L'HEURE DU CHOIX
Deux visions diamétralement opposées s'affrontent: d'un côté la pérennisation d'un système établi, de l'autre l'avènement d'une nouvelle ère de changements. Un tournant majeur dans l'histoire politique récente du pays
Les Sénégalais sont appelés aux urnes ce dimanche 24 mars pour élire leur président de la République. Ils devront départager deux candidats aux projets de société radicalement opposés: Amadou Ba, représentant de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar, et Bassirou Diomaye Faye, qui porte les couleurs de l'ex-Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), formation dissoute par le gouvernement en juillet dernier. Selon le politologue Moussa Diaw, cité par le journal Le Monde, "jamais, dans leur longue histoire démocratique, la tenue d’une présidentielle n’aura été aussi éprouvante".
En effet, cet intense scrutin, inédit de par son accouchement difficile, consacre une nette polarisation entre les partisans d'une continuité politique et les tenants d'une rupture franche. D'un côté, Amadou Ba, ancien premier ministre et ministre des finances de 62 ans, prône une stabilité dans la gouvernance du pays. De l'autre, Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, dauphin de l'opposant Ousmane Sonko, défend des changements radicaux notamment dans la lutte contre la corruption et la réforme de la gouvernance.
Cette division se reflète également sur les plans économique et diplomatique. Candidat décrit comme "pro-français" par ses adversaires, Amadou Ba propose de poursuivre les relations privilégiées avec la France, premier partenaire économique et commercial du Sénégal. Bassirou Diomaye Faye, issu de l'ex-Pastef qui milite pour une sortie du franc CFA et la remise en question des accords liés à l'exploitation future des hydrocarbures, appelle à une plus grande souveraineté et à un rééquilibrage des alliances du pays.
Sur le plan économique, le Fonds monétaire international a conditionné son soutien financier au maintien du programme d'ajustement structurel, comprenant une réduction des subventions. Or, selon Abdourahmane Diouf, allié de la coalition "Diomaye président", "le Sénégal est un pays souverain qui décide des secteurs de son économie à subventionner ou non". L'opposition, méfiante vis-à-vis des plans d'ajustement, promet de trouver "d'autres financements alternatifs".
Fort de son image d'intégrité forgée par son leader Ousmane Sonko, ancien agent des impôts "qui n'a jamais rien détourné", l'ex-Pastef peut compter sur une partie de la jeunesse et de l'élite urbaine, lasses des "acteurs classiques (...) déconnectés des réalités" selon M. Diaw. Le parti s'est hissé à la troisième place à la présidentielle de 2019 avant de rafler près de la moitié des sièges au Parlement en 2022.
Amadou Ba tente pour sa part d'attaquer la probité de son rival, régulièrement accusé, sans preuves, de corruption. Tout porte ainsi à croire que les Sénégalais devront trancher, lors de ce scrutin crucial, entre la continuité d'un modèle établi et une remise en question profonde des équilibres sociétaux et géopolitiques actuels.