumière les aspirations des jeunes générations africaines à une véritable souveraineté et souligne l'importance de comprendre les dynamiques sociétales profondes qui façonnent le continent.